8 juin 2016 – Andrew
Au cours de son stage à War Resisters’ International, Taya Govreen-Segal, une objectrice de conscience, a fait un exposé à la conférence « Grande-Bretagne et Palestine : histoire passée et rôle futur », tenue au collège Sarum, Salisbury, UK, le 13 février. En voici une transcription qui donne une analyse détaillée du rôle du commerce des armes dans l’occupation actuelle de la Palestine.
Je fais l’hypothèse que vous connaissez déjà le viol des droits humains en Cisjordanie et à Gaza et que vous avez entendu parler de l’occupation, du régime militaire et du siège [de Gaza], et je vais me focaliser sur une des forces qui profitent de cette situation et qui la maintiennent : le commerce des armes.
Je souhaite commencer par Gaza en 2014. À la fin de l’opération de 50 jours Bordure protectrice, Gaza était détruite. À Gaza, près de 2200 personnes ont été tuées, dont 40 à 70 % de civils, tandis qu’en Israël, cinq civils israéliens, un travailleur Thaï et 66 soldats furent tués.
Pendant la bataille de Gaza, les journaux ont commencé à parler d’armes nouvelles utilisées. Ces armes furent immédiatement commercialisées comme « éprouvées au combat ». Comme Barbara Opal-Rome l’a écrit dans Defence News, « c’est comme si nous faisions du marketing agressif à l’étranger, mais les opérations de l’IDF [Forces de défense israéliennes] influencent manifestement le marketing. Pour les industries militaires, l’opération (Bordure protectrice), c’est comme une boisson super énergétique ; c’est une bonne poussée en avant ».
Le général Yoav Galant, commandant de l’opération « Plomb durci », explique comment ceci se passe dans le film de Yotam Feldman, “The Lab”: transformer le sang en argent. C’est ainsi qu’Israël est devenu, rapporté à l’économie, le premier exportateur d’armes du monde.
Quand je parle d’exportations militaires israéliennes, je parle d’armes, de munitions et d’avions de combat ainsi que de formation à la guerre de guérilla, d’entraînement policier, de tactique et de moyens de contrôle des émeutes, d’exécutions et de technologie de surveillance et de renseignements. C’est notre contribution à l’Humanité.
Pour comprendre le commerce des armes, je pense qu’il est important de comprendre comment le commerce israélien des armes s’est développé, comment il reçoit un soutien public et sa connexion étroite avec l’armée et l’occupation.
Le développement du commerce des armes
La fabrication d’armes à commencé des les années 1920 dans des fabriques illégales se cachant du Mandat britannique lorsque les sionistes qui « faisaient l’aliya » – c’est-à-dire qui émigraient en Palestine historique, souvent illégalement – découvrirent que la population arabe qui y vivait déjà avait mauvaise opinion de leur plan pour créer un État juif dans la région.
En 1933, IMI (Industries Militaires Israéliennes) fut créée, et c’est une des premières entreprises militaires israéliennes à ce jour.
Israël fut fondé en 1948 avec le discours sioniste sur un petit pays entouré d’ennemis, de Juifs n’ayant nulle part ailleurs où aller après le génocide et d’un nouveau pays survivant contre toute attente, grâce aux jeunes héros luttant pour leur patrie. Le jeune État était isolé diplomatiquement à cause du boycott de la Ligue Arabe qui menaçait de couper les liens commerciaux avec tout pays commerçant ou ayant des liens diplomatiques avec Israël.
Ben Gourion, le premier Premier ministre d’Israël, élabora un plan pour créer des liens commerciaux et diplomatiques et obtenir le soutien de l’ONU : de « partir de la périphérie » et d’établir des liens avec les nations visant à s’affranchir du colonialisme, surtout en Afrique. Un des besoins principaux de ces pays était les armes, qu’Israël était heureux de leur vendre sur ses propres surplus.
Un bon exemple est la Birmanie (maintenant Myanmar). En 1954, la Birmanie fut le premier pays y acheter des armes d’Israël et un an plus tard, le président de Birmanie fut le premier président à venir pour une visite officielle en Israël.
Si Israël fabriquait des fusils et des grenades, il n’était jamais autosuffisant pour la fabrication de tous ses armements et à cette époque-là il dépendait beaucoup de la France pour des armements, y compris des tanks et avions qu’il améliorait et remettait en état.
En 1967, après la guerre des six jours que la France condamna, la France cessa d’armer Israël.
En 1973, lors de la guerre du Kippour, Israël vint à court d’armements et de devises. Ceci conduisit Israël à la décision d’exporter des armes afin d’assurer ces deux besoins. En ce temps-là, l’Europe, les USA et le bloc communiste contrôlaient déjà l’industrie militaire. Qu’est-ce qu’Israël pouvait proposer aux marchés ? Quelle serait sa compétence ? La réponse fut : des armes, non pour combattre une armée, mais pour opprimer et combattre les soulèvements civils et contrôler la population civile : un champ dans lequel Israël ne manquait pas d’expérience.
Au début des années 1980, 25 % des exportations d’Israël constituaient en armes.
Dans les années 90, le commerce mondial des armes a connu deux changements significatifs : après la guerre froide, le besoin en armes était moindre et l’Europe et les États-Unis ont changé leurs valeurs et commencé à prendre en considération les droits humains. Ce fut pour Israël une bonne occasion de les remplacer en armant les pays qui violaient les droits humains.
D’après le droit israélien, Israël est lié aux décisions du Conseil de sécurité de l’ONU, mais ceci n’a pas empêché Israël de vendre des armes au Rwanda pendant le génocide, à l’ex-Yougoslavie pendant la guerre en Serbie ou à l’Afrique du Sud pendant l’apartheid.
Même en septembre dernier, des armes israéliennes sont parvenues au Myanmar, un pays qui a été sous embargo de l’UE et les USA depuis le début des années 90.
De tous les pays du monde, Israël a la première industrie sécuritaire rapportée à son économie et exporte des armes dans 130 pays. Tous les pays marqués en rouge sur cette carte achètent des armes israéliennes. Israël refuse de se joindre aux 82 Etats qui ont ratifié le Traité sur le Commerce des Armes et qui s’engagent à ne pas vendre d’armes pouvant être utilisées pour des génocides, des crimes contre l’humanité et des violations des droits humains, parce qu’il craint que le signer amènerait les Etats à cesser le commerce avec Israël.
Et voici à quoi les armes israéliennes ressemblent dans le monde :
(De gauche à droite : armes israéliennes en Éthiopie, à Ferguson, Missouri, vous savez, là où les protestations de Black Lives Matter ont été cassé violemment par la police ? La police était entraînée par Israël. Des tanks israéliens au Brésil où Israël a entraîné la police à traiter les favelas de Rio sur la base de l’expérience de l’IDF à Gaza ; une barrière israélienne au cachemire entre l’Inde et le Pakistan ; des armes israéliennes au Nigéria, au Pérou, des drones israéliens au-dessus du ciel de Gaza, Ferguson à nouveau et une barrière israélienne à la frontière Mexique-USA).
Mais Israël n’est pas seulement un des plus grands exportateurs d’armes, en 2014 c’était le sixième importateur d’armes, important principalement des USA, qui fournissent à Israël deux milliards de shekels d’aide militaire chaque année, dont 75 % doivent être utilisés pour acheter aux USA. De Grande-Bretagne, Israël importe principalement des composants pour les avions de combat et les drones ainsi que des munitions antichars et des viseurs de nuit.
Royaume-Uni-Israël : les liens par les armes
Deux exemples de sociétés d’armement ayant des sites au RU et armant Israël :
- Elbit Systems, la compagnie israélienne qui fabrique le Hermes 900, utilisé pour la première fois dans l’opération « Bordure protectrice », a 4 sites au RU
- G4S, une compagnie britannique de sécurité privée qui fournit des services pour les affaires dans les colonies de Cisjordanie, les centres de détention, les prisons pour prisonniers politiques palestiniens et les checkpoints.
Globalement, en 2014 la Grande-Bretagne a accordé pour près de 16 millions d’euros de licences d’exportation pour Israël et plus de 32 millions d’euros de licences d’exportation à double usage.
Juste un exemple sur ce que double usage signifie, car c’est un terme très ambigu. À ma première visite à une exposition d’armes sans pilote, j’ai été surprise par la manière de vendre les drones. Subitement, l’usage principal des drones était de « porter des caméras » et de « livrer des solutions ». Quand j’ai demandé à un représentant d’IAI (Israel Aerospace industries) à propos d’un drone de 30 m de long s’il pouvait aussi être utilisé pour transporter des bombes, il a répondu : « les choses comme d’employer des drones pour des exécutions à Gaza – nous n’en parlons pas ». J’ai du mal à imaginer que ceci soit considéré comme un objet à double usage, mais peut-être les composants n’étaient-ils ? Je n’ai pas moyen de savoir.
Soutien public
Si l’on cherche à comprendre la base du soutien populaire pour le commerce des armes, il est intéressant de voir le discours populaire sur la situation sécuritaire d’Israël ; un petit pays entouré d’ennemis, isolé diplomatiquement à cause du BDS (boycott, désinvestissement, sanctions), les Juifs n’ayant nul autre lieu où aller et la survie en dépit de tout grâce à notre forte armée et à notre technologie de pointe.
Ce discours – qui n’a presque pas bougé depuis la fondation de l’État – est maintenu via le système éducatif et les médias et entretient la peur. La peur légitimise la nécessité des solutions militaires et de la militarisation de la société, seul moyen pour nous d’être en sécurité. Par exemple : cette photo de soldats armés parlant dans une école montre un scénario banal que j’ai connu bien des fois au collège ; des soldats venant à l’école pour partager leur expérience, expliquer les différents postes dans l’armée et encourager à un « service effectif ».
La peur et la militarisation contribuent à un manque de transparence. Tout ce qui a à faire avec la « sécurité » est laissé à la décision d’un petit cercle intérieur, loin du discours public sur les « raisons sécuritaires ». Ceci est vrai pour tout ce qui à faire avec la « sécurité », que ce soit la question de la possession par Israël d’armes nucléaires et d’autres armes de destruction massive ou pour le budget de la sécurité. Seuls 20 % du budget de la sécurité sont transparents à la Knesset (le Parlement israélien) et au Ministre des finances qui doit l’approuver. De plus, d’énormes sommes d’argent sont ajoutées au budget initial en cours d’année sans être examinées par le Parlement.
En regardant le budget de la défense pour 2015, vous pourrez voir qu’après un ajout en décembre, un ajout pour l’opération Bordure protectrice, un ajout sécuritaire spécial et l’aide militaire des USA, le budget est environ 20 % plus grand qu’à l’origine.
Ce manque de transparence est aussi vrai pour le commerce des armes. Le service de contrôle des exportations n’a été créé sur pression américaine qu’en 2007 et fait partie du ministère de la défense. Il consiste en 2 ou 3 employés responsables du suivi de 8000 personnes et compagnies et de 400 000 licences de fabrication et d’exportation par an. Cette information sur le nombre de licences, ainsi que la donnée sur 130 pays n’a été connue que grâce à une requête sur la liberté d’information effectuée par Eitay Mack, un juriste des droits humains, mais il nous reste à découvrir qui sont les 8000 personnes et compagnies car en ce moment seuls 0,02 % de leur noms sont indiqués.
Le commerce des armes et l’occupation
Toute cette industrie dépend de l’occupation et de l’usage par l’IDF des armes développées pour la guerre et pour le maintien de l’occupation ; non seulement le ministère de la défense et le gouvernement ne stoppent par les exportations, mais ils les soutiennent et les assistent. Ce n’est que récemment qu’il a été révélé que le ministère de la défense donne aux marchands d’armes des lettres de recommandation dans lesquelles ils déclarent que l’armement en question a été utilisé avec succès par les soldats de l’IDF.
Ceci se voit aussi à l’ISDEF, la plus grande exposition d’armements d’Israël, qui est présentée comme le meilleur endroit pour « rencontrer vos homologues d’Israël, par exemple les utilisateurs finaux et les décideurs de : l’IDF, le MOD (Ministère de la défense), la police, le service des prisons, le service incendie, le SAR (recherche et sauvetage), les industries de la défense, les agences de sécurité civile et les services gouvernementaux ». Elle déclare aussi qu’il y aura « des responsables internationaux et des professionnels de l’industrie de plus de 90 pays » mais il est impossible de trouver une liste des pays.
Présente à cette exposition comme journaliste, c’était la première fois que j’étais exposée au commerce des armes, et je fus choquée par sa normalité apparente, tous ces gens déambulant, regardant des armes « éprouvées au combat », testées et certifiées tueuses de gens, pourtant l’atmosphère était juste comme n’importe quelle autre exposition, ils auraient pu pareillement vendre des appareils photo ou des cosmétiques.
Mais qui sont ces trafiquants d’armes ? Nombre d’entre eux sont d’anciens officiers supérieurs, certains encore réservistes, en va-et-vient entre l’armée et l’industrie. L’armée a besoin de ces industries militaires pour développer des systèmes pour elle, tandis que les compagnies d’armement ont besoin de la réputation de l’IDF pour promouvoir les ventes à l’étranger.
Cette porte pivotante se produit à plusieurs niveaux :
- Des anciens combattants des unités spéciales partent comme gardes de sécurité en Arabie Saoudite ou au Kenya (comment les recruteurs de ces pays obtiennent-ils les noms des anciens combattants ?)
- Des diplômés de l’ « administration civile » vont dans des services de consultants sur la base de leur expérience dans le contrôle de la population civile sous gouvernement militaire en Cisjordanie, et dans des choses telles que délivrer des permis de passer aux Palestiniens.
- Des officiers de haut rang et des généraux vont dans l’exportation et la médiation. La médiation consiste à assister d’autres pays à vendre les uns aux autres. À peu près partout ce genre de boulot exige un permis, mais pas en Israël.
Ceci veut dire que les généraux, qui choisissent de partir en guerre, s’impliquent dans les nouvelles armes utilisées en combat comme des VRP pour les produits de leurs associés – produits qui peuvent ensuite être estampillés « éprouvés au combat ».
Comme lors certains usages dans l’Histoire, de nos jours le commerce des armes est utilisé comme un moyen diplomatique : par exemple, vendre des armes au Rwanda et au Nigéria en échange de leur abstention au conseil de sécurité de l’ONU sur le vote de la reconnaissance de la Palestine.
Un autre exemple, c’est les armes données au rabais au Rwanda et à l’Ouganda en échange de leur accord pour accepter des demandeurs d’asile du Soudan et d’Érythrée.
Et si vous n’êtes pas encore convaincus, je laisse les trafiquants d’armes parler pour eux-mêmes. L’un d’eux a dit à Haaretz : « Un scénario où il n’y aurait pas de grandes opérations militaires dans 20 ans toucherait sévèrement les industries de l’armement ».
La question restante est : comment travaillons-nous contre ça ? À Hamushim, nous nous focalisons sur la société israélienne : en répandant l’information et en faisant campagne nous essayons de changer le discours des industries militaires comme nécessaires à la sécurité, pour déplacer le discours sur leur rôle belliciste et profiteur de guerre.
Le général Yoav Galant a parlé de l’hypocrisie des pays qui condamnent la guerre et qui achètent les armes qui sont testées, et j’ai tendance à être d’accord. Quiconque veut que ce conflit sanglant finisse doit cesser de l’alimenter avec des armes. Et c’est vrai de tous les conflits.
Ici en Europe, il semble que les choses aillent dans la bonne direction : l’IDF a demandé au compagnies israéliennes d’armes de développer des composants achetées en Europe jusqu’à présent parce que la fourniture n’est pas suffisamment régulière pour s’appuyer dessus. Et elle craint que des éléments soient interdits exportation vers Israël.
Alors qu’il pourrait paraître qu’un embargo sur les armes n’aurait pas d’effet sur Israël car il serait capable de faire ses propres armes, ce n’est pas complètement vrai. En plus qu’Israël soit le sixième plus grand importateur militaire, les accords d’Israël avec les USA l’empêchent de fabriquer des produits en compétition avec ceux des compagnies américaines. De plus, 75 % de la fabrication sécuritaire israélienne est pour l’exportation. Les industries militaires israéliennes se concentrent actuellement sur le développement d’armes nouvelles et innovantes ou d’additifs aux armes existantes pouvant surprendre dans le champ de bataille et donner un avantage stratégique. Sera-t-il financièrement faisable de développer des armes sachant qu’elles ne seront utilisées que par l’IDF est pas vendues ensuite comme éprouvées au combat ?
Selon le droit britannique, la Grande-Bretagne a toutes les raisons de stopper le commerce des armes avec Israël. D’après le droit britannique, les armes ne devraient pas être vendues s’il y a un risque qu’elles soient utilisées pour la répression intérieure, pour aggraver des tensions ou des conflits existants, et devrait tenir compte du respect du droit international par le pays acheteur. Alors selon ses propres lois, la Grande-Bretagne a toutes les raisons de stopper le commerce des armes avec Israël.
J’aimerais finir par une action que je trouve stimulante. Cette occupation du toit d’Elbit a fait stopper la fabrication pendant deux jours pendant l’opération Bordure protectrice, et les charges contre les militants ont été abandonnées parce qu’Elbit ne voulait pas exposer ce qu’il fabriquait, de peur que cela prouve que son activité était illicite.
En tant que militants intéressés à promouvoir une paix juste entre la rivière Jourdain et la mer Méditerranée, stopper le commerce des armes avec Israël devrait être au plus haut de notre liste de priorités. Le commerce des armes avec Israël est un des moyens les plus directs par lequel d’autres pays sont impliqués dans l’occupation et ils devraient être acculés à stopper cette participation. L’occupation du toit d’Elbit est précisément un des nombreux moyens de viser cette participation.
Des militants du Royaume Uni occupent le toit de l’usine d’Elbit Systems.
Publié dans War Profiteers News, May 2016, No. 50
Source : A Perspective on Israel’s Arms Trade
Traduction : JPB pour BDS France