Le boycott culturel d’Israël est nécessaire, pas le dialogue. Nous avons eu le dialogue pendant des décennies et cela n’a apporté aucune justice.
par Omar Barghouti
Omar Barghouti est un militant palestinien des droits humains, indépendant, membre fondateur du mouvement BDS.
Le 19 juillet, alors que les forces israéliennes réprimaient brutalement des manifestations palestiniennes non violentes dans Jérusalem-Est occupé, Radiohead franchissait la ligne de boycott palestinienne pour jouer à Tel Aviv. Plus important encore, et exactement comme les défenseurs palestiniens et internationaux des droits humains en avaient averti, Israël jouait Radiohead, jusqu’à la dernière note.
Radiohead a ignoré avec entêtement la voix d’une écrasante majorité de Palestiniens appelant le groupe à ne pas saper nos droits et notre mouvement de Boycott, désinvestissement et sanctions (BDS), moyen indispensable et non violent pour les obtenir. Tout ce que nous avons demandé à Radiohead est de ne pas nuire à notre combat pour la liberté, la justice et l’égalité des droits humains, à défaut de l’aider.
Des dizaines d’artistes et de personnalités internationales dotés de principes, dont l’archevêque sud-africain Desmond Tutu, chef de file de l’anti-apartheid, les stars du theâtre Eve Ensler et Miriam Margolyes, les réalisateurs primés Mike Leigh et Ken Loach, et les musiciens de renommée mondiale Roger Waters, Thurston Moore et Dave Randall, nous ont rejoints dans un appel à Radiohead afin que le groupe s’abstienne de divertir l’apartheid israélien. Et des musiciens juifs israéliens progressistes ont fait de même.
À des concerts à travers l’Europe, des fans de Radiohead ont agité des drapeaux palestiniens et amplifié notre appel : pas de « business-as-usual » [faire comme si de rien n’était] tant qu’Israël ne respecte pas ses obligations selon le droit international.
Et pourtant Radiohead a continué avec son spectacle à Tel Aviv, permettant à Israël d’utiliser son nom pour blanchir, blanchir culturellement, leur siège de Gaza, le déplacement forcé des communautés palestiniennes à Jerusalem, dans la vallée du Néguev et du Jourdain, et la construction incessante de colonies et de murs illégaux sur le territoire palestinien —et syrien— occupé.
Pour ajouter l’insulte à l’injure, Radiohead a prétendu mieux savoir que les Palestiniens comment nous devions résister à l’oppression, une attitude coloniale classique. Ils sont devenus ainsi les chouchous de la propagande du gouvernement israélien et de ses groupes de pression.
Des dizaines de tweets de représentants du gouvernement israélien, d’ambassadeurs et de groupes de pressions israéliens ont jubilé devant la décision de Radiohead de violer le boycott culturel. Israël, après tout, voit « la culture comme un outil de hasbara [propagande] de premier ordre », comme l’a admis un jour un important représentant du gouvernement israélien.
Le « dialogue » qui se poursuit littéralement depuis des décennies a échoué à nous rapprocher d’un accès à la justice et à nos droits humains. Au contraire, il a profité magnifiquement à l’agenda d’Israël, en fournissant un voile pudique parfait à ses actions.
Radiohead a aussi été célébré par le commentateur conservateur américain Glenn Beck, Fox News, et un co-fondateur des Tea Party Patriots d’extrême-droite. Ces nouveaux fans devraient être un sujet d’inquiétude pour un groupe connu pour sa politique progressiste.
Deux jours après l’élection de Donald Trump comme président des États-Unis, le chanteur de Radiohead Thom Yorke a tweeté : « Dans les jours qui viennent, les commentateurs vont essayer de banaliser cet événement ». Et pourtant Radiohead a fait exactement la même chose pour le gouvernement israélien, les principaux médias israéliens de droite décrivant l’opposition publique du groupe à BDS comme le plus beau cadeau de « hasbara qu’Israël ait reçu récemment ».
Il est difficile de comprendre ce qui motive un groupe aussi important que Radiohead à écraser les droits palestiniens de cette manière, mais l’expérience héritée du boycott culturel de l’Afrique du Sud de l’apartheid peut fournir quelque éclairage. En 1984, Enuga S Reddy, le directeur du Centre contre l’Apartheid des Nations Unies, déclarait : « Nous avons une liste de gens qui ont joué en Afrique du Sud par ignorance de la situation, par attrait du gain ou par indifférence vis-à-vis du racisme. Nous devons les persuader de cesser de divertir l’apartheid, de cesser de profiter de l’argent de l’apartheid et de cesser de servir la propagande du régime d’apartheid ».
L’aspect positif est que les mois de campagne pour convaincre Radiohead d’annuler leur concert de Tel Aviv ont atteint le grand public dans le monde entier, augmentant la prise de conscience du combat pour les droits palestiniens chez des millions de gens qui ne s’étaient peut-être pas engagés là-dessus auparavant.
Avant même cette campagne, BDS avait déjà commencé à avoir un impact discernable, y compris aux États-Unis. Des 26 nominés aux Oscars en 2016, par exemple, aucun n’est allé à un voyage de propagande en Israël tous frais payés, et des onze joueurs américains de la National Football League, six ont refusé une offre similaire de la part du gouvernement israélien.
Il y a quelques jours, cependant, le chanteur de l’ancien groupe R.E.M, Michael Stipe, suggérait sur Instagram « que le dialogue », pas les boycotts, « mettrait fin à l’occupation [d’Israël] et conduirait à une solution pacifique ».
Mais le dialogue qui se poursuit littéralement depuis des décennies a échoué à nous rapprocher d’un accès à la justice et à nos droits humains. Au contraire, il a profité magnifiquement à l’agenda d’Israël, en lui fournissant un voile pudique parfait pour ses actions.
Pour qu’un dialogue soit éthique et efficace, il doit reconnaître que tous les êtres humains méritent les droits égaux reconnus par le droit international. Sinon, il privilégierait l’oppresseur et pérenniserait la notion de coexistence sous l’oppression plutôt que celle de co-résistance à l’oppression — une condition clé pour une coexistence éthique.
La réconciliation et le dialogue ne sont arrivés en Afrique du Sud qu’après la fin de l’apartheid, et pas avant, comme Desmond Tutu ne cesse de le répéter.
Dans une de ses chansons, Radiohead dit : « Certaines choses vous coûtent plus que vous ne réalisez ». En insistant pour se mettre du côté de l’oppresseur et en ignorant les appels de l’opprimé, Radiohead est devenu une partie du show israélien et a détérioré son blason de progressiste. Mais il est toujours temps de faire ce qu’il faut et de choisir le bon côté de l’histoire.
Omar Barghouti est co-fondateur du mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) pour les droits humains palestiniens ; il est co-récipiendaire du Gandhi Peace Award pour 2017.
Les opinions exprimées dans cet article sont celles de l’auteur et ne reflètent pas nécessairement la politique éditoriale d’Al Jazeera.
Traduction: Catherine G. pour BDS France
Article original : http://www.aljazeera.com/indepth/opinion/2017/07/radiohead-art-washing-israeli-apartheid-170730113743323.html