Nada Elia – Mondoweiss – 21 août 2016
« Je n’ai aucun problème avec la population juive ni avec aucune autre religion ou croyances différentes. Mais pour des raisons personnelles, vous ne pouvez pas me demander de serrer la main à quelqu’un de cet État, surtout devant le monde entier. ». Ces mots, prononcés par une personne qui s’engage ainsi en un geste de soutien au peuple palestinien, sont une réponse normale à l’accusation d’antisémitisme qui est systématiquement lancée contre celles et ceux qui militent pour la justice.
La distinction nécessaire qui est faite entre « population juive » et État israélien est une distinction qu’Israël lui-même cherche à effacer, alors qu’il s’efforce de détourner toute critique de sa politique, rejetant la faute plutôt sur la haine anti-juive. En tant que tels, ces mots ne constituent pas par eux-mêmes des motifs nouveaux, mais une façon nouvelle d’aborder la solidarité. Pourtant, alors que le judoka égyptien Islam El-Shehabi les exprimait la semaine dernière au Brésil, ils annonçaient une nouvelle étape importante : le boycott sportif était arrivé aux jeux Olympiques 2016.
« Serrer la main de votre adversaire n’est pas une obligation écrite dans les règles du judo. Cela se passe entre amis, et il n’est pas mon ami », a expliqué El Shehaby, son combat terminé, ce qui lui valut d’être renvoyé des jeux, pour « manque d’esprit sportif ».
La veille du refus d’El-Shehaby de serrer la main de l’athlète olympique israélien avec lequel il venait de combattre, une autre judoka, la saoudienne Joud Fahmy, s’était retirée de l’épreuve afin de ne pas avoir à combattre contre une athlète israélienne, dut-elle gagner et passer à l’étape suivante.
Et pourtant, deux jours plus tôt, l’équipe libanaise refusait de laisser les athlètes israéliens monter dans le même car qui les avait pris en premier, sur le chemin de la cérémonie d’ouverture. Les athlètes libanais ont continuellement bloqué la porte, empêchant les Israéliens d’entrer dans le bus. Résultat, le Comité international olympique dut envoyer un autre car pour les Israéliens.
Si les jeux Olympiques sont, sans aucun doute, une compétition athlétique, ils concernent aussi, et à un même niveau, les pays qui envoient ces athlètes aux jeux. En fin de journée et en fin de rencontre, nous avons un compte à rebours des médailles par pays. Et même si les jeux sont dits rassembler les nations, ils sont aussi réellement un lieu où les nations se mesurent les unes aux autres. Quand un athlète concourt, son pays et le drapeau de son pays sont mis en évidence, autant que son propre nom. L’hymne national du vainqueur est joué lors de la cérémonie de remise des médailles, et tous les vainqueurs sont attendus à manifester leur respect pour leur pays. Il n’est pas surprenant que la formidable médaillée d’or, Gabby Douglas, ait été mise au pilori par ses compatriotes pour son refus de mettre la main sur son cœur durant l’hymne national des États-Unis (même si elle fut par ailleurs très respectueuse), et que l’une des images politiques les plus mythiques de l’histoire olympique reste les puissants poings levés noirs de Tommie Smith et John Carlos, aux jeux Olympiques de 1968 à Mexico.
Bien entendu, le camouflet des athlètes libanais, égyptiens et saoudiens envers les membres de la délégation israélienne est un acte politique. Et bien entendu, Israël s’est plaint que ces athlètes « apportaient le conflit en cours entre leurs pays respectifs et Israël aux jeux de Rio ».
Les actions de ces athlètes s’accordent avec l’appel palestinien pour une solidarité mondiale sous la forme du BDS, lequel inclut le boycott sportif d’Israël. Un boycott sportif est un geste individuel exposant aux pires conséquences négatives et immédiates celles et ceux qui s’y engagent, à savoir d’être probablement disqualifiés pour les compétitions à venir. Pourtant, les athlètes arabes qui avaient refusé de se normaliser avec les Israéliens, furent critiqués comme violant « l’étiquette » et « l’esprit olympique ». Ce qui conduit à se demander, est-ce un autre lieu où l’exceptionnalisme israélien sort gagnant, où cet État violent, raciste, se tire encore d’affaire, sans qu’il ne soit tenu pour responsable de son agression contre les athlètes palestiniens ?
Au cours de ces dernières années, Israël a empêché les responsables des équipes palestiniennes pour les JO de quitter le pays. Il a restreint leur liberté de mouvement, leur rendant pratiquement impossible toute pratique de leur sport dans un espace adapté, et des Israéliens ont tiré des balles dans les chevilles de joueurs de football palestiniens. Où était la critique quand ces crimes ont été commis ? Il y a deux ans, une campagne internationale visant à faire interdire Israël à la FIFA, en raison de ses violations des droits de l’homme, n’a pas réussi à faire suffisamment pression sur l’organisation internationale pour qu’elle censure ce pays.
Quand nulle organisation officielle n’est prête à tenir Israël pour responsable, alors il revient aux personnes de le faire. Le camouflet de certains athlètes envers la délégation israélienne est un geste noble, dans une arène politique, et il nous incombe de l’apprécier pour ce qu’il est : un refus de se normaliser avec un pays qui bombarde les jeunes garçons qui jouent sur la plage, qui empêche les jeunes nageurs d’arriver jusqu’à une piscine, et qui interdit aux espoirs olympiques de Gaza de s’entraîner avec leurs compatriotes en Cisjordanie. Nous pouvons alors sûrement apprécier l’exquise ironie de ces cars séparés, au village olympique, pour la délégation d’un pays qui construit des routes séparées pour ses citoyens juifs, des routes qui les emmènent vers les colonies juives, dans des territoires occupés illégalement.
Pendant que les athlètes olympiques rivalisaient à Rio, d’autres jeux étaient en train de se pratiquer à l’autre bout du monde, avec un message politique manifeste : nous ne nous recroquevillerons dans la « civilité » envers un État d’apartheid. À Glasgow, en Écosse, les supporters du Celtic Football Club d’Écosse ont organisé une initiative pour « faire flotter le drapeau de la Palestine, pour le Celtic, pour la Justice », lors d’un match contre l’équipe israélienne de l’Hapoel Beer Sheva. La page Facebook de l’initiative est claire concernant sa compréhension de la réalité politique d’Israël, quand les organisateurs expliquent que le déploiement des drapeaux doit être une « évocation de nos droits démocratiques afin d’afficher notre opposition à l’apartheid d’Israël, à son colonialisme de peuplement et à ses innombrables massacres de la population palestinienne ».
Les supporters avaient été prévenus par l’UEFA qu’ils pourraient se trouver confrontés à des amendes ou à la fermeture d’une partie de leur stade s’ils brandissaient le drapeau palestinien. Mais, comme John Wight l’écrit : « Les supporters du Celtic sont habituellement parmi les mieux conscients politiquement, et les plus lucides de toute réalité démographie dans la société. Pour eux, le Celtic est plus qu’un autre club de football, c’est une institution politique et sociale, une institution qui a toujours soutenu, et qui doit continuer à soutenir, la justice devant l’injustice, le racisme, l’oppression, et contre l’apartheid où et quand il se présente ».
Partout dans le monde, le drapeau palestinien a pris – presque comme le keffieh – une dimension qui dépasse le nationalisme pour exprimer une politique progressiste, une position collective contre la violence systémique, et un anticolonialisme partout. Et alors que le match commençait, les drapeaux palestiniens se mirent à flotter partout dans les tribunes. Une mer de drapeaux palestiniens accueillit l’équipe israélienne, dans un mépris des règles de l’UEFA, et au risque que le Celtic FC soit pénalisé. Oui, de brandir le drapeau fut, sans aucun doute, une expression de solidarité avec le peuple palestinien. Mais ce fut aussi un rejet du système qui se tient derrière l’oppression du peuple palestinien ; un rejet de l’apartheid, du colonialisme et du racisme. Le déploiement de ces centaines de drapeaux palestiniens lors du match du Celtic FC montrait une compréhension d’expériences partagées de la discrimination, de la privation du droit électoral, de la dépossession, et un rejet du discours sioniste. Chaque drapeau qui flottait dans ce stade arrachait une projection d’une normalité d’Israël, de son vernis, mince comme du papier à cigarette, de « démocratie ». Et les médias répandirent la nouvelle, sur tout le globe, amplifiant le geste.
Au-delà du boycott des produits de consommation dans les épiceries, le BDS a, jusqu’à présent, assené un coup majeur à l’image d’Israël. Des artistes continuent d’annuler leurs concerts programmés à Tel Aviv, des associations d’universitaires votent le boycott des institutions israéliennes complices, des Églises examinent leurs portefeuilles afin de les désinvestir des entreprises qui tirent profit des pratiques illégales d’Israël, et les récents évènements en Écosse et aux jeux Olympiques 2016 sont un moyen de principe pour les athlètes de dire : nous ne normaliserons pas avec les représentants d’un État paria. Avant que ces gestes ne soient transformés en incidents antisémites par la propagande sioniste, il incombe aux militants et organisateurs BDS d’expliquer le contexte de ces camouflets, mépris, et refus de satisfaire à un « bon esprit sportif » avec un pays qui viole les droits humains les plus fondamentaux de tout un peuple.
Traduction : JPP pour BDS FRANCE