CP : Chronique de Palestine : Peux-tu dire quelques mots sur l’historique de la campagne de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) : ses fondateurs, ses enjeux, ses moyens d’action ?
José-Luis Moraguès : La campagne BDS, de Boycott, Désinvestissement et Sanctions, a été lancée par la société civile palestinienne en juillet 2005. Cette initiative était dès le début très importante car elle a réussi à rassembler plus de 170 organisations palestiniennes qui regroupent tous les courants politiques, syndicaux, ONG, ainsi que les courants religieux. Donc c’est quelque chose de vraiment représentatif du point de vue du nombre et représentatif aussi du point de vue de la composition, puisque dans ces associations sont représentées – ce qui est fondamental – les trois composantes du peuple palestinien qui a éclaté en trois parties avec la création de l’État d’Israël, à savoir : les Palestiniens sous la colonisation qui vivent en Cisjordanie et dans la Bande de Gaza, les Palestiniens réfugiés qui représentent plus de 60% des Palestiniens dont une grande partie est à l’étranger, et les Palestiniens d’Israël qui eux sont restés dans ce qui est aujourd’hui Israël et qui sont complètement discriminés.
Donc cet appel est un événement marquant, fondamental. Pourtant, il n’a pas été repris tout de suite par le mouvement de solidarité. Il aura fallu attendre la guerre israélienne contre Gaza de l’hiver 2008-2009. Au sortir de cette guerre – qui a tué plus de 1400 Palestiniens, dans leur large majorité des civils avec parmi eux plus de 300 enfants, et fait plus de 5500 blessés – l’appel BDS et les actions de boycott sont apparues comme un prolongement tout à fait bienvenu des manifestations de rue et parfaitement adapté pour enfin sanctionner Israël. En effet, l’appel adressé aux sociétés civiles et aux personnes de conscience, leur demande d’engager des actions non-violentes et de larges boycotts jusqu’à ce qu’Israël reconnaisse le droit des Palestiniens à l’autodétermination et respecte le droit international.
L’on retrouve évidemment les trois composantes du peuple palestinien dans les trois principales revendications de cet appel BDS lancé par les Palestiniens, qui sont : la fin de la colonisation, le retour des réfugiés et l’égalité absolue pour les Palestiniens d’Israël. Quant aux moyens d’action, qui sont déterminés par les Palestiniens ce sont :
– le Boycott, c’est-à-dire ne pas acheter de produits israéliens, cesser tout commerce avec les entreprises israéliennes et boycotter les initiatives dans tous les domaines : universitaires, sportifs, culturels, scientifiques, économiques et bien sûr politiques
– le Désinvestissement, de façon à ce que les entreprises françaises ou étrangères qui investissent en Israël retirent leurs fonds, rompent leurs contrats et cessent leur activité dans l’État d’Israël
– et enfin les Sanctions, c’est-à-dire que les institutions à tous les niveaux – municipal, régional, national, européen, au niveau des Nations Unies – appliquent des sanctions contre Israël pour toutes ses violations du droit international.
Du point de vue palestinien c’est donc un Appel qui répond aux situations spécifiques de chaque composante du peuple palestinien, qui reconstruit son unité et qui en rupture avec la logique d’Oslo, abandonne la normalisation et les marchandages de portions de territoire pour prendre comme objectif l’auto-détermination du peuple palestinien. Pour le mouvement de solidarité c’est un Appel qui s’adresse aux sociétés civiles, qui leur demande de passer à l’action non-violente, en ciblant directement les intérêts de l’État d’Israël et leurs représentations selon trois moyens d’actions : le Boycott, le Désinvestissement et les Sanctions.
CP : Comment la campagne BDS s’est-elle développée à Montpellier ?
JLM : A Montpellier, juste après la guerre contre Gaza de l’hiver 2008-2009, en février, nous étions une quinzaine de personnes qui voulions entrer dans Gaza pour témoigner de ce qui s’y était passé, mais nous sommes restés bloqués douze jours à Al-Arish, à la frontière côté égyptien, sans pouvoir entrer dans Gaza. C’est au retour de cette mission que nous avons créé le comité BDS34, un des premiers comités à s’être mis en place et que nous avons immédiatement engagé des actions de boycott dans les magasins contre la présence de produits israéliens.
En mai 2009, à l’initiative de ce comité, nous avons lancé la « Coalition contre Agrexco » qui était la première entreprise israélienne de fruits et légumes, et juste après nous avons participé à la création de la Campagne BDS France au mois de juin de la même année. Nous avons donc participé au déploiement de la coalition contre Agrexco qui a, et c’est important de le souligner, remporté au bout de deux ans et demi la première grande victoire de boycott contre une entreprise israélienne, puisque Agrexco, après avoir fait faillite, a été liquidé par le tribunal de Tel Aviv en septembre 2009.
Après la campagne contre Agrexco, notre comité à bien sûr adhéré à la campagne BDS France au niveau national, et nous avons développé dans ce cadre diverses campagnes, en particulier contre Mehadrin le principal exportateur de fruits et légumes israélien qui a remplacé Agrexco. Les actions ont été menées en particulier chez Carrefour, quelques-unes chez Auchan mais nous avons concentré nos tirs sur un Géant Casino qui après plusieurs années d’interventions a pratiquement cessé la vente des fruits et légumes israéliens à l’occasion d’un changement de directeur avec qui nous avons pu discuter du problème.
Depuis deux ans nous menons campagne contre Mehadrin chez LIDL dans le cadre d’une campagne nationale de BDS France.
Nous avons également développé des actions dont certaines victorieuse sur le terrain culturel à propos du festival du Cinéma Méditerranéen (CINEMED). Pendant des années ce festival officiellement sponsorisé par le consulat d’Israël à Marseille déroulait le tapis rouge pour le consul d’Israël. Nous avons fait plusieurs actions de distribution de tracts avec banderoles, panneaux et prises de parole à l’entrée du festival mais aussi des interventions directes dans les salles de cinémas, dont une très importante en 2014 où nous étions une soixantaine de personnes à avoir, si je puis dire, «envahi l’écran» pour expliquer notre action et dénoncer la présence du consul israélien. Depuis 2015 le consul ne s’invite plus au festival et Israël n’est plus dans la liste des sponsors officiels de ce festival. Nous sommes ravis de constater que les organisateurs ont compris qu’accepter la présence d’un représentant de l’État d’Israël et le soutien de cet État, sous couvert de la culture, ici le cinéma, revenait à blanchir la politique israélienne de colonisation et d’apartheid, alors que les organisateurs eux-mêmes et ils l’ont dit, n’étaient pas d’accord avec cette politique.
De la même manière, le Festival International Montpellier Danse invitait systématiquement le consul israélien. Nous avons fait plusieurs interventions, allant même jusqu’à passer par les toits pour jeter des tracts et déployer des drapeaux palestiniens au dessus du spectacle en plein air, et nous avons eu le plaisir de constater en 2017, là aussi, l’absence du consul israélien et noté qu’Israël ne sponsorisait plus ce festival. On espère que cette décision est définitive.
Et enfin, il y a une campagne spécifique à Montpellier, car c’est le seul endroit en Europe où les sionistes – pour reprendre le nom qu’ils se donnent eux-mêmes dans leurs déclarations – organisent ce qu’ils nomment «la journée de Jérusalem». En juin, depuis 39 ans, ils commémorent la « réunification de Jérusalem ». Il s’agit en fait de la prise de Jérusalem en 1967 par Moshé Dayan à la tête de l’armée israélienne et de la décision de la Knesset un mois plus tard qui décrète Jérusalem « capitale une et indivisible d’Israël ». Et bien, nous avons ce scandale vivant à Montpellier – où la municipalité, depuis 39 ans, prête gratuitement un parc municipal avec tout le matériel nécessaire et où défilent les élus des exécutifs de la Région, du Département, de la Ville et de la Métropole qui tous sponsorisent l’événement avec l’argent des contribuables. Tous sont présents ou représentés pour participer à une fête coloniale qui commémore, aux côtés du consul d’Israël un fait colonial condamné par l’ONU : Jérusalem capitale d’Israël, et tous se lèvent comme un seul homme pour saluer le drapeau israélien au son de l’hymne israélien.
Depuis 2010, avec BDS nous avons lancé une pétition, organisé des conférences, et chaque année une manifestation à l’entrée du parc où se déroule la fête sous haute surveillance policière. En 2015 nous avons obtenu un premier résultat puisque la mairie a fait payer la location du parc et du matériel aux organisateurs, et en juin 2017 la « journée » habituelle n’a pas eu lieu, l’événement ne s’est tenu qu’en soirée, sans affichage public, sur inscription et dans un palais des sports (dont il faudra vérifier la facturation). 2018 nous dira si enfin le contenu colonial de cette fête a été abandonné au profit d’une fête culturelle et cultuelle juive « normale » à laquelle nous aurions plaisir à aller. Mais nous restons vigilants et continuerons les actions si ce n’était pas le cas.
CP : Israël craint manifestement cette campagne BDS et considère comme tout à fait stratégique de la contrecarrer. Comment se déclinent les attaques anti-BDS en France et quels sont leurs effets ?
JLM : Le mouvement de solidarité avec la Palestine a toujours été en butte aux attaques des relais de l’État d’Israël en France, notamment de la part du CRIF, par exemple. Ce n’est donc pas la première fois qu’il y a des plaintes ou des procès pour antisémitisme auprès de gens absolument insoupçonnables, comme Daniel Mermet, l’animateur de l’émission radiodiffusée «Là-bas si j’y suis», Pascal Boniface, le directeur de l’Institut de Relations Internationales ou encore le dessinateur Siné. Donc à ce titre, le BDS a été depuis sa création, attaqué et traité d’antisémite.
Mais la caractéristique principale de ces attaques était que jusque ici, c’étaient les officines sionistes en France qui s’emparaient de ce genre de campagnes et en étaient les seules actrices. Or depuis qu’Israël a déclaré que BDS était une menace stratégique pour son existence on assiste au niveau international à l’intervention directe de l’État d’Israël auprès des États et leurs gouvernements via tous les canaux officiels et officieux. Tout est fait pour interdire l’expression de BDS, ses manifestations, conférences etc. En France l’ambassadeur d’Israël s’est même autorisé à demander publiquement l’interdiction de certaines conférences dans les universités à l’occasion de la Semaine Internationale contre l’Apartheid. Et ça c’est nouveau.
Dès 2010, sous N. Sarkozy, la circulaire Alliot-Marie incitait les parquets à déclencher des poursuites pour la moindre action BDS. Mais c’est surtout à partir de 2013-2014 que la pression gouvernementale israélienne s’est exercée directement, après la déclaration de guerre officielle d’Israël contre BDS.
C’est ainsi que l’on a entendu en France, par exemple François Hollande déclarer en 2014 lors de la guerre israélienne contre Gaza, que Israël «avait le droit de se défendre», ce qui était un encouragement direct aux crimes en train d’être commis. Que dans la foulée, l’État français a interdit, l’été 2014, des manifestations de solidarité avec la Palestine à Paris et dans d’autres villes dont Montpellier. C’est la raison pour laquelle à Montpellier, nous avons occupé fin juillet 2014, le local de la Fédération Départementale du Parti Socialiste, lequel a immédiatement porté plainte contre deux porte parole de notre Comité.
En octobre 2014 la police est allée jusqu’à attaquer et détruire notre chapiteau BDS sur la place centrale de la ville de Montpellier. Au même moment, Manuel Valls, reprenant le slogan du CRIF, a publiquement déclaré à plusieurs reprises que «l’antisionisme est la première étape de l’antisémitisme ». Plus récemment, à Paris, à l’instigation de la maire Anne Hidalgo, le Conseil de la ville a adopté un vœu en février dernier condamnant les appels au boycott et a menacé de priver de subventions les ONG qui soutiennent BDS. Et enfin, le nouveau président de la république M. Macron, a déclaré à B. Netanyahu qu’il avait invité en France : « Nous ne céderons rien à l’antisionisme car il est la forme réinventée de l’antisémitisme ».
Ces initiatives sont tout à fait visibles au niveau international, et pas seulement en France. Aux États-Unis cela atteint des niveaux très élevés, en Grande-Bretagne également où ont été organisés des opérations de désinformation contre Jeremy Corbyn et plusieurs membres de son parti – le Labour – qui ont été attaqués pour leurs positions pro-palestiniennes. Dans l ‘État d’Espagne, où plus de 50 municipalités, dont Barcelone, ont osé prendre des mesures contre les produits israéliens et décréter des «zones libres d’apartheid», il y a eu également des pressions pour faire voter (sans succès) aux Cortès des mesures contre le BDS.
Voilà la caractéristique de cette offensive récente contre le BDS : alors qu’en France par exemple, l’image d’Israël est en chute libre et que les lobbies sionistes sont déconsidérés du fait de leurs accusations permanentes, excessives et infondées, c’est désormais le gouvernement et ses institutions qui reprennent à leur compte la défense d’Israël et la campagne israélienne anti-BDS. D’où les mesures et la nature des attaques politiques, juridiques et policières contre BDS.
CP : Comment expliquer cet engagement des États auprès d’Israël et contre le BDS ?
JLM : Le soutien à Israël est une constante de la politique de l’Union Européenne. Israël est le seul pays non européen à bénéficier de la plupart des avantages économiques, universitaires et culturels réservés aux seuls membres de l’UE sans en avoir les contraintes ni en payer les contreparties. Sans doute est-il ainsi récompensé de son rôle de poste avancé de l’impérialisme occidental au Moyen Orient. Les critiques de l’UE à l’égard des violations israéliennes du droit international et des droits humains ne s’expriment que sous la pression de l’opinion internationale, face aux massacres et aux exactions répétées d’Israël, et elles ne se concrétisent jamais en sanctions réelles.
Mais au sein de l’UE, certains pays, dont la France en particulier, ont franchi un cap en s’attaquant directement au BDS. On a toujours considéré que le soutien à Israël était en France le produit de trois forces : le poids de la culpabilité d’avoir collaboré à la déportation des juifs et donc à leur génocide, le poids des lobbies sionistes nombreux et particulièrement actifs en France du fait même de cette collaboration et enfin, l’alignement progressif de la France sur les positions étatsuniennes (Atlantisme).
Mais ce qui se passe aujourd’hui et qui surdétermine l’ensemble est d’une toute autre nature. Il s’agit de l’adhésion revendiquée au paradigme de la guerre contre le terrorisme islamiste et de sa mise en œuvre offensive. Le paradigme de la guerre contre le « terrorisme islamiste » extérieur et intérieur, préconisé avant même le 11 septembre par les néo-conservateurs israéliens, était l’apanage de l’État d’Israël supposé menacé à l’extérieur par l’Iran, qualifié d’État terroriste et supposé menacé de l’intérieur par le « terrorisme palestinien ».
Le socialiste François Hollande restera dans l’Histoire comme le président qui en un seul mandat a instauré et verrouillé l’application de ce paradigme. C’est lui qui a mené le plus grand nombre de guerres soi disant contre le terrorisme en Afrique et au Moyen Orient et c’est lui qui également a imposé et pérennisé l’état d’urgence sur le plan intérieur, déclarant à tout bout de champ avec son premier ministre M. Valls : « Nous sommes en guerre ».
Pourtant tout le monde sait que la colonisation de peuplement israélienne repose sur un système d’apartheid. Nos dirigeants le savent parfaitement, même les dirigeants étatsuniens le savent ! John Kerry l’a dit ouvertement et un rapport conséquent de l’ONU l’a constaté. Chacun sait aussi que dans cet apartheid et donc dans ce système raciste, les arabes sont considérés comme la race inférieure, d’ailleurs les sionistes ne disent pas : « les Palestiniens » ils disent : « les Arabes ». Comment expliquer que « nos démocraties occidentales » parfaitement informées de tout ceci continuent, comme si de rien n’était, d’entretenir des relations « normales » et même privilégiées avec Israël, un État d’apartheid, un État raciste ? Et comment se fait-il qu’elles aient endossé aussi facilement le paradigme de la lutte contre le terrorisme islamiste qui est fondé sur le racisme et l’islamophobie ? La seule explication c’est qu’au fond, nos démocraties occidentales partagent cette vision d’un monde hiérarchisé, dont la hiérarchie est commandée par l’idée qu’il y a des êtres supérieurs et d’autres inférieurs, des civilisations, des cultures (occidentales) supérieures et d’autres inférieures.
Le courant politique décolonial qui nous vient d’Amérique Latine et qui développe en France l’antiracisme politique analyse très clairement les manifestations de ce qu’il nomme après le sociologue péruvien Anibal Quijano : « la colonialité du pouvoir », c’est à dire une structuration raciste des rapports sociaux directement issue des rapports coloniaux fabriqués par l’occident et qui a pris le relai du pouvoir colonial « classique » au moment de la disparition des institutions coloniales proprement dites. [1]
Le mouvement BDS s’oppose frontalement et radicalement à l’apartheid, au sionisme et donc à cette vision du monde raciste dans laquelle la race est l’élément discriminant de base. De ce fait le BDS est un véritable danger pour les tenants de la prétendue guerre contre le terrorisme. D’où les attaques qu’il subit de la part d’Israël et de nos gouvernements successifs…
CP : Justement, comment ces attaques se déclinent-elles dans les autres régions, et ici à Montpellier en particulier ?
JLM : Le fait que le gouvernement et tous les courants politiques du gouvernement, avec le Parti socialiste en tête, s’impliquent totalement dans la solidarité avec Israël, a eu pour effet la multiplication des procès. Cela s’est traduit par des pressions et des interventions auprès de l’appareil de la justice. La plupart des procès – à l’exclusion du premier qui a eu lieu à Bordeaux où une personne avait apposé des auto-collants sur des produits israéliens – ce qui est considéré comme une « dégradation légère » – tous les procès qui ont eu lieu s’appliquaient à des personnes qui distribuaient des tracts devant des magasins. C’étaient pourtant des actions tout à fait pacifiques et non-violentes.
Le moment culminant de cette vague de procès pour distribution de tracts devant des grandes surfaces commerciales, a été l’arrêt de la Cour de Cassation confirmant une condamnation, en invoquant l’argument selon lequel le boycott était une forme de discrimination à l’égard des agriculteurs [israéliens] c’est-à-dire un groupe de personnes appartenant à l’État d’Israël. Il s’agissait donc, selon ce raisonnement, d’une discrimination à caractère antisémite !… Ainsi 12 militants de Mulhouse ont été condamnés à un total de 32 000€ pour ce motif totalement infondé ! Ils ont fait appel devant la Cour de Justice Européenne.
Il y a des procès toujours en cours. Par exemple à Metz, le collectif BDS57 avait envoyé une lettre aux pharmaciens pour dénoncer la politique de Teva, une entreprise israélienne de médicaments fabriquant des produits génériques. Le président du Collectif BDS57 est poursuivi par TEVA pour le simple fait d’avoir envoyé cette lettre. Alors que les juges avaient décidé la prescription en première instance. Comme dans de nombreux cas c’est le parquet qui a fait appel, rejoint par les officines sionistes habituelles. Le jugement en appel a été fixé au 5 octobre 2017.
A Toulouse des militants qui avaient distribué des tracts à plus de 100 mètres d’un magasin pour dénoncer le fait d’avoir été agressés par une officine sioniste, la LDJ (Ligue de Défense Juive, organisation d’extrême-droite) lors d’une précédente distribution de tracts, se sont vus eux aussi attaqués et condamnés. Non pas pour discrimination raciale mais pour entrave à l’exercice du commerce … Et ils ont été condamnés chacun à une amende de près de 1000 euros. Antérieurement et plus près d’ici, il y a eu à Perpignan également des militants poursuivis et condamnés, mais qui ont gagné en appel.
CP : Et à Montpellier ?
JLM : Par le nombre d’actions menées et les terrains couverts, par la nature offensive des actions strictement non-violentes, par les cibles choisies et le nombre de militants-tes participant aux actions, par le développement du comité et son influence, le comité BDS France–Montpellier est un comité très actif de la Campagne BDS France. A ce titre il a concentré sur lui de nombreuses attaques au point qu’il n’est pas exagéré de dire qu’il a été et reste un laboratoire de la « guerre » menée contre BDS par Israël et ses alliés du gouvernement en France.
Profitant d’une plainte déposée contre deux porte parole du Comité BDS Montpellier [2], la LICRA (Ligue Internationale Contre le Racisme et l’Antisémitisme) s’est portée partie civile au procès et a développé une campagne offensive durant plus d’un an contre BDS Montpellier. C’était habile, car même si la LICRA est bien connue pour son soutien à Israël, elle n’est pas publiquement sioniste comme le CRIF par exemple. N’empêche qu’elle a mené pendant plus d’un an et jusqu’à la fin du procès contre nos deux porte parole qui ont été relaxés en appel, une intense campagne de lobbying allant même jusqu’à rassembler régionalement à Montpellier les officines sionistes (CRIF etc…) dans une manifestation de près de 200 personnes au mois de mai 2015 contre BDS Montpellier.
Nulle part en France on a vu une telle offensive. La LICRA et ses amis ont exigé des pouvoirs publics (Préfecture et Mairie) l’interdiction de toute manifestation et expression publique du comité BDS Montpellier et surtout l’interdiction de ses stands place de la Comédie au centre ville où passent des milliers de personnes. Et ils ont partiellement obtenu satisfaction ! Alors que depuis près de 10 ans les maires successifs de Montpellier toléraient sans demande d’autorisation les stands BDS avec chapiteau, l’actuel maire de Montpellier interdit depuis mai 2015 les stands BDS sans autorisation, et a systématiquement opposé un refus aux demandes d’autorisations. Alors même que les stands de nombreuses associations étaient tolérés sans problème… Le ciblage contre BDS était clair et il persiste.
Mais nous avons refusé de nous plier à cette atteinte à la liberté d’expression du BDS et nous avons continué et continuons à tenir nos stands. Après plusieurs interventions de la police municipale qui a tenté de nous faire partir et nous a dressé des procès-verbaux (avec audition par la police) pour occupation illégale de l’espace public, le 17 octobre 2015 la police nationale a attaqué et détruit notre chapiteau place de la Comédie, sous les huées des passants qui se sont portés à notre secours et le 31 octobre suivant, la préfecture est allée jusqu’à nous interdire une manifestation de soutien à la Palestine, fait rarissime et extrêmement grave contre lequel nous avons déposé une plainte au Tribunal Administratif.
Malgré toutes ces intimidations nous n’avons cessé d’être présents Place de la Comédie sous des formes diverses et nous avons organisé à trois reprises, avec une quinzaine d’organisations solidaires de BDS, des « Occupy Comédie » de la place de la Comédie. Chaque organisation amène sa table et expose son matériel d’information, diffuse ses tracts etc… imposant ainsi collectivement la liberté d’expression pour BDS bien sûr, mais aussi pour l’ensemble du mouvement social et associatif.
Par la suite un de nos porte parole a été convoqué à la police et auditionné pour avoir porté le tee shirt de la Campagne BDS France sur lequel est écrit : Boycott Israël Apartheid. C’est dire que les intimidations n’ont pas cessé.
C’est dans ce contexte d’intimidations répétées contre notre comité que l’entreprise Lidl, chez qui nous avons mené de nombreuses actions, a déposé une série de plaintes contre nous. En effet, une campagne BDS nationale a été lancée en 2016 contre l’entreprise israélienne Mehadrin chez Lidl qui commercialise nombre de ses productions (fruits et légumes). Localement, nous avons mené plus de 25 actions en l’espace d’un an, avec un travail sur les quartiers, des campagnes d’affichage, pour dénoncer la présence de ces produits et demander à Lidl de cesser de commercer avec cette entreprise. Nous avons aussi occupé la direction régionale de cette entreprise à Lunel pour obtenir un rendez-vous avec la direction afin de protester contre la présence des produits israéliens. Rendez-vous que nous avons obtenu grâce à l’occupation. C’était donc une campagne non-violente, nationale et locale, construite et offensive.
Lidl a déposé contre nous un total de huit plaintes et nous avons été quatre militants à être auditionnés par la police à deux reprises en 2016 et 2017. En mai dernier l’avocat du BNVCA [[Bureau National de Vigilance Contre l’Antisémitisme]] (qui a plaidé dans le procès contre nos deux porte parole) a tenté une provocation dans un magasin lors d’une action BDS. Il a porté plainte contre l’un de nos porte parole pour soit disant : « menaces sur avocat » alors même que c’est lui que la sécurité du magasin a raccompagné à la sortie tellement il criait et s’excitait contre nous. Ça nous a valu une nouvelle convocation et audition par la police…
CP : Au final quel bilan tirez-vous de ces attaques contre BDS et contre votre comité en particulier ?
JLM : La première attaque est venue du Parti Socialiste qui a porté une plainte nominative contre deux de nos porte parole alors que l’occupation de leur locaux était une action politique, collective, co-organisée et revendiquée par BDS Montpellier, le MIB et le NPA. Quand à peine quinze jours après la plainte du PS, la LDH a porté ses accusations absurdes de négationnisme et d’antisémitisme contre nos deux camarades, nous avons immédiatement compris qu’il s’agissait d’une offensive contre le comité BDS de Montpellier et contre le BDS en général. En effet la LDH 34 (Hérault) argumentait en disant que notre « antisionisme radical était un dérapage vers l’antisémitisme ». De fait, elle reprenait presque mot pour mot les propos du premier ministre socialiste M. Valls qui entonnait déjà avec le CRIF : « L’antisionisme est synonyme de l’antisémitisme » et nous savons bien que dans la LDH il y a un courant PS très influent. A ce moment là nous avons compris que le but des plaintes était, à travers nos deux camarades, de faire passer notre comité pour antisémite et ainsi salir également le BDS tout entier par la même occasion.
Alors nous avons décidé que la meilleure façon de prouver l’innocence de nos deux camarades et faire échouer la manœuvre était d’intensifier nos actions BDS et de nous développer. Nous avons donc mis en place un plan de travail audacieux et l’avons suivi. 2015 et 2016 ont été des années extrêmement productives de notre comité. Aussi quand l’offensive de la LICRA a commencé en avril 2015, nous étions déjà en ordre de bataille et dans l’action. La nature d’atteinte à la liberté d’expression des attaques gouvernementales (la préfecture) et municipales (la mairie) ont suscité un courant de sympathie parmi nos amis dont certains s’étaient éloignés du fait du procès et des accusations portées par la LDH. Le résultat du procès a balayé les doutes des hésitants et porté un coup considérable aux parties civiles. Seul le BNVCA poursuit sans succès ses plaintes.
A ce jour nous considérons que nos analyses étaient justes, en particulier sur la nature coloniale du PS et de ses amis, que la riposte aux attaques (LICRA, État et municipalité) par l’action et l’élargissement du soutien à BDS étaient le bon choix et nous gardons le cap !
CP : Quels sont aujourd’hui les enjeux de la campagne BDS en France ? Quelles sont ses perspectives ? Quelles suggestions ou recommandations pourraient être faites ?
Dans un mouvement hétéroclite comme la Campagne BDS France (une cinquantaine d’organisations nationales et un peu plus de cinquante comités de villes) les approches et les réactions sont diverses, il faut toutes les respecter car les histoires et les contextes sont différents. C’est à chacun de faire ses expériences et les preuves de la justesse de ses positions par les faits et les résultats obtenus. Les procès, la décision de la Cour de Cassation ont fait l’effet d’une douche froide. C’est une réaction normale et temporaire car quelque soit le niveau de répression, l’Histoire montre que la résistance et la lutte sont toujours possibles.
Je m’en tiendrai à notre expérience locale pour dire que l’enjeu fondamental c’est la poursuite des actions de terrain dans le cadre de campagne construites en vue de créer un rapport de force progressif, des campagnes suivies avec cibles restreintes et objectifs précis avec une exigence de résultats. Les résultats, on le sait, sont aussi conditionnés par le nombre qui permet le développement, l’extension et l’amplification de notre activité et donc par l’adhésion de nouvelles forces militantes. C’est ce cercle vertueux qu’il nous faut entretenir.
Quand nous discutons avec les personnes sur les stands et lors des distributions de tracts, comment leur donnons-nous l’envie de nous rejoindre ? En leur parlant des actions qu’on mène, de comment ils pourraient y participer et progressivement en devenir des acteurs et même des organisateurs. Les jeunes – et ils ont raison – veulent transformer la réalité et combattre les injustices par l’action, sur le terrain.
Se poser la question du développement de BDS France, c’est à dire du recrutement de nouveaux militants, est donc un enjeu vital immédiat et à long terme.
Bien sûr il reste encore de nombreuses associations, syndicats et partis avec qui il faut discuter pour les inviter à adhérer à la Campagne BDS France, c’est indispensable et d’un réel soutien politique, mais ce sont des adhésions par « le sommet », peut-être quelques militants et militantes de ces organisations viendront rejoindre les rangs des comités de villes mais dans le contexte d’offensive libérale et de démobilisation que nous traversons, les militants organisés sont saturés de travail et à de rares exceptions, peu disponibles pour s’investir à fond dans BDS. Et donc l’essentiel du potentiel des forces militantes est ailleurs, il est chez les inorganisés que nous rencontrons dans le travail à la base, dans l’action de terrain.
Et là, il nous faut être attentif aux recommandations du BNC appuyées par plusieurs interventions d’O. Barghouti. Que nous disent-ils ? Ils nous disent que de par la colonisation de peuplement, l’apartheid et le génocide progressif de Gaza les Palestiniens sont partie intégrante des populations les plus opprimées au monde et en particulier celles qui subissent le racisme, et que c’est vers elles que nous devons nous tourner, à la fois pour les soutenir mais aussi pour les amener au BDS car elles sont à même de mieux comprendre et se sentir partie prenante des aspirations des Palestiniens.
Le Comité BDS Montpellier est composée depuis sa création d’une majorité de personnes, jeunes pour la plupart, des quartiers populaires et de l’immigration coloniale, c’est un héritage de la CCIPPP34 d’avant BDS et de l’histoire de notre comité. Les personnes qui s’arrêtent à notre stand place de la Comédie, qui nous aident financièrement, qui signent nos pétitions, qui prennent contact avec nous, qui viennent à nos réunions et participent aux actions, sont dans leur écrasante majorité des hommes et des femmes, jeunes, issus-ues des quartiers populaires. Je l’ai déjà dit, c’est pareil dans les grandes manifestations de solidarité, les quartiers représentent plus de 80% des manifestants.
A quoi tient cette sensibilité particulière à la cause palestinienne ? Le plus fréquemment les plus jeunes ont entendu parler de ce problème en famille par les parents, mais dans ce cas c’est souvent sous l’angle des malheurs et des souffrances subies par les Palestiniens. Le fait d’être arabes et musulmans est évidemment une porte d’entrée culturelle et cultuelle qui facilite aussi le rapprochement et l’intérêt pour la Palestine. Bien sûr ces facteurs sont actifs chez les jeunes qui nous approchent mais l’expérience me fait dire que le facteur déterminant qui les fait se sentir proche des Palestiniens c’est le fait de partager avec eux une même réalité : la réalité d’un racisme d’État et de ses méfaits quotidiens dans tous les domaines de la vie. Les réseaux sociaux offrent aujourd’hui profusion d’images de la réalité concrète vécue par les Palestiniens et même si la colonisation et l’occupation militaire sont sans aucune mesure d’une violence létale bien plus élevée en Palestine, il n’empêche que les incessants contrôles d’identité au faciès, les brimades et humiliations de la police, les traques de la BAC, les crimes policiers, l’immunité policière et les emprisonnements pour faits mineurs facilitent les identifications avec les Palestiniens. [3]
Pour son développement, le mouvement BDS a besoin de ces forces, de ces jeunes (et moins jeunes) « racisés » [4] des quartiers populaires car ils connaissent de l’intérieur le racisme et l’injustice structurelle du système. Ils amènent avec eux leur énergie, la colère, la révolte et le courage nécessaires pour se battre mais aussi l’affirmation d’une dignité revendiquée. Ils font preuve d’une grande clairvoyance face aux injustices, au colonialisme et au paternalisme et leur exigence de justice est d’une intransigeance salutaire pour garder le cap. Cette exigence de justice pour la cause palestinienne est d’autant plus forte qu’elle est portée par l’exigence de justice pour eux-mêmes. En combattant le racisme colonial et l’apartheid qui sévissent en Palestine, ils s’inscrivent ici dans un front de lutte contre la colonialité du pouvoir, c’est à dire contre le racisme d’État et un capitalisme mondial qui sont les formes contemporaines structurelles de la suite de l’histoire coloniale, qui a marqué l’histoire de leurs parents et de l’immigration en général.
Ces militants et militantes, car il y a souvent plus de jeunes filles et jeunes femmes que de jeunes hommes, co-fondateurs du comité, ont incontestablement transformé les pratiques de solidarité à la Palestine antérieures à BDS.
Ils et elles ont su imprimer un rythme élevé d’activité, des modalités audacieuses d’interventions, une volonté opiniâtre de gagner – on lâche rien ! – un partage enthousiaste et vivant de la cause palestinienne et une énergie communicative qui attire les nouveaux militants-tes. Bref, ils et elles ont fait la Campagne BDS France-Montpellier, ils et elles en sont la « marque de fabrique », son style et sa signature.
Donc, oui, je crois en effet que ces forces ont un rôle primordial à jouer dans le BDS, mais bien évidemment il faut tenir compte des contextes et s’adresser sans exclusive à tous les courants et toutes les composantes de la société civile en France.
Action de boycott au Géant Casino – 2015
Notes :
[1] Selon A. Quijano la « Colonialité du pouvoir » est le modèle d’un pouvoir global caractérisé par un système de domination colonial occidental, fondé sur l’idée de race et d’un mode d’exploitation capitaliste ouvert sur le marché mondial qui apparaît avec la découverte de l’Amérique …
[2] Plainte injustifiée et irresponsable déposée par la LDH (Ligue des droits de l’Homme) en octobre 2014, suivie par le MRAP (Mouvement contre le Racisme et pour l’Amitié entre les peuples) à laquelle se sont portées partie civiles les officines sionistes : BNVCA (Bureau National de Vigilance contre l’Antisémitisme), France-Israël et Avocats sans Frontières. Le procès a duré 2 ans et demi au terme duquel malgré le contexte des attentats et le climat d’islamophobie, nos deux camarades, Saadia et Husein, ont été relaxés par la Cour d’Appel.
[3] Ceci n’est pas un scoop ! ça fait plus de vingt ans que le MIB dénonce et combat la « gestion coloniale des quartiers » ! Que le courant politique des quartiers populaires et de l’immigration qui anime aujourd’hui le courant décolonial et l’antiracisme politique développe ces thèses au sein du courant de solidarité à la Palestine ; il était majoritairement présent à la création de la CCIPPP, présent aussi à la création de BDS, il a impulsé et animé les grandes manifestations de soutien contre la série d’offensives israéliennes en Cisjordanie et Gaza depuis 2002 à aujourd’hui, et participe activement aux campagnes de soutien de G. Ibrahim Abdallah etc.
[4] Les « racisés-ées » sont les personnes qui sont la cible d’un dispositif d’assignation sociale spécifique, socialement construit qui discrimine les « non blancs » dans la continuité des rapports coloniaux.
Source : http://chroniquepalestine.com/bds-oppose-radicalement-sionisme-vision-raciste-monde/
3 octobre 2017 – Propos recueillis par Chronique de Palestine