Noura Erakat et Yara Hawari ont débattu sur le racisme et le colonialisme et les outils du droit international pour la Semaine de l’Apartheid Israélien.
« Quand la quarantaine prendra fin, la lutte contre ce que la crise du COVID-19 a mis en évidence commencera à peine », moments forts de la conférence en ligne « Résistance palestinienne au plan Trump-Netanyahou par temps de pandémie mondiale »
Le lundi 6 avril, Noura Erakat, défenseure des droits de l’Homme, et Yara Hawari, écrivaine et analyste politique principale, ont rejoint une conférence en ligne organisée par le Comité National du Boycott (BNC) du mouvement BDS. L’événement faisait partie d’une série de conférences en ligne organisées pour la Semaine de l’Apartheid Israélien qui était organisée cette année autour du thème Unis Contre le Racisme et se tenait autour du 21 mars, commémoration du massacre de Sharpeville commis en 1960 par le gouvernement d’apartheid d’Afrique du Sud.
Plus de 500 personnes de 35 pays différents ont participé à cet événement en ligne, et la vidéo a déjà été vue plus de 9.000 fois.
Yara Hawari a ouvert le webinar par une réflexion sur ce que le « Deal du Siècle » signifie pour les Palestiniens, puisque ce que le deal envisage, c’est de proposer une capitulation aux Palestiniens. Il demande aux Palestiniens d’être enfermés dans des bantoustans, à Gaza de rester assiégée, et aux réfugiés palestiniens de n’avoir aucun droit. Yara a ajouté que ce deal suivait la route prise par les nombreuses propositions qui, au cours des années, auraient ignoré et effacé les aspirations des Palestiniens à la souveraineté. Le Deal du Siècle est simplement plus flagrant que les anciennes propositions et énumère ce que l’administration américaine veut depuis longtemps : des terres palestiniennes sans continuité, ou bantoustans, contrôlées par Israël, et pas d’État palestinien. La carte qui sort de ce deal, qui en a surpris beaucoup dans la communauté internationale, montre en fait la réalité géopolitique actuelle des terres palestiniennes. La déshumanisation et l’infantilisation des Palestiniens, comme on le voit dans le « deal », n’a rien de nouveau non plus, et la tiède réaction de la communauté internationale le conforte. Il propose l’annexion et la violation de toutes les normes du droit international.
Mais Yara a conclu en disant que le « Deal du Siècle » fournit une occasion de revoir nos stratégies et d’envisager une perspective internationaliste, en même temps que la pandémie du coronavirus nous oblige à adopter une perspective internationaliste. Oui, le virus ne fait pas de différence entre qui il attaque, mais les conditions socio-économiques déterminent comment nous pourrons le combattre. Les communautés pauvres et opprimées seront inévitablement plus touchées. Les Palestiniens de Cisjordanie et de Gaza doivent affronter cette pandémie alors qu’ils vivent sous le contrôle des Israéliens.
C’est significatif que le Secrétaire Général de l’ONU Antonio Guterres ait appelé à un cessez-le-feu mondial pendant cette période, mais n’ait pas inclus dans cet appel l’occupation, qui se poursuit. Les Palestiniens font face à des démolitions de maison, des raids, mais voient aussi leurs efforts pour tacler le virus bloqués (un dispensaire de campagne dans la vallée du Jourdain détruit, des bénévoles arrêtés dans la Vieille Ville de Jérusalem). Les prisonniers politiques palestiniens se retrouvent devant un risque augmenté d’infection.
Noura Erakat a commencé en partageant l’antécédent historique du contexte internationaliste et la stratégie palestinienne orientée vers la lutte dans les années 60 et 70, les reliant aux luttes anti-racistes et anti-apartheid. Elle a rappelé qu’en 1975, l’Assemblée Générale de l’ONU avait voté la Résolution 3379 qui a ‘défini que le Sionisme est une forme de racisme et de discrimination raciale’. Ceci reposait sur la résolution 3151, votée en 1973 à l’ONU, qui condamnait, entre autres, l’alliance contre nature entre le racisme sud-africain et le sionisme. A cette époque, l’OLP n’avait pas pu susciter de soutien pour sortir Israël de l’Assemblée Générale de l’ONU, comme l’Afrique du Sud l’avait été. Cette résolution était la consolation.
Ceci, du coup, a fait suite au non respect par Israël de la résolution 242 de 1967 qui affirmait qu’Israël devait se retirer des territoires occupés en 1967. Non seulement Israël ne s’est pas retiré des territoires occupés, mais en plus, les négociations qui ont suivi ont exclu l’OLP et ont fini en conversations bilatérales avec les Etats Arabes. Avec le soutien d’une majorité de nations post-coloniales, et sous la direction d’Abdelaziz Bouteflika, l’Afrique du Sud a été expulsée des Nations Unies en 1974. L’OLP s’est inspirée de ce geste.
Cependant, en ce moment même, il est clair que le « Deal du Siècle » est la culmination logique d’Oslo, qui est ce qui a ouvert la voie en délimitant les zones A,B,C et en transmettant le contrôle de la terre et des ressources à Israël.
Noura a également fait remarquer que l’internationalisme ou l’intersectionnalité ne sont pas que de nobles slogans. Il y a des réclamations et des actions qui les rendent réels et condamnables tous les jours. Nous avons surveillé avec angoisse le COVID-19 frapper Gaza, et le régime des sanctions israéliennes la rend invivable. Yara a ajouté qu’une façon concrète de défendre les droits des Palestiniens, c’est de soutenir le travail accompli sur le terrain pour l’assistance et le soutien médical. C’est important de soutenir les populations vulnérables, tels que les prisonniers politiques bloqués dans des prisons surpeuplées, avec les autorités israéliennes qui refusent de les tester ou de leur fournir aucune aide. On peut faire le lien entre l’exigence de sécurité pour les prisonniers politiques et une plus large exigence d’abolitionnisme dans d’autres endroits où les prisonniers sont libérés pour empêcher l’expansion du coronavirus.
Noura nous a rappelé que, pendant cette quarantaine, nous devons être bienveillants et humains à tous les niveaux. Car quand la quarantaine prendra fin, le combat contre ce que la crise du COVID-19 a produit commencera à peine. Nous devrons mettre l’accent sur beaucoup de choses qui ont été éclaircies aujourd’hui : que le capitalisme c’est la maladie, et que les régimes carcéraux ne sont pas supportables. Nous devrions aussi regarder avec attention les exemples positifs qui émergent comme la libération de prisonniers en Iran, et la nationalisation d’hôpitaux en Irlande.
Il faut demander pourquoi les lits d’isolement et les respirateurs sont limités ? C’est parce que la gestion des hôpitaux est focalisée sur les profits, pas sur les situations d’urgence sanitaire.
La conférence en ligne s’est conclue avec Noura qui a insisté sur le fait que le contexte n’est plus aujourd’hui dominé par des gouvernements anti-coloniaux, mais que l’ossature anti-coloniale existe bien dans les mouvements sociaux. Il n’y a pas de révolte mondiale, mais l’anticolonialisme est un projet inachevé. Le monde est maintenant dominé par des formes de néocolonialisme du Nord global et des institutions financières comme le FMI et la Banque Mondiale qui ont dérégulé les industries, tué le secteur public, et imposé des dettes débilitantes. Ce néocolonialisme, c’est ce qu’il faut combattre. Yara a rappelé les nombreuses manifestations contre le néolibéralisme qu’on a récemment vues au Chili, en Irak, au Liban, au Soudan et d’autres endroits l’année dernière, ce qui prouve qu’il y a coalescence entre les mouvements. Elle a par ailleurs ajouté que la société civile palestinienne et son langage ont été ONGisée – adoptant des constructions post-coloniales, voilant l’inégalité économique, et que tout ceci il faut aussi le défier.
Si vous avez raté la conférence en ligne, vous pouvez encore la regarder ici.
Traduction : J. Ch. pour BDS France
Source : BDS