par Ahmad Tibi*, The Hill, 18 décembre 2013
Le nouvel ambassadeur d’Israël aux États-Unis, Ron Dermer, quand il a présenté ses lettres de créance à la Maison-Blanche en début de ce mois, a envoyé un message politique en remettant au Président Obama des boutons de manchette qui auraient été trouvés dans la colonie archéologique négligée de la Cité de David, une colonie qui est, par la violence et dans l’illégalité, imposée à la communauté palestinienne de Silwan, en Jérusalem-Est occupée.
Le choix même du Premier ministre Benjamin Netanyahu pour Dermer a été un choix abrasif et non diplomatique. Les opinions de Dermer sur la solution à deux États sont bien connues : il y est opposé. Toute évolution publique en faveur de cette solution est assurément superficielle.
Netanyahu prétend soutenir la solution à deux États. Pourtant, après la première visite de Netanyahu à Washington où il a rencontré Obama, Dermer l’a qualifiée de « solution immature à un problème compliqué ». Pourquoi contrarier Washington en envoyant un opposant aux deux États représenter les intérêts d’Israël aux États-Unis ?
Je pense que c’est parce que Netanyahu, au fond, n’est pas intéressé par la solution à deux États, et il sait qu’à Washington il a les Républicains, et de nombreux Démocrates, de son côté. Les Républicains de droite choisiront un Premier ministre conservateur d’Israël contre l’avis de leur propre Président, et un nombre étonnant de Démocrates également. Plus tôt ce mois-ci, le sénateur « libéral » Chuck Schumer (D-N.Y.) a déclaré qu’il pensait que le secrétaire d’État John Kerry avait fait une « erreur » en déclarant que l’attachement d’Israël à ses colonies pouvait faire penser que celui-ci n’était pas sérieux à propos de la paix.
Dermer peut soulever un tollé d’antagonisme à Washington si jamais Obama fait pression trop durement sur Israël, parce que la question à Washington ce n’est celle de la justice et de la liberté pour les Palestiniens, mais souvent un absolutisme biblique peu judicieux qui ne se soucie guère des Palestiniens chrétiens ici, et pas du tout des Palestiniens musulmans.
En tant que citoyen palestinien d’Israël, et membre élu de la Knesset, je n’ai pas la même volonté de fermer les yeux devant ce que les législateurs américains manifestent. Je vois régulièrement tous les partisans de Netanyahu à la Knesset tenter de faire voter une loi qui discrimine ouvertement mes compatriotes palestiniens. Il y a, en réalité, déjà plus de 50 lois discriminatoires à notre encontre et davantage encore sont en projet.
Les politiciens américains, qui semblent reconnaissants à l’Amérique d’avoir dépassé sa propre période Jim Crow, regardent fréquemment ailleurs quand il s’agit de la discrimination interne d’Israël. Comme pour les actions d’Israël en Cisjordanie et à Jérusalem-Est occupées, là aussi les politiciens américains ne sont critiques que sporadiquement. La liberté et les droits pour les Palestiniens , au mieux, ne viennent qu’ensuite, si on y pense.
Le fait qu’une discrimination pratiquée contre un autre peuple soit inacceptable au XXIe siècle est à peine perçu par les extrémistes de droite qui gouvernent actuellement en Israël. L’ambassadeur d’Israël aux États-Unis, qui nous est importé de Floride, semble vouloir recréer la réalité Jim Crow qui existait dans son pays d’origine jusqu’à peu avant sa naissance ; ou pour le moins, l’inégalité judiciaire actuelle que l’affaire Trayvon Martin a si effroyablement mis en lumière, et que de nombreux parents palestiniens assimileraient instantanément au système judiciaire israélien avec sa discrimination endémique contre les Palestiniens. En prenant sa fonction, Dermer ne pense pas à ce qui est le mieux pour les citoyens d’Israël, mais le mieux pour la majorité juive d’Israël. Pire encore, il pense à ce qui est le mieux pour la minorité de colons d’Israël en termes d’expansionnisme dans le territoire palestinien occupé.
Un ambassadeur israélien aux États-Unis devrait être aux premiers rangs dans la bataille contre la discrimination et un promoteur des valeurs de la diversité. Mais le sionisme est pour la promotion d’un seul groupe, les juifs et les citoyens juifs d’Israël, et c’est une idéologie en contradiction avec le progrès racial réalisé au cours des 50 années passées dans des pays comme les États-Unis. Ici, en Israël, nous sommes toujours coincés dans notre réalité Jim Crow.
Oui, je suis à la Knesset, mais trop souvent les hasbaristes (propagandistes sionistes) voient les membres palestiniens de la Knesset comme une couverture démocratique, un nappage démocratique qu’ils peuvent mettre en avant et proclamer, « Voyez comme nous sommes démocratiques ». Mais les élections ne font pas une démocratie. La protection des minorités et de nos droits est cruciale et là, Israël échoue lamentablement.
Pourtant, la réussite d’Israël dans la limite des droits des Palestiniens en Israël et dans les territoires palestiniens ne durera pas éternellement. Au bout du compte, les Palestiniens ne renonceront pas à la solution à deux États. Des hommes comme Dermer et Netanyahu seront surpris de la vitesse à laquelle la lutte palestinienne pourra un jour être reconstituée non comme une bataille pour un État palestinien indépendant, mais comme une bataille pour l’égalité des droits, entre le Jourdain et la Méditerranée. Les politiciens israéliens, et américains de la même façon, seront alors contraints de faire un choix, et savoir s’ils préfèrent l’égalité des droits pour tous, ou des droits exclusifs et supérieurs pour les juifs. S’ils préfèrent un État juif avec un système judiciaire à deux niveaux, ils auront alors à expliquer pourquoi cela serait bien pour Israël, mais que c’est rejeté par le peuple américain.
*Tibi est citoyen palestinien d’Israël et vice-président à la Knesset.
Traduction : JPP pour BDS FRANCE
http://thehill.com/blogs/congress-blog/foreign-policy/193379-israels-jim-crow-treatment-of-palestinians-continues