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12/02/25

Pour stopper les plans de Trump pour Gaza, les Palestinien·nes ont besoin de solidarité et de soutien

| Actus

Le mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions est le meilleur moyen de montrer notre solidarité avec notre lutte de libération.

Date d'origine : 10/02/2025
Source : The Guardian
Traduit par : JB pour l’Agence Média Palestine

Par Omar Barghouti, le 10 février 2025

Les mythologies égyptienne et grecque parlent d’un phénix renaissant de ses cendres. Les Palestinien·nes de Gaza ont montré que ce n’était pas entièrement un mythe. Alors que le cessez-le-feu fragile tient à peine, des centaines de milliers de survivant·es du génocide ont émergé du carnage dans cette terre, dont la civilisation remonte à 4 000 ansmarchant vers le nord de Gaza avec espoir, tout en sachant que presque toutes leurs maisons, routes, services, écoles et hôpitaux ont été détruits. La véritable aspiration de la plupart d’entre eux est de continuer à marcher vers leur foyer, là où leurs familles ont été victimes de nettoyage ethnique pendant la Nakba de 1948. Les Palestinien·nes, semble-t-il, ont répondu avec prescience au « plan de Donald Trump » avant même qu’il ne le dévoile.

Malgré son côté sinistre, le président américain a maîtrisé l’art de dominer les ondes et le cyberespace en suscitant la polémique. Déclaration scandaleuse après déclaration scandaleuse, il a réussi à occuper l’esprit de la plupart des nations, laissant presque tous dans l’expectative quant à son prochain coup de théâtre. Mais il n’est pas le premier à se complaire à prétendre qu’il est « fou ». Richard Nixon l’a fait aussi. Ils souscrivent à une « théorie du fou », créant la perception de la folie, pour atteindre deux objectifs simultanés : déséquilibrer amis et ennemis, les pousser à bout, afin d’obtenir d’eux des concessions précieuses et de normaliser ce qui est manifestement anormal : la raison du plus fort sans masque.

La récente proposition de Trump de « prendre le contrôle » et de « s’approprier » Gaza après avoir déplacé de force des millions de Palestinien·nes doit être considérée à la lumière de ce principe. Elle a été largement condamnée, même par des régimes arabes despotiques et par l’Allemagne, beaucoup la qualifiant de « criminelle », « illégale », « immorale », « irréalisable » ou « déstabilisatrice ». Cette dissidence mondiale normalise par inadvertance l’idée, la rendant simplement controversée, discutable, non catégoriquement rejetable.

L’incitation au déplacement forcé des survivant·es du génocide palestinien constitue une « continuation » du génocide, comme le dit une organisation palestinienne de défense des droits humains. C’est au-delà de la dépravation, c’est le mal à l’état pur. C’est une tentative désespérée de normaliser la perpétration de crimes atroces et d’obtenir par l’intimidation impérialiste américaine ce que la puissance militaire d’Israël a totalement échoué à accomplir après 15 mois de génocide. En effet, selon un récent sondage d’opinion, seuls 4 % des Israélien·nes de confession juive estiment que les objectifs d’Israël ont été pleinement atteints à Gaza. Dès décembre 2023, l’ancien secrétaire américain à la Défense Lloyd Austin avait mis en garde Israël contre une telle « défaite stratégique ».

En effet, malgré la bravade militariste typique, il est loin d’être évident que l’establishment israélien souhaite reprendre les bombardements et les massacres impitoyables à Gaza. L’économie israélienne traverse ce que 130 de ses meilleurs économistes décrivent comme une « spirale d’effondrement », avec une « fuite des cerveaux » presque sans précédent, une industrie technologique en chute libre et une cote de crédit proche du niveau « junk bond », selon Moody’s. De plus en plus considéré par les investisseurs comme une nation en déclin, Israël s’est classé dernier parmi 50 pays dans le Nations Brand Index qui vient d’être publié. Le président de l’Institut israélien des exportations admet que « le BDS et les boycotts ont changé le paysage commercial mondial d’Israël ».

Comme en témoignent les votes répétés de l’ONU, l’écrasante majorité des nations considèrent aujourd’hui Israël comme un État voyou qui a non seulement exterminé des dizaines de milliers de Palestinien·nes à Gaza et tué des milliers de personnes au Liban et occupé de vastes pans de la Syrie en quelques semaines, mais qui bafoue simultanément les principes mêmes du droit international. Son Premier ministre est recherché par la Cour Pénale Internationale pour crimes de guerre et crimes contre l’humanité. En janvier 2024, la Cour Internationale de Justice a jugé qu’il commettait vraisemblablement un génocide et, en juillet 2024, elle a statué que son occupation était illégale et qu’il s’agissait d’un État d’apartheid.

Tout cela explique pourquoi Trump réactive aujourd’hui pour le compte d’Israël le vieux projet israélien de nettoyage ethnique de Gaza. Quelques jours après le début du génocide israélien en octobre 2023, un document du ministère israélien du Renseignement ayant fait l’objet d’une fuite a révélé un plan de nettoyage ethnique des Palestinien·nes de Gaza au Sinaï à la fin de la « guerre ». Pour ne pas être en reste et faire passer les déplacements forcés pour normaux en comparaison, le 5 novembre 2023, le ministre israélien du Patrimoine (parti Jewish Power), Amichai Eliyahu, a suggéré de larguer une bombe nucléaire sur le « ghetto de » Gaza.

Francesca Albanese, rapporteuse spéciale des Nations Unies sur la situation des droits humains dans les territoires palestiniens occupés depuis 1967, a mis en garde : « Si Israël n’est pas forcé d’arrêter, son génocide des Palestinien·nes ne se limitera pas à Gaza. Croyez-moi. » Le ministre israélien de la Guerre, Israel Katz, a fait référence à l’attaque militaire contre Jénine en Cisjordanie occupée comme « la première leçon issue de la méthode des raids répétés à Gaza ». Le ministre israélien des Finances, Bezalel Smotrich, qui se déclare lui-même « fasciste homophobe », a incité à la violence coloniale fanatique contre les Palestinien·nes en Cisjordanie en déclarant : « Il faut que Naplouse et Jénine ressemblent à Jabalia. »

Mais la destruction de villes palestiniennes pour en déloger de force les habitant·es n’a rien de nouveau dans cette Nakba en cours. Une récente erreur des censeurs israéliens a accidentellement révélé des documents secrets exposant la décision délibérée de David Ben Gourion d’« anéantir » les villages palestiniens pendant la Nakba de 1948, comme condition nécessaire à la création de ce que le groupe israélien de défense des droits humains B’Tselem appelle aujourd’hui « un régime de suprématie juive du Jourdain à la Méditerranée ».

Alors que l’indignation mondiale contre le plan de Trump abonde, l’administration Biden, ce « moindre mal », principal partenaire dans l’armement, le financement et la protection du génocide israélien, a accueilli les plans de nettoyage ethnique proposés par Israël sans provoquer une indignation médiatique similaire. Elle a exercé une immense pression sur le régime égyptien pour qu’il se rallie au plan en échange d’importants investissements.

Incontestablement, toutes les colonies de peuplement, et pas seulement en Israël, ont provoqué le déplacement forcé de populations indigènes. Le président américain Theodore Roosevelt, au début du XXe siècle, écrivait : « Du point de vue de l’éthique appliquée, la conquête et la colonisation des terres indiennes par les Blancs étaient nécessaires à la grandeur de la race et au bien-être de l’humanité civilisée ». Il ajoutait : « Une conquête peut être porteuse de mal ou de bien pour l’humanité, selon la valeur comparative des peuples conquérants et conquis ».

De même, interrogé en 1937 sur les droits des Arabes palestinien·nes en Palestine, le dirigeant britannique Winston Churchill affirmait : « Je n’admets pas que le chien dans la bergerie ait un droit définitif sur la bergerie, même s’il y est peut-être depuis très longtemps… Je n’admets pas, par exemple, qu’un grand tort ait été fait aux Indien·nes d’Amérique ou aux Noir·es d’Australie. Je n’admets pas qu’un tort ait été causé à ces peuples par le fait qu’une race plus forte, une race de qualité supérieure ou, en tout cas, une race plus avisée, pour ainsi dire, soit venue prendre leur place. »

Mais tout comme le légendaire sumud, la résilience et la résistance du peuple palestinien ont vaincu les plans de nettoyage ethnique israélo-étasuniens, nous savons que notre action, notre lutte de principe et stratégique, soutenue par des dizaines de millions de personnes de conscience dans le monde, peut finalement l’emporter sur ce dernier plan. Mais sans mesures de redevabilité significatives, le cessez-le-feu à Gaza pourrait aboutir à une poursuite du génocide sous une forme moins visible. La criminalité indicible et la complicité éhontée doivent être confrontées à une redevabilité inexorable. Comme nous l’a appris la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, mettre fin à la complicité de l’État, des entreprises et des institutions dans le système d’oppression israélien, notamment par les tactiques non violentes du BDS, est la forme la plus efficace de solidarité avec notre lutte de libération.

Pour vaincre le trumpisme et la vague montante du fascisme dans le monde, des alliances larges, inclusives et antiracistes sont plus importantes que jamais. Il ne s’agit pas seulement d’une stratégie éthiquement souhaitable pour unir les mouvements de justice raciale, climatique, sociale et économique afin de constituer une masse critique de pouvoir populaire. La menace actuelle qui pèse sur l’humanité montre que l’unité intersectionnelle de ces luttes est véritablement devenue un besoin existentiel.

Le phénix palestinien de Gaza émerge des décombres pour réaffirmer au monde que nous ne nous plierons jamais aux oppresseurs ; nous continuerons à résister à l’oppression et à insister pour défendre nos droits inaliénables. Mais dans la mythologie, un phénix a besoin de la lumière du soleil pour se ressusciter, et dans notre cas, cette lumière est bloquée par les sombres et lourds nuages de la complicité. Une solidarité de principe et stratégique est cruciale pour dissiper ces nuages, afin que nous puissions nous élever vers notre inévitable émancipation.

Omar Barghouti est cofondateur du mouvement Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) pour les droits des Palestiniens et co-lauréat du prix Gandhi pour la paix 2017.

Cet article vient du site de l’Agence Média Palestine.