Depuis 2009, en France, des militants associatifs se mobilisent dans les commerces, les entreprises, les universités, les médias pour que les consommateurs boycottent l’achat de produits israéliens et que les citoyens exigent de leurs responsables politiques des actions concrètes contre la politique illégale et injuste de l’État d’Israël. Ils sont de plus en plus nombreux à rejoindre la campagne internationale BDS pour «Boycott, Désinvestissement, Sanctions» qui appelle à agir pour le respect du droit international en Palestine. Il s’agit d’une campagne internationale, citoyenne et non-violente, qui a lieu dans plus de 40 États dans le monde.

La campagne BDS trouve son origine dans l’appel lancé, le 9 juillet 2005, par 172 partis, organisations et syndicats palestiniens : «Nous, représentants de la société civile palestinienne, invitons les organisations des sociétés civiles internationales et les gens de conscience du monde entier à imposer de larges boycotts et à mettre en application des initiatives de retrait d’investissement contre Israël tels que ceux appliqués à l’Afrique du Sud à l’époque de l’apartheid».

Elle a pour but d’exercer une pression sur l’État d’Israël, notamment, pour qu’il renonce à la colonisation de la Cisjordanie et de Jérusalem-Est, ainsi qu’à la construction du mur de séparation. Rappelons que, si la colonisation et le «mur» ont été déclarés illégaux par l’avis de la Cour internationale de justice de La Haye du 9 juillet 2004, les États n’ont rien fait ou presque pour pousser Israël à se conformer à cette décision, alors qu’il leur revient de «faire respecter» le droit international. La campagne BDS ne fait finalement que rappeler aux gouvernements leurs obligations légales.

Cependant, la France est le seul pays (avec Israël depuis 2011) à envisager de la rendre punissable pénalement. Un texte interne au ministère de la Justice adopté le 12 février 2010, dite «circulaire Alliot-Marie», garde des Sceaux de l’époque, ordonne aux procureurs de poursuivre ceux qui appellent au boycott des produits israéliens. Depuis l’adoption de la circulaire, des poursuites pénales ont été engagées contre plus d’une quarantaine de militants de la campagne BDS pour «provocation à la discrimination raciale, nationale ou religieuse». La situation est d’autant plus choquante que les militants de la campagne alertent le public et l’administration sur une violation du droit français et européen par les autorités israéliennes.

En effet, il est de notoriété publique qu’Israël délivre des certificats de manière indifférenciée à des produits fabriqués dans les colonies israéliennes de Cisjordanie ou sur le territoire israélien, tant et si bien que le consommateur n’est pas informé de l’origine des produits qu’il achète. Cependant, que l’on soit pour ou contre le boycott de l’État d’Israël ou même indifférent au problème, la circulaire Alliot-Marie est profondément choquante pour au moins trois raisons.

Tout d’abord, l’appel au boycott fait partie du débat politique républicain. C’est un droit qui s’exprime depuis des décennies en France, comme un droit à la revendication et à la critique. La tentative de pénalisation actuelle de la campagne BDS – à l’initiative du ministère de la Justice – s’inscrit en contradiction avec une tradition française d’action politique non-violente. Madame Taubira a d’ailleurs qualifié l’appel au boycott des produits issus d’un régime oppressif de «pratique militante, reconnue, publique» et admet l’avoir encouragé en son temps contre les produits sud-africains. Jamais il n’avait été envisagé de pénaliser la campagne de la société civile contre l’apartheid sud-africain. Aucune poursuite n’a été engagée en France contre ceux qui appellent au boycott des produits chinois, en raison de la situation au Tibet, ou des produits russes, en raison de la situation en Tchétchénie. Rien de tel, non plus, contre ceux de nos responsables politiques qui ont appelé à sanctionner le Mexique, à cause de la détention de Florence Cassez, ou encore, l’Ukraine, à cause de l’emprisonnement de Ioula Timochenko.

Ensuite, l’appel au boycott n’est pas interdit en droit français, tant qu’il ne tombe pas dans le champ d’application des deux textes du code pénal qui interdisent la discrimination (article 225-1) et l’entrave à l’exercice d’une activité économique (article 225-2). La circulaire Alliot-Marie affirme, sans le démontrer, que l’article 24 alinéa 8 de la loi de 1881 sur la presse permettrait de réprimer les appels lancés par des citoyens au boycott de produits issus d’un État dont la politique est contestée. En réalité, cet article est destiné uniquement à réprimer les appels discriminatoires contre des personnes physiques. Or, la circulaire l’interprète de manière extensive, en contradiction avec la règle de l’interprétation stricte des lois pénales. Madame Taubira a même reconnu que cette circulaire contenait une interprétation de la loi qui pouvait être considérée comme «injuste» ou «abusive». Cette interprétation est d’autant plus malvenue que la campagne BDS condamne toute forme de racisme et d’antisémitisme et n’utilise que des moyens pacifiques pour convaincre les consommateurs.

Enfin, le droit européen interdit une telle pénalisation. Toute interprétation du droit français dans le sens de la pénalisation de propos appelant à des mesures coercitives (boycott, embargo, suspension de la coopération, gel des avoirs, retrait des investissements, etc.) contre un État critiqué pour ses violations du droit international est contraire à la convention européenne des droits de l’homme qui protège la liberté d’expression. La Cour européenne des droits de l’homme rappelle, régulièrement, que les groupes militants bénéficient, sur des sujets politiques, d’une protection renforcée de leur liberté d’expression. La cour d’appel de Paris a d’ailleurs relaxé des militants de la campagne BDS, considérant que les propos tenus constituaient une forme de critique pacifique de la politique d’un État, et donc relevaient du droit à l’expression sur un sujet d’intérêt général.

Une abrogation immédiate de la circulaire Alliot-Marie s’impose. Il est indispensable de lutter contre les discriminations, le racisme et l’antisémitisme. Il est tout aussi indispensable de respecter la liberté d’expression de ceux qui se mobilisent pacifiquement pour que le droit international soit appliqué en Palestine et ailleurs.

Rony BRAUMAN Médecin, essayiste, François DUBUISSON Professeur de droit international à l’Université libre de Bruxelles (ULB) , Ghislain POISSONNIER Magistrat et Pierre OSSELAND Avocat

Source: http://www.liberation.fr/monde/2014/04/17/la-france-contre-les-defenseurs-du-droit-international_999652