Après qu’Israël a massacré, fin 2008-début 2009, plus de 1400 Palestiniens, dont des centaines d’enfants, dans la Bande de Gaza occupée et assiégée, vous et d’autres groupes de musiciens et artistes de premier plan, avez annulé [1] un concert prévu à Tel Aviv, suite aux appels de la société civile palestinienne et de militants israéliens [2] et internationaux pour les droits de l’homme. Aujourd’hui, les médias israéliens de droite fanfaronnent sur votre projet de vous produire à Tel Aviv en juin 2014 [3]. Qu’est-ce qui a changé entretemps ? Israël a-t-il mis fin à son occupation, son apartheid et sa domination coloniale sur le peuple palestinien ? A-t-il rempli ses obligations en vertu du droit international et mis fin à ses violations graves des droits humains des Palestiniens ?
Bien au contraire. Israël a intensifié sa construction de colonies illégales en territoire palestinien occupé. Il contnue de bombarder et de tuer des civils palestiniens à Gaza et y maintient son siège médiéval sur 1,7 millions de personnes. Son mur, condamné comme illégal par la Cour internationale de Justice en 2004, est toujours debout et il s’allonge, séparant les Palestiniens de leurs écoles, de leurs fermes et de leurs moyens de subsistance. Le nettoyage ethnique de communautés palestiniennes entières par Israël dans le Naqab (Negev), à Jérusalem Est et dans la vallée du Jourdain a été condamné par un haut fonctionnaire des Nations Unies comme constituant une stratégie d’exclusion et de discrimination [4]. Sa politique de démolition de maisons, de déracinement des arbres et de déni de la liberté de circulation s’est intensifiée au cours des derniers mois. Plus de 50 lois racistes [5], condamnées par les organisations internationales et locales pour les droits de l’homme, sont toujours en vigueur.
Pourquoi accepteriez-vous de jouer dans un pays qui est si profondément impliqué dans les crimes et les violations des droits de l’homme ? Vous seriez-vous produit en Afrique du Sud de l’apartheid ? L’archevêque Desmond Tutu a écrit à un groupe de musiciens sud-africains qui violait le boycott culturel palestinien d’Israël et lui a dit :
« Tout comme nous avons dit pendant l’apartheid qu’il était inconvenant que des artistes internationaux se produisent en Afrique du Sud dans une société fondée sur des lois discriminatoires et sur l’exclusion raciale, l’Opéra du Cap ne doit pas se produire en Israël. » [6]
La Campagne palestinienne pour le boycott universitaire et culturel d’Israël (PACBI) et le mouvement BDS plus large, qui représentent la majorité absolue de la société civile palestinienne, vous demandent d’annuler votre concert à Tel Aviv en juin 2014.
Si vous restez sceptique parce que certains affirment qu’un boycott culturel d’Israël peut porter atteinte à la liberté d’expression et aux échanges culturels, ou que « l’art est au-dessus de la politique », permettez-nous de vous rappeler les paroles judicieuses de Enuga S. Reddy, directeur du Centre des Nations-Unies contre l’Apartheid, qui, en 1984, a répondu à une critique similaire exprimée contre le boycott culturel de l’Afrique du Sud en disant :
« Il est assez surprenant, pour dire le moins, que le régime sud-africain qui nie toutes les libertés (…) à la majorité africaine (…) devienne un défenseur de la liberté des artistes et des sportifs du monde. Nous avons une liste de personnes qui se sont produites en Afrique du Sud à cause de l’ignorance de la situation ou de l’appât du gain ou de l’indifférence au racisme. Il faut les persuader d’arrêter de divertir l’apartheid, d’arrêter de profiter de l’argent de l’apartheid et d’arrêter de servir les objectifs de propagande du régime d’apartheid. » [7]
Israël se sert de l’art et de la culture pour blanchir ses violations du droit international et des droits de l’homme
En décembre 2008 et janvier 2009, Israël a mené une guerre d’agression contre Gaza, qui a fait 1.400 morts [8] parmi les Palestiniens, en majorité des civils, et qui a conduit l’équipe d’experts de la mission d’enquête des Nations-Unies à déclarer qu’Israël a commis des crimes de guerre et peut-être des crimes contre l’humanité [9]. Dans la foulée de cette agression et pour sauver son image détériorée, Israël a redoublé d’efforts pour se « vendre » comme une démocratie libérale éclairée [10]. L’art et la culture jouent un rôle unique dans cette campagne d’image de marque [11], car la présence d’artistes occidentaux de renommée internationale vise à inscrire Israël dans le club privilégié des démocraties libérales, « cultivées » d’Occident. Mais il ne devrait pas exister de « business as usual » (agir comme si de rien n’était, ndt) avec un Etat qui viole systématiquement le droit international et les droits fondamentaux de l’homme. Votre concert servira cette campagne israélienne dont le but est de redorer son image et le gouvernement israélien s’en servira comme d’un outil publicitaire, comme cela a été bien documenté avec d’autres artistes qui ont franchi notre ligne rouge BDS.
De nombreuses personnalités du monde culturel et d’intellectuels distingués ont rejoint l’appel au BDS
Aujourd’hui, de nombreux artistes, intellectuels et travailleurs culturels internationaux refusent l’utilisation cynique de l’art par Israël pour blanchir sa politique coloniale et d’apartheid. Parmi ceux qui ont soutenu le mouvement BDS, on trouve d’éminents artistes, écrivains, intellectuels et militants anti-racistes comme l’archevêque Desmond Tutu, John Berger, Arundhati Roy, Judith Butler, Naomi Klein, Adrienne Rich, Ken Loach, Alice Walker, Angela Davis et Mira Nair.
Des artistes de renommée mondiale, parmi lesquels Roger Waters, Bono, Snoop Dogg, Jean-Luc Godard, Elvis Costello, Gil Scott Heron, Carlos Santana, Devendra Banhart, Faithless, Zakir Hussain, Mike Leigh, Coldplay, Jello Biafra et l’Ecole de Médecine de Guantanamo, Mireille Mathieu, Oumou Sangaré, Cassandra Wilson, Cat Power, Lenny Kravitz, Carlo Mombelli, et Stanley Jordan ont eux aussi annulé des événements en Israël à cause de son bilan sur les droits de l’homme. Maxi Jazz a tenu à dire, alors qu’il maintenait sa position de principe de ne pas divertir l’apartheid,
« Alors que des êtres humains se voient délibérément refuser non seulement leurs droits mais aussi leurs besoins pour leurs enfants, leurs grands-parents et eux-mêmes, je sens profondément que je ne dois pas envoyer le moindre signal, même tacite, que [me produire en Israël] est soit ‘normal’, soit ‘ok’. Ce n’est ni l’un ni l’autre et je ne peux pas le soutenir. Cela me fait mal d’en arriver là et je prie tous les jours pour que les êtres humains prennent soin les uns des autres, résolument convaincus que nous sommes tout ce que nous avons. » [12]
S’il vous plaît, refusez de vous produire en Israël.
Aujourd’hui, la société civile palestinienne appelle les artistes à bannir Tel Aviv, de la même manière que les militants sud-africains ont demandé aux artistes de boycotter Sun City. Tout ce que nous vous demandons, c’est de vous abstenir de franchir la ligne rouge fixée par la société palestinienne, approuvée par les organisations internationales et de plus en plus soutenue par des Israéliens progressistes [13]. La société civile palestinienne vous le demande, comme la contribution la plus fondamentale à notre lutte pour la paix et la justice.
Respectueusement,
PACBI
Notes :
[1] http://www.theguardian.com/music/2010/jun/07/pixies-cancel-israel-gig
[2] http://boycottisrael.info/content/open-letter-pixies
[5] http://adalah.org/eng/Israeli-Discriminatory-Law-Database
[6] http://www.iol.co.za/news/world/cancel-israel-trip-tutu-tells-performers-1.689025#.UsWufPQW3To
[7] http://pacbi.org/etemplate.php?id=1417
[8] http://www.amnestyusa.org/document.php?id=ENGMDE150212009
[9] http://www.ohchr.org/EN/NewsEvents/Pages/DisplayNews.aspx?NewsID=91&LangID=E
[10] http://walt.foreignpolicy.com/posts/2009/05/13/truth_and_advertising
[11] http://mondoweiss.net/2009/03/ny-times-offers-the-rationale-for-the-cultural-boycott-of-israel.html