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Dans un article publié dans Le Monde du 2 mai 2019, intitulé « Le “boycott”, un art de la résistance passive à travers les siècles », Catherine Vincent présente de manière pédagogique et documentée l’origine du mot boycott, les différentes modalités de ce mode d’action collective et ses formes contemporaines.
L’actualité de la notion tient sans doute à ce que les consommateurs ont pris conscience du pouvoir que représentaient leurs décisions d’achat ou de refus d’achat. La montée en puissance de la consommation éthique a été analysée par les publicitaires et les professionnels du marketing (« Le boycott », par Marc Drillech, éd. Fyp, 2011). Elle permet de voir émerger le commerce équitable. Elle incite les entreprises à mieux prendre en compte le respect de l’environnement et de la santé humaine, les droits des travailleurs, la lutte contre les discriminations ou la réduction des souffrances animales. A l’heure des réseaux sociaux, l’exercice du « contre-pouvoir citoyen » que représente le boycott mené par les consom-acteurs remporte des succès, y compris en France, comme en atteste le site internet https://www.i-boycott.org/.
La campagne « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » (BDS) mentionnée dans l’article de Catherine Vincent constitue un exemple intéressant du caractère multiforme/ protéiforme de la notion.
Comme son nom l’indique, cette campagne, lancée en 2005 et visant à obtenir le respect du droit international par Israël, ne se limite pas à l’appel au boycott de marchandises (Voir « Boycott, désinvestissement, sanctions », par Omar Barghouti, éd. La Fabrique, 2010). Elle demande également aux entreprises étrangères de ne plus investir dans des sociétés israéliennes, tant il est vrai que la colonisation des territoires palestiniens et la militarisation de l’économie font maintenant partie intégrante de l’écosystème israélien. C’est la raison pour laquelle la BPCE, la BNP Paribas, le Crédit agricole, la Société générale et AXA, qui possèdent des participations dans des banques israéliennes finançant la construction de logements dans les colonies, sont invitées à désinvestir. La campagne BDS demande aussi aux Etats et aux organisations internationales de prendre des sanctions contre l’Etat d’Israël. L’UE est ainsi interpellée sur les raisons pour lesquelles elle refuse de suspendre son accord d’association avec Israël prévoyant pourtant, en ses articles 2 et 79, une suspension possible si l’une des parties viole les droits de l’homme.
Cependant, le volet « boycott » de la campagne BDS présente un caractère stratégique, car mobilisateur de simples citoyens / consommateurs. Cette dimension mobilisatrice est d’autant plus importante que BDS a été lancé par la société civile palestinienne (171 associations et syndicats), en faisant expressément référence aux campagnes historiques menées en Inde, à l’appel de Gandhi, et en Afrique du Sud, à l’appel de l’ANC. Ce faisant, elle s’inscrit tant dans la lignée des mouvements de boycott présentant une dimension politique et de décolonisation que dans celle des mouvements revendiquant l’égalité des droits ou le respect de droits économiques et sociaux (Voir « Une histoire populaire du boycott », par Olivier Estèves, L’Harmattan, 2006). L’exemple sud-africain, qui a donné lieu à une mobilisation des sociétés civiles au niveau international, constitue le modèle à suivre pour les inspirateurs de la campagne BDS, et se révèle particulièrement pertinent à l’heure où Gérard Araud, ambassadeur de France à Washington tout juste parti à la retraite, John Kerry, secrétaire d’État sous Barack Obama, et John Dugard, ancien représentant des Nations unies, se rejoignent pour qualifier la situation actuelle dans les territoires palestiniens occupés d’apartheid.
Dans le cadre de la campagne BDS, l’appel au boycott prend de multiples formes. D’une part, il ne vise pas que les produits israéliens ou ceux des colonies. Il peut concerner des produits de sociétés étrangères qui possèdent des intérêts financiers et économiques en Israël, notamment quand ces entreprises ont des liens avec le complexe militaro-industriel israélien (par exemple, Hewlett Packard, Caterpillar ou G4S). D’autre part, le boycott ne concerne pas que les produits. C’est ainsi que BDS demande à ses sympathisants de mettre en œuvre un boycott (ne plus coopérer avec les institutions israéliennes) dans les secteurs universitaire, scientifique, culturel, artistique, syndical, sportif, touristique etc. En effet, comme l’ont décrit Eyal Sivan et Armelle Laborie (« Un boycott légitime » éd. La Fabrique, 2016), les universités israéliennes et les manifestations culturelles en Israël possèdent des liens forts avec les institutions régaliennes qui mettent en œuvre la politique d’occupation et de colonisation et servent, pour le gouvernement israélien, à redorer un blason terni à l’étranger par la commission de crimes de guerre sur la population palestinienne.
Ce boycott répond en outre à une méthodologie précise. Dans son volet dédié aux produits commercialisés, la campagne BDS se focalise sur certains produits, marques ou entreprises (par exemple, Sodastream, Ahava ou Sabra), afin d’accroître sa visibilité et d’augmenter ses chances de succès. Dans son volet dédié aux institutions ou aux manifestations culturelles, BDS demande à ses membres d’appliquer des lignes directrices, qui rejettent toute mise à l’index personnelle et n’interdisent pas les coopérations entre les individus mais invitent à un boycott des institutions et évènements qui défendent ou promeuvent la perpétuation de l’occupation des territoires palestiniens. Ainsi, si 140 artistes internationaux ont demandé aux candidats de renoncer à participer à l’Eurovision en Israël, c’est parce que le gouvernement Netanyahou a contribué au financement de cet évènement et y sera représenté, en faisant un moment de propagande politique.
La campagne BDS aimerait bien promouvoir le « buycott » (l’acte d’achat en vue de soutenir une cause), mentionné dans l’article de Catherine Vincent. Malheureusement, les produits palestiniens – y compris agricoles – demeurent quasiment absents des marchés européens. La politique d’occupation menée sans discontinuer depuis 1967 a empêché l’émergence d’une économie palestinienne et les autorités israéliennes dressent d’incessants obstacles douaniers et réglementaires aux rares produits que les Palestiniens pourraient exporter. Olivier Estèves écrit dans son ouvrage que « le boycott est l’arme pacifique du faible contre le fort ». Une phrase qui est plus que jamais d’actualité pour la société civile palestinienne et pour tous ceux qui veulent que l’appel au respect du droit international par Israël ne reste pas une simple incantation.