« Il y a du monde ici, il doit y avoir un dossier particulier » s’étonne l’avocate d’un autre dossier examiné par le tribunal correctionnel de Pontoise, jeudi 14 octobre. C’est le moins que l’on puisse dire. Sur fond de « Palestine vivra, Palestine vaincra » et « Boycott Israël », plus de 200 personnes sont venues soutenir la sénatrice (les Verts) Alima Boumediène-Thiery et le responsable du NPA Omar Slaouti. Le 9 mai 2009, ils avaient enlevé des rayons d’un hypermarché Carrefour tous les produits en provenance d’Israël et appelé à leur boycott. Cette action s’inscrivait dans la campagne BDS (Boycott – Désinvestissement – Sanctions). Motif : le non-respect des règles de traçabilité de ces produits et leur possible provenance des territoires occupés.
Pour Omar Alsoumi, président de Génération Palestine, cette campagne fait écho à celle menée contre l’Afrique du Sud de l’Apartheid :
Ces actions, comme près de 80 autres, ont été perçues comme antisémites par le Bureau National de Vigilance contre l’Antisémitisme (BNVCA) qui a porté plainte pour incitation à la discrimination.
Dénonciations des deux côtés
Me Charles Baccouche, l’avocat du BNVCA (photo ci-contre), dénonçait cet appel à la « désobéissance civile » : nos concitoyens « ont tous les droits de demander quoi que ce soit à l’encontre de qui ils veulent, mais en saisissant les tribunaux de leur pays ». Il ajoute que, « sur le plan du droit pur, le boycott est en soi une espèce de violation du principe d’égalité qui est inscrit dans notre Constitution : on empêche physiquement les gens d’acheter des produits qu’ils ont envie d’acheter ». A ses yeux, les militants BDS « provoquent parmi les populations une déréliction du lien social, une communautarisation qui va permettre à des esprits faibles et des esprits excités de lancer des actes et des paroles antisémites ».
L’avocat n’hésite pas à parler « d’incitation à la haine »:
De l’autre côté, on dénonce également les violences dont ont été victimes les organisations de soutien à la Palestine. Omar Alsoumi s’en inquiète : « On peut être tenté de croire que s’ils échouent sur le plan juridique, ils tentent de nous intimider par d’autres façons ». Lors de la suspension d’audience, une jeune fille pro-Palestine dit avoir été menacée par trois jeunes pro-Israël.
Les tensions sont vives et un rien suffit pour que l’on s’échauffe… D’où l’appel de la Présidente en début d’audience à ne pas manifester des opinions personnelles : « Les débats doivent rester sereins » car « l’ensemble des parties doit être entendu ».
Textes internationaux
Le débat contradictoire n’aura finalement pas eu lieu. Le tribunal a coupé court au procès, en raison d’irrégularités sur la forme. Bien que satisfaite du résultat, Alima Boumediène-Thiery (photo ci-contre) regrette que l’on n’ait pu discuter du fond de la question. « On veut nous faire croire que parce que je milite contre le racisme, contre le sionisme et contre l’occupation coloniale, je suis une antisémite : c’est faux ! », s’exclame-t-elle. D’autant que, pour tous les militants BDS, le Parquet s’est trompé de cible. La sénatrice insiste : « S’il y a bien quelqu’un qui doit être inculpé, […] c’est l’Etat d’Israël ».
Et de rappeler tous les textes de droit européens et internationaux qui s’opposent à cet « apartheid » et à cette exploitation économique des territoires palestiniens, comme la proposition de résolution du 10 avril 2002 du Parlement européen qui demandait la suspension de l’accord d’association entre l’Union européenne et Israël au regard du non-respect de son article 2 qui stipule que cet accord se fonde « sur le respects des droits de l’homme et des principes démocratiques » ; l’avis consultatif de la Cour internationale de justice du 9 juillet 2004, qui qualifie de contraire au droit international l’édification d’un mur dans le territoire palestinien occupé ; ou encore l’arrêt Brita de la Cour de justice de l’Union européenne du 25 février dernier, qui statue que l’activité économique d’Israël ne comprend pas la Cisjordanie.
D’autres procès suivent
« Nous avons la force du droit avec nous », appuie la sénatrice. Et si le Tribunal a jugé la plainte du BNVCA irrecevable « juridiquement parlant » en raisons des vices de procédure, les quelques 80 autres déposées par le BNVCA, sont également à ses yeux « irrecevable[s] moralement parlant ».
« On va être des récidivistes », s’amuse Alima Boumediène-Thiery :
Me Antoine Comte (photo ci-contre), avocat des deux relaxés, précise que la décision du Tribunal « est importante parce que la liberté d’expression dans la loi française s’entoure de garanties et de formes très précises, qui sont autant de protections de cette liberté ».
Il veut croire que l’issue rapide de ce procès aura une influence sur ceux qui doivent suivre :
Dès la semaine prochaine, la Cour d’appel de Bordeaux se prononcera sur le cas de Sakina Arnaud, condamnée en première instance pour des faits similaires à 1000 euros d’amende. Et parmi les futurs procès qui font déjà polémique, celui de Stéphane Hessel, corédacteur de la Déclaration universelle des droits de l’homme de 1948, poursuivi pour avoir publiquement affiché son soutien à la campagne BDS qu’il qualifie de « stratégie morale [ayant] démontré son potentiel de réussite ».
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