Par Eleanor Kilroy
L’utilisation du sport pour unir les enfants divisés par la violence de la rue et traumatisés par la guerre est une idée convaincante. « Un jeu sérieux : l’objectif est la paix » est le titre d’un article d’Alison Craiglow Hockenberry paru dans Huffington Post le 7 juillet. Il commence par l’anecdote d’un jeune Jürgen Griesbeck surmontant le meurtre de son ami en Colombie en 1994 en créant un programme appelé « Football pour la paix« , qui réunit des enfants à risque pour jouer au football à Medellin, « une des villes les plus dangereuses et les plus violentes du monde. » Puis vient l’histoire d’enfants palestiniens, au sujet desquels l’article cite Hani Qattan, de « PACES – Association palestinienne pour encourager le pratique du sport chez les enfants » (2) : « Ils sont exposés aux drogues, au tabagisme et (…) à l’extrémisme qui peut conduire à la violence » si on les laisse désœuvrés dans la rue. Lorsqu’on voit la page d’accueil du site en ligne de « PACES », ces jeunes filles ne ressemblent pas à des terroristes potentiels, mais peu importe, elles sont palestiniennes. C’est pourquoi le « Centre Peres pour la Paix » (3), créé en 1996 par l’actuel président israélien Shimon Peres, qui a joué un rôle de premier plan dans les guerres israéliennes successives qui ont provoqué la mort et la souffrance d’un nombre incalculable d’enfants palestiniens, a débarqué avec son « Jumelage d’école du sport pour la paix »(4) dont le but est de constituer des équipes de gamins palestiniens et israéliens pour jouer et participer à des compétitions.
Hockenberry n’est pas très forte sur le contexte politique et elle aurait dû citer les deux mots « occupation israélienne » pour expliquer l’avenir sombre de ces enfants. Ces mots n’apparaissent pas sur le site en ligne du « Centre Peres » au nom contradictoire ; au lieu de cela, on nous informe de « la situation désastreuse qui existe dans certains secteurs de l’Autorité palestinienne en conséquence du manque de développement des infrastructures et de la poursuite de conflits. » L’Ecole du Sport est une initiative destinée aux enfants israéliens, « arabo-israéliens » et palestiniens de « l’Autorité palestinienne ». La fragmentation étant un outil majeur du contrôle israélien, les enfants de la Bande de Gaza assiégée ne peuvent s’inscrire. Nous apprenons que « la plupart des communautés israéliennes participantes sont situées à moins de 40km de la Bande de Gaza« , et qu’en conséquence, pendant le massacre de l’opération israélienne Plomb Durci de 2008-2009, « le Commandement israélien du front intérieur a interdit les activités en extérieur (…). De plus, des manifestations en Cisjordanie qui ont abouti à des grèves générales ont également limité le nombre des activités organisées du côté palestinien. » Ce qui signifie en clair que ce sont les activités terroristes et les révoltes palestiniennes qui ont menacé de retarder le programme.
L’année dernière, M. Dawood Hammouded, chercheur de l’ONG Stop the Wall, a parlé au Palestine Monitor de l’utilisation du sport pour la propagande pro-Israël. Le « Centre Peres » a constitué une équipe de football israélo-palestinienne pour jouer contre le FC Barcelone en Espagne en 2005 : « C’était une réponse au mouvement espagnol de boycott du football israélien pour essayer d’améliorer l’image d’Israël.«
Une « équipe de la paix », co-parrainée par le « Centre Peres » et l’Association Al-Quds pour la démocratie et le dialogue, participera à la Coupe de la Ligue australienne de Football (AFL) en août prochain. Dans le cadre des préparatifs, une délégation de l’AFL s’est rendue en Israël ce mois-ci pour rencontrer l’Equipe de la paix, accompagnée de médias australiens (ce qui peut expliquer pourquoi un des sponsors de l’équipe est l’Agence de voyage en Israël, basée à Sydney).
L’équipe participera également à un cérémonie d’accueil à la Mairie de Marrickville, le 18 août. Ceci en dépit du fait que le conseil municipal de Marrickville a voté le « principe » d’un boycott des échanges culturels et sportifs avec les institutions israéliennes, initié par le Parti écologique .
L’archevêque Desmond Tutu avait envoyé un courrier de félicitations au Conseil pour sa prise de position, notant que le « 5 conseillers municipaux de Marrickville – 5 Verts, 4 Travaillistes et 1 indépendant – avaient voté le soutien à la campagne de boycott contre Israël en décembre dernier, provoquant une condamnation des hommes politiques fédéraux et d’Etat, des groupes juifs et des commentateurs dans les médias. La motion avait été renversée en avril après que tous les conseillers travaillistes et deux Verts aient retiré leur soutien« . Ziyaad Lunat, membre du Comité national palestinien de BDS, m’a dit que « l’Association Al-Quds fait partie d’un programme qui comprend un arrêt à Marrickville, Australie, pour participer à une action de propagande anti-BDS organisée par des groupes pro-occupation.«
Comme le dit l’article « Foul Play » sur le site australien Middle East Reality Check, « il a suffi d’un petit email d’un sioniste et les Verts victoriens, sans aucune pensée discernable ni recherche, ont fait fi de toute prudence et se sont ralliés au coup médiatique d’un petit sioniste minable anti-BDS. » J’ai demandé ses commentaires à l’avocate de Australians for Palestine, Samah Sabawi, et elle m’a dit, « Qu’y-a-t-il de plus séduisant pour ceux d’entre nous, en Australie, qui sont de fervents partisans de la paix en Israël/Palestine, que d’accueillir l’Equipe de la Paix de l’AFL (ligue australienne de football) ? La réponse : l’idée que lorsque les membres de cette équipe reviendront chez eux, les joueurs palestiniens n’auront plus à passer par des checkpoints humiliants, à contourner des murs de barbelés pour entrer dans des bantoustans encerclés et asphyxiés par une matrice de routes et de colonies exclusivement pour les Juifs et de zones sécuritaires.«
Une autre manifestation portant le même nom, Football pour la paix internationale (F4P) est impliquée dans un événement hautement normalisateur les 15-17 septembre : « Le sport comme médiateur entre les cultures : conférence internationale sur le sport pour le développement et la paix » doit avoir lieu sur le campus de l’Institut Wingate, le Centre national d’Israël pour le sport et l’éducation physique. Il est organisé sous l’égide du ministère israélien de la Culture et des Sports, le ministère israélien pour la Coopération régionale et le ministère fédéral allemand de l’Intérieur : « Pour cet événement, les partenaires organisateurs ont délibérément choisi un lieu situé dans une région caractérisée par des divisions sociales profondes, des déséquilibres politiques et des conflits ethnico-religieux. » C’est une façon de qualifier l’apartheid.
D’une importance cruciale, cette conférence est financée par un organisme israélien public (constitué de deux ministères du gouvernement) et la société civile palestinienne a appelé les organes internationaux et les gens de conscience à le boycotter jusqu’à ce qu’Israël se conforme au droit international.
La campagne de boycott contre l’Afrique du Sud de l’apartheid a été une source majeure d’inspiration dans la formulation des appels palestiniens au boycott et de leurs critères. Le régime d’apartheid sud-africain et ses partisans dans le monde entier ont argué que le boycott anti-apartheid culturel et sportif violait la liberté d’expression et d’échanges culturels, une accusation systématiquement portée contre le mouvement BDS. Mais comme la Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI) l’a explicitement formulé dans ses directives : « Les événements et les projets qui cherchent à encourager le dialogue ou « la réconciliation entre les deux côtés » sans aborder les exigences de justice, promeuvent la normalisation de l’oppression et de l’injustice. De tels événements et projets qui visent à rapprocher des Palestiniens et/ou des Arabes et des Israéliens, à moins qu’ils ne soient encadrés par un contexte explicite d’opposition à l’occupation et aux autres formes de l’oppression des Palestiniens par Israël, sont de forts candidats au boycott. »
Récemment, le « Conseil britannique en Israël » s’est vanté d’offrir des divertissements de courte durée aux enfants qui subissent quotidiennement des discriminations en tant que non-Juifs. F4P a lancé des projets en Israël depuis 2001. Le bulletin en ligne du Conseil britannique de juillet annonce qu’il est « fier de rapprocher plus de 1000 jeunes arabes et juifs venant de communautés voisines pour participer au programme Football pour la Paix de cette année. 60 entraîneurs venant du Royaume-Uni et d’Allemagne font équipe avec 150 entraîneurs locaux pour porter les valeurs basées sur les activités sportives à travers le pays. » Les communautés qui participent viennent du sud et du centre d’Israël (Tel Aviv, Jaffa, Jérusalem) et du nord (la Galilée, Tibériade, Nazareth, Misgav et Sakhnin). La judaïsation de la Galilée est un projet continu de l’Etat d’Israël qui contredit le récit de la coexistence. Dans un article pour le Ha’aretz, Shani Shiloh a expliqué qu’en dépit d’un arrêt de la Haute cour de 2000 qui interdit aux communautés juives des colonies en Galilée de rejeter des familles au motif de leur « inadéquation » (lisez, « être arabe »), « ces bourgs font à peu près ce qu’ils veulent. » Le projet Mitzpim a été conçu en 1979 et il appelait à l’établissement de dizaines de colonies juives, de kibboutz et de moshav, placés de façon stratégique au sommet des collines de Galilée pour briser la continuité de la population arabe dans la région. Aujourd’hui, discuter de menaces territoriales vous vaut des froncements de sourcils. Le problème persiste, dit le chercheur Katz Ben-Sasson, mais il est simplement masqué : « Maintenant, les gens disent : ‘Vivons tous ensemble avec des gens qui nous ressemblent’… Ils ne disent pas, ‘Judaïsons la Galilée’, comme c’était le cas.«
Selon le ministère de la Culture et des Sports d’Israël, « Football 4 Peace » « est là pour nous aider à aller de l’avant dans une démarche importante vers une meilleure compréhension et un merveilleux et nouveau pont de coexistence, de paix et d’harmonie entre les Arabes et les Juifs ici dans la région de la Galilée, dans l’Etat d’Israël. » Outre l’autorité chargée des sports en Israël, qui a un intérêt direct à cacher la vérité, on trouve parmi les financeurs du programme le Conseil britannique, la faculté de sports de Chelsea (Université de Brighton), l’Université sportive de Cologne (Allemagne) et l’Union européenne. Il y a une bonne raison pour appliquer le boycott palestinien d’Israël à de tels programmes de « coexistence » : ils se déroulent dans un contexte politique complètement hostile à une résolution juste de la crise des réfugiés palestiniens et basé sur le déni d’Israël de sa propre responsabilité dans la Nakba de 1948 – en particulier les vagues de nettoyage ethnique et la dépossession qui ont créé cette crise.
En juin, la communauté sportive palestinienne a écrit à l’Union des associations européennes de football (UEFA) pour exprimer sa consternation qu' »Israël ait été récompensé pour son oppression de notre peuple, en toute impunité, par le privilège d’accueillir le championnat d’Europe des moins de 21 ans en 2013. (…) L’infâme système de permis mis en place par Israël pour entraver la liberté de circulation des Palestiniens ressemble à celui des ‘pass laws’ de l’Afrique du Sud de l’Apartheid et empêche les footballeurs de voyager pour honorer des tournois internationaux voire pour participer à des rencontres locales. Cette pratique est une violation de l’article 33 de la convention de Genève qui interdit toute punition collective.
Lors de l’opération Plomb Durci (hiver 2008/2009), l’usage de forces militaires écrasantes a causé le nivellement de larges portions de Gaza, notamment du stade national de Rafah. Les footballeurs Ayman Alkurd, Shadi Sbakhe et Wajeh Moshate ont été tués, comme 1.400 autres Gazaouis.
Le mur de l’Apartheid, mur de béton de huit mètres de haut, jugé illégal par la Cour internationale de Justice en 2004, est situé à moins de 100 mètres du stade Fayçal Al Husseini d’Ar-Ram, actuellement stade national de Palestine. De plus, les arrestations arbitraires de milliers de Palestiniens, y compris celle de Mahmoud Kamel membre de l’équipe As-Sarsak, détenu sans procès ni même explication publique de son arrestation, est monnaie courante dans les territoires occupés par Israël.«
La campagne pour empêcher que le championnat 2013 n’ait lieu en Israël est appelée « Carton Rouge pour l’apartheid israélien« .
Elle demande aux supporters d’écrire leur propre lettre au président de l’UEFA, Michel Platini, en se servant de l’outil en ligne, et de rejoindre la page Facebook, mise à jour régulièrement avec des idées d’action.
Elle exhorte aussi les lecteurs à écrire au Conseil international pour l’éducation physique et la science du sport (CIEPSS) pour demander que la communauté sportive boycotte la Conférence internationale sur le sport pour la paix et le développement qui se tiendra en Israël en septembre prochain. Wilfried Lemke, conseiller spécial auprès du secrétaire général des Nations Unies pour le programme « Le sport pour la paix et le développement » écrit que la conférence est « une initiative bien intentionnée et apolitique dont l’objectif est de promouvoir la compréhension mutuelle dans la région et au-delà. » L’implication de ministères du gouvernement israélien dément cette déclaration. Les jeunes sont utilisés comme pions politiques pour dénaturer l’apartheid et la colonisation israéliens et les faire passer pour un conflit symétrique entre deux nations et deux cultures.
(1) « Serious play: the goal is peace », par Alison Craiglow Hockenberry, Huffington Post, 7 juillet 2011
(2) PACES – Palestinian association for children’s encouragement of sports
(3) The Peres Center for Peace
(4) « Twinned Peace Sport Schools«
Source : Mondoweiss
Traduction : MR pour ISM