Par Eric Simon (14 octobre 2010)
Des dizaines de plaintes pour « incitation à la discrimination raciale, nationale et religieuse » ciblent élus et militants associatifs. Tous participent à la campagne « BDS » qui appelle au boycott, au nom du droit international, des produits israéliens fabriqués dans les territoires occupés. Qui se cache derrière cette criminalisation de la solidarité ?
Depuis plusieurs mois, une avalanche de plaintes pour « incitation à la discrimination raciale, nationale et religieuse » – près de 80 ! – s’est abattue sur les militants de la campagne « Boycott Désinvestissement Sanctions » (BDS). Tous ont participé à des actions pacifiques sur des supermarchés. Ils invitaient les clients à ne pas acheter les produits « made in Israël », dont un nombre non négligeable viennent des colonies de Cisjordanie et sont donc, en principe, sous le coup de diverses résolutions internationales. La dernière en date est celle de la Cour de justice de l’Union européenne qui a, le 25 février 2010, statué que « les produits originaires de Cisjordanie ne peuvent bénéficier du régime douanier préférentiel de l’accord CE-Israël ». Une résolution restée, comme les précédentes, sans suites…
Un ancien déporté accusé d’antisémitisme
« Nous agissons en tant que citoyens pour imposer le droit international qui n’est pas appliqué contre un pays qui le viole constamment, martèle la sénatrice verte Alima Boumediene-Thiéry, parce qu’il ne reste plus que les actions citoyennes pour imposer la force du droit et la justice contre l’impunité dont bénéficient les autorités israéliennes. Sans justice, il ne peut y avoir de paix ! » Outre la sénatrice et Omar Slaouti, membre du Nouveau parti anticapitaliste (NPA) convoqués au tribunal de Pontoise (Val d’Oise) ce 14 octobre, les procès concernent Sakina Arnaud, de la Ligue des Droits de l’Homme, dont le jugement sera rendu le 22 octobre à Bordeaux, trois militants de Perpignan, et cinq militants de Mulhouse.
Les plaignants ont ajouté à cette charrette rien moins que Stéphane Hessel, co-rédacteur de la Déclaration Universelle des droits de l’homme, puis ambassadeur de France, notamment en Israël. En clair, tous sont accusés d’être des antisémites. Il fallait quand même oser, surtout pour Stephane Hessel, ancien résistant français déporté à Buchenwald… Il est vrai que les attaques ont été lancées par des organismes qui n’ont peur, ni de l’outrance, ni du ridicule.
Des plaignants à la réputation sulfureuse
Qui sont-ils ? Si l’on excepte la Chambre de commerce et d’industrie Israël-France, dont c’est le rôle de défendre ses intérêts et, comme le souligne son site, « de limiter l’impact de la tempête politique et de la houle économique internationale sur les relations économiques et industrielles israélo-françaises », les autres plaignants poursuivent un tout autre objectif. L’ancien policier Sammy Ghozlan et son « Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme » (BNVCA) sont restés célèbres pour avoir en 2004 informé la presse de « l’agression antisémite » contre une jeune fille dans le RER D, sans aucune vérification (un comble pour un ancien policier)… Avec le dénouement que l’on sait : la victime en question avait affabulé. En 2008, il récidive dans l’amateurisme piteux en faisant passer pour une attaque antisémite une bagarre entre gangs de jeunes dans le 19ème arrondissement de Paris. Enfin, en octobre 2009, après avoir laissé plané le soupçon d’antisémitisme sur le comédien François Cluzet qui avait popularisé le cas du franco-palestinien Salah Hammouri, il a condamné « les propos délirants de Jacques Attali qui fait preuve d’ignorance, de négationnisme en assurant que les juifs mentent sur l’antisémitisme qu’ils subissent, laissant croire qu’il s’agit d’une propagande d’Israël ». Quand on est capable d’attaquer Attali pour négationnisme, on peut bien faire passer Hessel pour antisémite…
L’association Avocats Sans Frontières, présidée par Me Gilles William Goldnadel et qui n’a rien à voir avec l’ONG internationale du même nom, est tout aussi outrancière dans ses attaques, mais relève d’une stratégie beaucoup plus politique. Goldnadel, que l’on situe volontiers à l’extrême-droite du Conseil représentatif des institutions juives de France (Crif), est celui qui a le plus dilué le terme « antisémitisme » en l’accolant à tous les critiques des politiques israéliennes, surtout s’ils sont de gauche. Parmi ces cibles célèbres, directes ou indirectes puisqu’il ne fut parfois « que » l’avocat de « plaignants », on compte le journaliste Daniel Mermet, le philosophe Edgar Morin et le chercheur Pascal Boniface. Ils ont évidemment tous gagné leurs procès. Mais le procédé permet de laisser planer un soupçon censé les délégitimer aux yeux de l’opinion. C’est là le but premier du personnage.
Quand on retrouve l’extrême-droite
L’antisémitisme idéologique visant les juifs français, généralement lié à l’extrême droite ? Goldnadel n’en a cure. On peut le comprendre : ses idées politiques foncièrement réactionnaires et sa haine quasi rabique de la gauche l’ont porté vers des amitiés ou des actes qui sentent parfois le soufre. Qu’on en juge : c’est au nom de la lutte pour le « Droit à la Sécurité » qu’il s’est lié avec Anne Kling, dirigeante du parti d’extrême-droite « Alsace d’Abord » et antisémite sans complexe, auteure d’un ouvrage éclairant sur « La France LICRAtisée ». Ce livre aux relents nauséabonds est préfacé par une vieille connaissance : Alain Soral, l’éminence grise d’un Dieudonné qui fut la cible de Goldnadel. Mais Alain Soral a toujours été épargné par notre avocat malgré ses sorties « antisionistes ». Logique : on n’attaque pas l’ami qui lui a permis de faire connaissance avec Marine Le Pen.
En 1999, Goldnadel avait signé la pétition « Les Européens veulent la Paix » initiée par la Nouvelle Droite contre l’intervention de l’OTAN au Kosovo avec une belle fourchette de fachos, la plupart peu judéophiles, certains flirtant même avec les négationnistes. Certains signataires égarés avaient retiré leur paraphe. Goldnadel n’a jamais eu ce scrupule. Il préside également l’association France-Israël, dont la structure jeune est tenue par son poulain Alexandre Gitakos. Ce jeune militant ultrasioniste a accompagné la renaissance du GUD sur les universités, un groupuscule violent connu pour son idéologie clairement antisémites, mais d’abord et avant tout anti-gauches !
Interventions ministérielles ?
Pire, ces personnages croient pouvoir compter sur des soutiens de poids : François Fillon et Michèle Alliot-Marie. Cette dernière tempête désormais contre les « scandaleux mouvements de boycott des produits israéliens ou casher » (dixit Fillon) alors que la campagne BDS n’a jamais ciblé ces derniers. Qu’importe, la garde des Sceaux réclame « davantage de sévérité ». Et les conséquences suivent. La plainte du magasin Carrefour contre Sakina Arnaud, à Bordeaux début 2009, est requalifiée par le procureur de « dégradation » – un autocollant sur un produit – en « incitation à la discrimination raciale, nationale et religieuse » suite à l’intervention de la Garde des Sceaux…
Le Collectif national pour une paix justeet durable entre Palestiniens et Israéliens a rendu public le 11 octobre une pétition de soutien contre « la répression » et pour « la liberté d’expression ». Elle regroupe déjà 110 signatures de politiques, de gauche – Olivier Besancenot (NPA), Marie-George Buffet (PCF), Eva Joly, Daniel Cohn-Bendit, Cécile Duflot (Europe Ecologie), Martine Billard (Parti de gauche) ou la députée socialiste Patricia Adam… – mais aussi de l’UMP (Adrien Gouteyron, sénateur de Haute-Loire), des intellectuels (comme le philosophe Edgar Morin), et des journalistes (Hubert Debbash, PDG de l’hebdomadaire Témoignage Chrétien, ou encore Laure Adler).
Parallèlement, des lettres de soutien « Moi aussi, je boycotte » circulent, notamment en Alsace. Les signataires, tel le sénateur vert du Haut-Rhin Jacques Muller, s’y déclarent « totalement solidaire des prévenus » et donc prêts à être mis en examen : « Comme pour l’Afrique du Sud du régime d’apartheid, le boycott proposé par cette campagne me semble désormais l’ultime moyen, parfaitement pacifique, de faire pression sur le gouvernement actuel d’Israël pour l’obliger à respecter les Droits de l’Homme et le droit international, sans lesquels nous serions tous menacés par la loi du plus fort, c’est à dire par la barbarie. Je cesserai bien entendu de boycotter l’Etat d’Israël et ses produits quand il cessera de priver le peuple palestinien de ses droits fondamentaux. »
Eric Simon