Remi Kanazi est connu pour son recueil de poèmes, Poétique Injustice dans lequel il aborde l’occupation de la Palestine, l’histoire de ses grands-parents qui furent dépossédés et déplacés de leur terre natale en 1948, et d’autres formes d’injustice tel que le racisme. Il écrit aussi des articles d’opinion pour des médias, comme Al Jazeera (anglais), et pour les campagnes pour un boycott universitaire et culturel d’Israël.
Je l’ai rencontré chez Sharif, un bar à sandwich proche du centre culturel où il s’était produit la veille au soir, invité à une édition de l’évènement culturel belge, ‘Nuff Said. Ayant une autre représentation prévue le lendemain soir pour une initiative organisée par l’organisation islamique Al Mawada, il ne lui restait que peu de temps pour expliquer à Al.Arte.Magazine pourquoi et comment il utilise l’art pour son militantisme.
- Remi Kanazi dans les rues de Berchem (Esma Alouet)
A votre spectacle hier soir, vous avez mêlé la poésie avec un appel au boycott culturel d’Israël. Vous servez-vous de l’art pour pouvoir plus facilement inciter les gens à s’engager dans le militantisme ?
Je vois la poésie comme un moyen par lequel je peux faire passer mon message en utilisant un intermédiaire culturel. L’un de mes poèmes s’appelle Ce poème ne mettra pas fin à l’apartheid ». C’est-à-dire que l’art n’est pas au-dessus de la politique, l’art ne va pas faire tomber les murs de l’apartheid, mais l’art peut être utilisé comme un facteur important dans la contestation du racisme, du patriarcat et des systèmes d’oppression. L’art est donc un outil important pour faire levier contre les systèmes d’oppression. La résistance culturelle a toujours été en première ligne dans ces mouvements.
Vous êtes dans le comité d’organisation pour la Campagne états-unienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël. Un argument qu’on entend souvent soutient que les Israéliens méritent eux aussi d’avoir l’art et des concerts. Que répondez-vous à cela ?
Quand l’art est lié à une oppression étatique, ce n’est plus simplement de l’art. Quand vous avez des ministres israéliens qui disent ne voir aucune différence entre culture et la hasbara, qui signifie propagande, nous devons les prendre au sérieux. Quand un ministre israélien dit que des troupes de théâtre et des artistes vont être envoyés à travers le monde pour présenter une belle image d’Israël, de sorte qu’on ne le voit pas seulement dans le cadre de la guerre, nous devons le prendre au sérieux. Quand le ministre des Affaires étrangères fait signer des contrats à des artistes en tant que prestataires de service pour promouvoir les intérêts politiques de l’État d’Israël, nous devons le prendre au sérieux. Ce n’est pas un boycott des personnes, c’est un boycott des institutions. Le boycott culturel a été considéré comme un mécanisme essentiel pour arracher le voile d’invincibilité du régime d’apartheid en Afrique du Sud. L’appel BDS (Boycott, Désinvestissements et Sanctions) pour l’Afrique du sud n’a fait mourir personne de faim, il s’est attaqué aux murs de l’apartheid, et c’est la même situation en Palestine.
Pensez-vous que la campagne BDS fasse progresser la lutte pour une Palestine libre, ou comprenez-vous les gens qui peuvent être pessimistes à propos de cette approche ?
Rien que pour le boycott culturel, nous avons vu des annulations de concerts par des artistes comme Elvis Costello, Björk, Snoop, Dogg, Bono, Santana, les Pixies, Klaxons, Gorillaz, Vanessa Paradis et Faithless. Nous avons vu un soutien dynamique au boycott culturel et à BDS de la part d’Angela Davis, Alice Walker (auteur de La Couleur pourpre), Roger Waters (membre fondateur de Pink Floyd), et d’auteurs célèbres comme Naomi Klein. Cinq cents artistes de Montréal ont signé le BDS et le boycott culturel, 240 ont fait de même en Irlande, 140 en Suisse, et 200 autres aux États-Unis. Les Sud-Africains ont dit : « en 7, 8 ans, votre appel au boycott est beaucoup plus avancé que le nôtre l’était alors ». Donc, si vous vous en tenez à voir comment les choses se présentent dans l’instant, vous pouvez très facilement être pessimiste. Mais si vous comparez le présent avec ce qui existait il y a dix ans, je pense qu’il y a toute les raisons d’être positif. »
Vous n’exprimez pas votre opinion seulement à propos de la Palestine. Lors de la représentation d’hier soir vous nous avez offert un poème extrêmement puissant sur les droits des femmes. Espérez-vous que les militants pro-palestiniens qui peuvent être conservateurs quand il s’agit de féminisme seront incités à agir pour les droits des femmes aussi ?
La chose importante pour comprendre est que le Palestine n’est pas la seule question. Les Palestiniens ne sont pas des gens à part, mais ce qu’ils sont n’en mérite pas moins la liberté, la justice et l’égalité. Je pense qu’en fin de compte, nous nous battons contre l’oppression partout où nous la voyons. Qu’il s’agisse de sexe, de sexualité ou d’oppression étatique, ou de s’en prendre à telle ou telle ethnie. Il ne s’agit pas de la Palestine ou d’un drapeau. Il ne s’agit pas d’un État nation ou d’une religion. Il s’agit de ce que l’on fait à un peuple. Je dénonce le sexisme et le patriarcat et l’homophobie. Quand je dis que je suis contre le racisme et l’oppression, cela ne s’arrête pas aux lignes de couleur. L’idée que nous pouvons écarter des droits à partir de la sexualité ou du sexe d’une personne est fondamentalement ridicule.
« Non c’est non
Mais les peut-être
Imprègnent la société
A travers la culture patriarcale
Les magazines accusant la victime
Ne croyant pas la victime
Elle s’avança
Mais nous avons d’autres questions
Pour la victime
Les vies dans un monde de peut-être
Il est plus facile de se détourner
Que de prendre position
Non c’est non
Cela va au-delà
De votre mère ou de votre sœur
Non c’est non
Qu’est-ce que tu ne comprends pas
Dans les paroles qu’elle prononce
Un corps de femme
Est un corps de femme
Non c’est non
Il n’y pas de peut-être
Quand il s’agit d’un viol«
Extrait d’un poème inédit de Remi Kanazi sur les droits des femmes.
Que diriez-vous aux fans qui ne sont pas d’accord ?
Je ne suis pas ici pour passer la main dans le dos ou flatter l’égo de qui que ce soit. J’ai commencé à écrire alors les bombes tombaient sur Gaza. La brutalité innommable du sionisme m’a poussé à écrire. La violence sexuelle est bien peu signalée aux États-Unis alors que des personnes sont traitées comme des (citoyens) de seconde zone à cause de leur sexualité. Il ne devrait y avoir aucune honte ni aucune hésitation à combattre toutes les formes d’oppression. Je continue d’écrire sur les questions des femmes et sur les droits des homosexuels, sur les droits de toute personne, même quand c’est inconfortable, parce qu’en fin de compte, la Palestine a toujours été une question inconfortable. Elle a toujours été la question qu’on ignore, et nous devons tous défier l’oppression au sein même de nos communautés, sous quelque forme qu’elle se présente.
De quelles communautés parlez-vous ?
Je travaille beaucoup au sein de la communauté militante où je vois de nombreux groupes qui agissent comme s’ils étaient non concernés par le racisme, le sexisme et l’homophobie, alors que ce n’est pas le cas. Le sexisme, c’est quelque chose qui existe de par ce monde, dans toutes les communautés, et il doit être contesté. Aussi, je pense que l’idée selon laquelle les Arabes et les musulmans sont des arriérés, des animaux sexistes, tandis que les Occidentaux nés blancs sont des éclairés, est un concept absolument faux et raciste. Le sexisme et le patriarcat sont un problème grave que nous devons tous aborder et affronter. Spécialement les hommes, les hommes dans le monde doivent s’en occuper, intervenir, et ne pas rester les bras croisés. Rester les bras croisés est une forme de silence et d’acceptation de l’oppression.
Donc, vous ne filtrerez jamais les choses dans votre représentation ?
Le seul moment où je censure mon travail, c’est quand il y a beaucoup d’enfants présents, je ne jure pas autant alors. S’il y a beaucoup d’enfants dans le public, je n’interprète pas le poème sur le viol, parce qu’il est vraiment sexuellement graphique. Mais jamais je ne tairai ni ne dénaturerai moi-même ce que je suis, ou ce que je défends.
On dit que vous êtes un poète en colère. Encore aujourd’hui, quelqu’un m’a dit que vous étiez très colère dans une vidéo où vous parlez de la Palestine. Est-ce que cela vous ennuie ?
Je suis catalogué et étiqueté comme le poète en colère ou politique, mais je joue et j’écris avec beaucoup d’espoir. Il est très facile de dire que quelqu’un est en colère. Si on avait bombardé votre famille, volé votre maison, vous seriez aussi en colère. Le problème n’est jamais l’émotion, c’est que ce que nous faisons de l’émotion. La colère n’est pas le problème et vous pouvez l’orienter dans un sens positif. Je ne dis pas seulement « Je suis en colère, que le monde aille se faire foutre ». Je n’aime même pas le mot colère. Je suis un passionné. Il y a des questions qui me tiennent à cœur parce que je veux voir un monde meilleur.
On a dit que Martin Luther King était « en colère » et bien pire encore quand parlait de la guerre du Vietnam ou de la lutte des classes en Amérique, c’est une calomnie utilisée contre des dirigeants aussi bien que contre des militants et des organisateurs. Quand vous regardez la lutte en Afrique du Sud, ce n’était pas la « population noire en colère qui simplement ne pouvait pas s’entendre avec la population blanche ». On dit aussi que les féministes sont des « femmes en colère ». Il y a beaucoup d’avantages avec le fait de ne pas être en colère. Mon objectif est de faire bouger les gens, même s’ils sont déjà solidaires avec la cause. Vous voulez qu’ils passent à l’étape suivante. Il fut un temps où je n’avais pas franchi cette nouvelle étape. »
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(le texte de l’intervention vidéo est traduit en français par l’Agence Media Palestine ci-dessous)*
Quelle peut être cette nouvelle étape ?
Quand j’ai commencé comme poète, j’ai beaucoup écrit à propos de grandir en Amérique pour un Palestinien et sur les concepts vagues d’une Palestine libre. Ce fut important dans mon évolution en tant que poète et militant. Mais passé un moment, j’ai commencé à ressentir un vide et je me suis mis alors à enseigner des ateliers, expérimenter de nouveaux types d’activités, élargir ma vision, je me suis remis en cause en tant qu’auteur. Après cela, j’ai commencé à travailler pour le BDS, parce que je ne me sentais pas totalement impliqué. Pas comme quelqu’un qui va agir et organiser une campagne BDS, mais il y a tant de façons avec lesquelles nous pouvons manifester notre soutien. Que ce soit en soutenant une organisation locale, en aidant à la construction d’un website, en gérant un compte Facebook ou Twitter pour l’organisation, en aidant à des brouillons de lettres, en rédigeant des lettres ou en aidant une nouvelle organisation qui a besoin de se professionnaliser. Il est également important de mettre en avant les Palestiniens qui s’expriment sur la Palestine.
Vous voulez dire comme le font l’évènement belge ‘Nuff Said et l’organisation Al Mawada : vous inviter à prendre la parole ici devant un public belge ?
Trop souvent, nous nous reposons sur des voix non palestiniennes parce qu’elles sont considérées comme « passant mieux ». Nous ne pouvons pas nourrir ce racisme. Les voix de la solidarité sont importantes, il est essentiel de construire avec un large éventail de communautés, et la diversité des voix qui s’expriment en faveur des droits palestiniens constitue l’une de nos forces. Pourtant, nous ne pouvons pas taire ou écarter la voie palestinienne. Nous devons continuer de faire entendre les voix de la Palestine, de créer des plates-formes, et non des obstacles, pour la voix et le récit palestiniens.
L’appel BDS provient de la société civile palestinienne. Il appelle les gens du monde entier à mettre fin à la complicité de leur société avec l’apartheid, l’occupation, et le nettoyage ethnique israéliens, à contester les violations du droit international et les crimes contre l’humanité. Nous ne faisons aux Palestiniens aucune faveur. Ce ne sont pas des victimes qui ont besoin d’aide, ils sont un peuple occupé et opprimé qui a besoin de liberté. Nos impôts, nos fabricants d’armes et nos politiciens se mettent en travers de cette liberté. Il est essentiel que nous fassions quelque chose à ce sujet, il est essentiel que nous contestions les systèmes d’oppression, il est essentiel que les peuples à travers le monde défendent les droits palestiniens et se placent du bon côté de l’histoire. Nous ne pouvons pas simplement nous asseoir autour de la table de cuisine et discuter de ce qui va mal dans le monde. Si nous voulons que cela change, nous devons prendre une part active au processus du changement.
Ecrit par Hasna Ankal
Remi Kanazi est un poète, écrivain et militant palestinien-américain. Il vit à New York. Il a édité l’ouvrage Poets For Palestine et publié un recueil de poèmes, Poetic Injustice. Ses commentaires politiques ont été publiés par de nombreux médias, dont Al Jazeera en anglais. Pour le contacter : remroum@gmail.com
12 décembre 2012 – Al.Arte.Magazine – http://www.alartemag.be/en/en-culture/remi-kanazi-palestinians-dont-need-aid-they-need-freedom/
traduction : Info-Palestine/JPP : http://www.info-palestine.eu/spip.php?article12992
* Texte intégral de la vidéo : Normalisez la situation ! Par Remi Kanazi
(traduction : Agence Media Palestine)
Il n’y a RIEN de normal concernant l’Occupation. Rien de normal concernant l’apartheid, le nettoyage ethnique, le siège, le blocus, les routes réservées aux colons, le bombardement de puits d’eau, d’écoles, de mosquées et de bâtiments de l’ONU.
Rien de normal dans le fait de priver une population civile de nourriture, de payer des étrangers non-autochtones pour coloniser une terre qui était déjà peuplée.
Réécrire la Nakba (la Catastrophe) avec d’autres enfances volées, tenter de cicatriser les plaies des balles et des griffes faites dans les corps de Basem Abou Rhame et Rachel Corrie : NON ! Je ne veux pas normaliser les relations avec vous.
Je ne veux pas vous prendre dans mes bras, boire un café, en parler, rompre le pain, m’asseoir autour d’un feu de camp, manger des chamallows et m’extasier sur le fait que tous les hommes sont égaux. Je ne veux pas partager l’affiche, co-écrire un poème, proposer une anthologie, parler de la façon dont l’art, plutôt que la justice, peut forger une meilleure voie. Je n’ai pas envie de céder à votre amnésie sur un passé glorieux, avoir une séance de thérapie de deux parties ayant les mêmes griefs.
La seule chose qui compte est la capacité morale qui permet à un Etat colonialiste de se développer avec sa propre culture. Je ne me battrai pas pour vos privilèges ni ne chercherai à les normaliser.
Votre groupe de dialogue est un terreau fertile pour l’injustice : il suffit de regarder quels sont les sponsors de la ZOA (Organisation sioniste d’Amérique). C’est le sionisme qui est une réelle menace démographique, qui propage le racisme dans les esprits de millions de gens. Ils portaient des cagoules dans le Sud, reléguant les peuples à la peau plus foncée dans les bantoustans, effrayant les jeunes gens dans les H-Blocks en Irlande du Nord. Au cas où vous n’auriez pas saisi l’allusion, je ne veux pas faire comme si tout allait bien, ou comme si personne n’avait produit les bombes qui tombent sur Gaza, comme si le pilote n’avait pas de nationalité, ou comme si Shimon Perez était différent d’Avidgor Lieberman. Ce n’est pas seulement l’Occupation, abruti !
C’est le Droit au retour, l’égalité pour tous les Palestiniens, la transformation d’un Etat raciste, exclusif, partisan de l’idéologie de la suprématie raciale en une Nation pour tous ses citoyens. Vous ne méritez RIEN… de plus que l’égalité ! Ce qui signifie plus que ce que l’on accorde aux réfugiés africains dans le sud de Tel-Aviv.
Vous êtes l’étoile qui brille au sommet des collines de colonies, rappelant au monde que le racisme se pare souvent d’un bel habit. On ne donne pas au Soudan 3,1 milliards de dollars d’aide militaire par an, on n’a pas d’accords de libre-échange préférentiels avec la Corée du Nord, on ne qualifie pas l’Iran de « démocratie ».
Vous êtes les mandataires d’un Empire, une autocratie des années 1950, parée de vêtements du XXIème siècle. OUI ! Vous êtes différents des autres pays, par l’aide, les armes et les vétos de l’ONU en votre faveur. Vous ai-je heurtés ? Devrions-nous nous prendre dans les bras après la représentation ? Est-ce que ces mots blessent plus que les bombes lancées sur Gaza ? Ou que le phosphore blanc dévorant la chair des enfants ? Je ne suis pas le méchant ! Vous défendez le mauvais système. Vos discours et vos actions entraînent des conséquences. On est soit pour l’oppression, soit contre elle. Je n’ai pas écrit l’ Histoire.
Je n’ai pas choisi pour vous de me placer du mauvais côté de l’ Histoire. Votre système d’oppression touche à sa fin, et que vous l’admettiez ou pas encore, on en sera libéré. Et vous aussi. »
Mais les peut-être
Imprègnent la société
A travers la culture patriarcale
Les magazines accusant la victime
Ne croyant pas la victime
Elle s’avança
Mais nous avons d’autres questions
Pour la victime
Les vies dans un monde de peut-être
Il est plus facile de se détourner
Que de prendre position
Non c’est non
Cela va au-delà
De votre mère ou de votre sœur
Non c’est non
Qu’est-ce que tu ne comprends pas
Dans les paroles qu’elle prononce
Un corps de femme
Est un corps de femme
Non c’est non
Il n’y pas de peut-être
Quand il s’agit d’un viol«
Extrait d’un poème inédit de Remi Kanazi sur les droits des femmes.