lundi 26 janvier 2015, par Jean-Marie Muller
Il convient de distinguer, non pas pour les séparer, mais pour ne pas les confondre, la non-violence comme philosophie (voir l’article), qui est la recherche d’un sens à l’existence et à l’histoire, et la non-violence comme stratégie, qui est la recherche de l’efficacité dans l’action. La philosophie est l’amour de la sagesse. Elle implique un choix, une option, une décision personnelle. Mais encore faut-il que l’individu puisse faire ce choix en toute connaissance de cause. Pour cela, il faut que cette connaissance lui soit proposée dans le cadre d’un enseignement. Ce doit être l’objet de l’éducation. Mais n’est-ce pas l’un des drames de nos sociétés que l’éducation n’offre pas à nos enfants un enseignement portant sur la philosophie de la non-violence. Quels sont les moments, quels sont les lieux qui sont proposés à nos enfants pour qu’ils puissent réfléchir sur la non-violence ? L’éducation n’offre plus aux jeunes qu’un savoir technologique qui vise à les rendre compétitifs dans la rivalité économique qui va bientôt les opposer. Et cet apprentissage risque de ne pas leur laisser le loisir de réfléchir sur le sens même de leur existence et de construire des convictions fortes pour affronter l’avenir. Il faudrait certainement repenser l’éducation dans ce sens.
Cette sagesse ne doit pas nous amener à nous retirer du monde pour cultiver notre jardin intérieur. Au contraire, elle doit nous amener à nous engager dans les conflits du monde pour la justice et la liberté. Faire preuve de bienveillance vis-à-vis de ceux qui souffrent une situation d’injustice, c’est leur manifester notre solidarité, c’est être prêts à agir en leur faveur et, le cas échéant, à mener avec eux une lutte pour qu’ils obtiennent la reconnaissance de leurs droits.
En janvier 1942, lorsque Gandhi défend sa politique devant le Congrès de toute l’Inde, c’est en faisant valoir son efficacité qu’il justifie le choix de la non-violence comme stratégie en vue d’obtenir l’indépendance. « La non-violence m’est un credo, affirme-t-il, le souffle de ma vie. Mais je ne l’ai jamais proposée à l’Inde comme un credo ou d’ailleurs à quiconque sauf, à l’occasion, lors de conversations informelles. Je l’ai proposée au Congrès comme une méthode politique destinée à résoudre des problèmes politiques. Il est possible que ce soit une méthode nouvelle, mais elle n’en perd pas pour cela son caractère politique. (…) Comme méthode politique, elle peut toujours être changée, modifiée, transformée, abandonnée même en faveur d’une autre. Si donc je vous dis que notre politique ne doit pas être abandonnée aujourd’hui, je vous parle sagesse politique. C’est de la perspicacité politique. Elle nous a servi dans le passé, elle nous a permis de parcourir de nombreuses étapes vers l’indépendance et c’est en tant qu’homme politique que je vous avertis que ce serait une grande faute d’envisager son abandon. Si j’ai entraîné le Congrès derrière moi toutes ces années, c’est en ma qualité d’homme politique [1]. » Ce texte est très important, car il montre clairement que si pour Gandhi, la non-violence est ce qu’il appelle un « credo », c’est-à-dire un choix existentiel qui donne sens à sa vie, c’est-à-dire le principe même de la vérité, il propose la méthode de l’action non-violente à ceux-là mêmes qui ne font pas ce choix.
La fin et les moyens
L’un des principes fondamentaux de la stratégie de l’action non-violente, c’est de rechercher des moyens qui soient cohérents avec la fin. Il faut récuser une fois pour toutes le vieil adage selon lequel « la fin justifie les moyens », ce qui revient à dire qu’une fin juste justifie des moyens injustes. C’est le contraire qui est vrai : des moyens injustes pervertissent une fin juste. « Les moyens, affirmait Gandhi, peuvent être comparés à une graine et la fin à un arbre ; il existe le même rapport intangible entre les moyens et la fin qu’entre la graine et l’arbre [2]. »
Un autre proverbe exprime mieux la sagesse des nations : « Qui veut la fin veut les moyens », à condition que nous l’entendions correctement, c’est-à-dire : « Qui veut une fin juste, doit vouloir des moyens justes. » Au demeurant, nous pouvons assez vite nous mettre d’accord sur la fin : tout le monde ne recherche-t-il pas le bonheur de l’humanité, tout le monde ne prétend-il pas vouloir la justice ? La vraie question est celle des moyens. Le XXème siècle a été dominé par des idéologies qui affirmaient toutes que la violence était le moyen nécessaire, légitime et honorable pour agir dans l’histoire et nous devons bien reconnaître aujourd’hui la faillite de ces idéologies. Ainsi, l’idéologie communiste avait-elle sans aucun doute pour fin de construire une société où il n’y aurait plus d’exploitation de l’homme par l’homme. Malheureusement, il est vite apparu que les moyens mis en œuvre, ceux précisément de la violence, étaient en contradiction avec cette fin et que celle-ci était sans cesse repoussée vers des lendemains qui ne sont jamais arrivés.
Il convient de conjuguer l’espérance au présent et alors que nous sommes toujours tentés de le faire au futur. Ainsi, la promesse que porte la violence se conjugue-t-elle toujours au futur. On raconte l’histoire de ce barbier qui avait accroché sur sa boutique une pancarte sur laquelle on pouvait lire : « Demain, je rase gratuitement », mais qui, chaque matin, oubliait de changer sa pancarte. Si bien que le jour du rasage gratuit était toujours repoussé à plus tard et qu’il fallait chaque jour payer la facture… Je crois que les violents portent une pancarte de la même sorte : « Demain, nous apporterons la paix » et qu’ils oublient également, chaque matin, de changer de pancarte. Et chaque aujourd’hui est un jour de destruction et de mort. Albert Camus disait : « La vraie générosité envers l’avenir consiste à tout donner au présent [3]. » La non-violence veut conjuguer la justice, la liberté, la dignité au présent. Elle ne veut utiliser que des moyens qui déjà, par eux-mêmes, réalisent la fin. Et la victoire de la non-violence est déjà dans l’action non-violente elle-même. Car celle-ci donne sens au présent.
Le principe de non-coopération
Quelle était l’analyse de Gandhi par rapport au colonialisme britannique ? C’était de dire : ce qui fait la force de l’oppression coloniale britannique, ce n’est pas tant la capacité de violence des Anglais que la capacité de résignation, de soumission, d’obéissance passive des Indiens. Il affirmait : « Ce ne sont pas tant les fusils britanniques qui sont responsables de notre sujétion que notre coopération volontaire [4]. » Dès lors, pour se libérer du joug qui les opprime, les Indiens doivent cesser toute coopération avec le système colonial, avec ses lois et avec ses institutions. « Une nation de 350 millions de personnes, assure Gandhi, n’a pas besoin du poignard de l’assassin, elle n’a pas besoin de la coupe de poison, elle n’a pas besoin de l’épée, de la lance ou de la balle de fusil. Elle a seulement besoin de vouloir ce qu’elle veut et d’être capable de dire « Non », et cette nation apprend aujourd’hui à dire « Non » [5]. »
Certes, toute vie en société implique l’existence de lois. Dès que nous voulons jouer ensemble, il nous faut élaborer une règle du jeu et le jeu n’est possible que si chacun respecte la règle. Celui qui triche s’élimine lui-même. Dans une société démocratique, la fonction de la loi est de garantir la justice pour tous les citoyens et, plus particulièrement, pour les plus défavorisés et les plus faibles d’entre eux. Gandhi, qui était avocat, avait parfaitement conscience que le bon citoyen doit obéissance aux bonnes lois qui protègent les droits des plus faibles contre les plus puissants. Mais, malheureusement, les lois sont généralement édictées par les puissants et il n’est pas rare qu’elles aient pour fonction de défendre leurs privilèges. Le citoyen responsable se doit de désobéir aux lois injustes. Ce qui fonde la citoyenneté, ce n’est pas la discipline mais la responsabilité. Être responsable, c’est apprendre à juger la loi avant de lui obéir. L’obligation de la loi ne doit pas effacer la responsabilité de la conscience des citoyens. C’est à tort que les idéologies dominantes ont fait de l’obéissance une vertu. Et les religions n’ont pas été en reste pour partager cette erreur funeste en prétendant que toute autorité venait de Dieu. Il manque dans les bibliothèques des monastères des traités sur la sainte désobéissance…
Henri David Thoreau, qui veut parler en homme pratique et en citoyen, prend soin de préciser qu’il ne se situe pas du point de vue de ceux qui se disent anarchistes et demandent d’emblée « point de gouvernement ». Ce qu’il veut d’emblée c’est « un meilleur gouvernement [6] ». Il affirme que, pour remplir son devoir de citoyen, l’individu ne doit pas orienter son comportement selon les obligations de la loi, mais selon les exigences de sa conscience. « Ne peut-il exister de gouvernement, s’interroge-t-il, où ce ne seraient pas les majorités, en quelque sorte, qui trancheraient du bien et du mal, mais la conscience ? (…) Le citoyen doit-il jamais un instant, si peu que ce soit, abdiquer sa conscience au législateur ? À quoi bon la conscience individuelle alors ? Je crois que nous devrions être hommes d’abord et sujets ensuite. Il n’est pas souhaitable de cultiver le même respect pour la loi et pour le bien. La seule obligation que je dois assumer est de faire à tout moment ce que j’estime juste. [7]. » Il constate que, par l’effet du respect qu’ils témoignent pour la loi, « les gens les mieux intentionnés se font chaque jour les agents de l’injustice [8] ».
Nos démocraties ne sont que des démocraties de représentation fondées sur la loi du nombre. Mais la loi de la majorité de ne garantit pas le respect du droit. Être véritablement démocrate, ce n’est pas respecter la loi, mais respecter le droit. C’est pourquoi la désobéissance civile aux lois injustes est un devoir civique. Pourquoi la désobéissance est dite civile ? En France, lorsque des cinéastes et des écrivains ont fait appel à la désobéissance civile à une loi qui interdisait aux citoyens d’accueillir chez eux des immigrés en situation irrégulière, les journalistes ont préféré parler de « désobéissance civique ». Certes la désobéissance aux lois injustes est « civique » en ce sens qu’elle est une action citoyenne. Mais Gandhi parlait bien de « désobéissance civile ». En quoi la désobéissance est civile ? Le dictionnaire historique de la langue française nous dit que le mot civilis a deux sens. Tout d’abord, il s’oppose à militaris : est civil ce qui n’est pas militaire. Mais ce n’est pas en ce sens que la désobéissance est civile. Des militaires peuvent très bien mener des actions de désobéissance civile. J’ai fondé le Mouvement pour une Alternative Non-violente avec un ancien général de l’armée française, Jacques de Bollardière, qui avait refusé d’obéir aux ordres demandant aux soldats français de pratiquer la torture à l’encontre des Algériens. Par la suite il a démissionné de l’armée française et il est redevenu un civil, mais c’est en tant que militaire qu’il a pratiqué cette désobéissance civile à propos de la torture. Il existe un second sens du mot civilis. Il s’oppose alors à criminalis : est civil ce qui n’est pas criminel. Nous retrouvons cette même racine étymologique dans les mots civilité, civilisé…
Ainsi la désobéissance est civile en ce sens qu’elle n’est pas criminelle, en ce sens qu’elle est respectueuse de la vie de tous les citoyens, fussent-ils des adversaires politiques, c’est-à-dire, en définitive, en ce sens qu’elle est non-violente. La désobéissance « criminelle », c’est-à-dire qui n’est pas « civile », c’est la violence. Toute violence, en effet, est une désobéissance à la loi qui interdit aux citoyens tout recours à la violence. Selon sa définition classique, l’État est l’institution qui, sur un territoire donné, possède le monopole de la violence légitime. L’État justifie ce monopole, qui désarme les citoyens, en affirmant qu’il assure ainsi la paix publique. Nous savons bien que, dans la réalité, les choses se passent souvent différemment et que l’État n’hésite pas à recourir à la violence pour faire prévaloir sa raison en privant les citoyens de leurs libertés fondamentales.
« La désobéissance civile, écrit Gandhi, est une révolte, mais sans aucune violence. Celui qui s’engage à fond dans la résistance civile ne tient simplement pas compte de l’autorité de l’État. Il devient un hors la loi qui s’arroge le droit de passer outre à toute loi de l’État contraire à la morale. C’est ainsi que, par exemple, il peut être amené à refuser de payer des impôts. (…) En fait, il se met dans une position telle qu’il faudra le mettre en prison ou recourir contre lui à d’autres moyens de coercition. Il agit ainsi quand il estime que la liberté physique dont il jouit en apparence est devenue un intolérable fardeau. Il tire argument du fait qu’un État n’accorde de liberté personnelle que dans la mesure où le citoyen se soumet à la loi. Cette soumission aux décisions de l’État est le prix que paye le citoyen pour sa liberté personnelle. C’est donc une escroquerie d’échanger sa propre liberté contre sa soumission à un État dont les lois sont, totalement ou en grande partie, injustes [9]. » Cela implique de discerner quelles lois sont justes et lesquelles sont injustes. Ce discernement n’est pas toujours facile, mais sa difficulté ne saurait être un prétexte pour nous y soustraire sous peine de devenir des citoyens irresponsables.
Défier la répression
Toute action directe non-violente, et plus particulièrement toute action de désobéissance civile, est un défi aux pouvoirs publics. Celui qui enfreint la loi se met de lui-même, et délibérément, dans une situation où il risque de subir la répression de l’État. Gandhi insistait beaucoup sur le fait que celui qui s’engage dans la résistance civile ne doit pas fuir la répression. La cohérence même de l’action non-violente exige en effet de faire face à la répression. Le fait même d’obliger l’État à recourir à des moyens de coercition à l’encontre des citoyens désobéissants constitue un élément essentiel de la stratégie de l’action non-violente. Cette répression va faire apparaître sur la place publique les véritables enjeux du conflit et l’opinion publique va ainsi se trouver prise à témoin et en quelque sorte obligée de se prononcer.
La lutte non-violente n’a pas une structure bi-polaire. Elle ne se réduit pas à l’affrontement entre, d’une part, les résistants et, d’autre part, ceux qui ont le pouvoir de décision, les décideurs. La structure de la lutte non-violente est tri-polaire. Il se crée ce que j’appelle une « triangularisation » du conflit. Le troisième pôle du conflit, c’est l’opinion publique. Il y a donc trois acteurs : les résistants, les décideurs et l’opinion publique. Et la bataille décisive est précisément celle de l’opinion publique. Convaincre les décideurs sera très difficile, surtout lorsqu’il s’agit des pouvoirs publics. Certes, les décideurs sont des femmes et des hommes, et je ne dis pas cela par principe, qui, comme tout un chacun, sont capables de comprendre les exigences de la justice. Mais, en même temps, ils risquent fort de se trouver prisonniers de leur propre pouvoir, d’être les otages du système qu’ils ont pour fonction de défendre. S’ils ne se laissent pas convaincre par la justesse de notre cause, peut-être se laisseront-ils contraindre par la pression de l’opinion publique. C’est pourquoi nous devons nous employer à convaincre l’opinion publique, c’est-à-dire, non pas peut-être la majorité de nos concitoyens, mais du moins une forte minorité d’entre eux.
Le choix de la non-violence peut être décisif pour gagner la bataille de l’opinion publique. Le recours à la violence risque fort de discréditer les résistants auprès de l’homme de la rue. Si nous utilisons la violence, nous ne créons pas un débat public sur l’injustice que nous combattons, mais sur la violence que nous commettons. Nous pouvons en être sûrs, ce sont les images de nos violences qui feront la une des médias et celles-ci ne pourront qu’indisposer l’opinion publique. La violence constitue un écran entre les acteurs de la résistance et l’opinion publique qui cache à ses yeux le bien-fondé de la cause pour laquelle la bataille est livrée. La violence fait passer les résistants pour des casseurs et elle justifie la répression à leur encontre, car il est logique que les casseurs soient les payeurs. Je n’ai rien à dire si je me retrouve en prison pour une action violente. En revanche, si je m’y trouve pour une action non-violente, je peux dire les raisons pour lesquelles j’y suis. La non-violence ne permet pas d’éviter la répression, mais elle la prive de toute justification. Et c’est la violence de la répression qui risque fort de discréditer les pouvoirs publics. Vous le voyez, ici, le choix de la non-violence n’est pas une question de morale, mais de réalisme et d’efficacité.
« Une minorité, Thoreau, est sans pouvoir tant qu’elle se conforme à la majorité ; ce n’est même pas alors une minorité. Mais elle est irrésistible lorsqu’elle fait obstruction de tout son poids. S’il n’est d’autre alternative que de garder tous les hommes justes en prison (c’est moi qui souligne), ou bien d’abandonner la guerre et l’esclavage, l’État n’hésitera pas à choisir. Si un millier d’hommes devaient s’abstenir de payer leurs impôts cette année, ce ne serait pas une initiative aussi violente et sanglante que celle qui consiste à les payer et à permettre ainsi à l’État de commettre des violences et de verser le sang innocent. C’est là en fait la définition d’une révolution pacifique (c’est moi qui souligne), si tant est que pareille chose soit possible [10]. »
Une question se pose : la destruction de biens matériels peut-elle trouver sa place dans le cadre d’une stratégie de l’action non-violente ? Certes, la violence utilisée contre les biens matériels n’est pas immorale en soi : ils n’en souffrent pas. Mais, là encore, une telle destruction peut indisposer une large partie de l’opinion publique et s’avérer ainsi contre-productive par rapport à la fin recherchée. Le fait de casser les vitrines de magasins ou de mettre le feu à des voitures n’a jamais fait avancer la moindre cause. Et de telles destructions vont encore servir à justifier la répression. Il convient donc, toujours par réalisme, de les éviter.
En revanche, un certain sabotage technologique peut parfaitement s’intégrer dans une stratégie de l’action non-violente. Il s’agit alors de mettre hors d’usage certains instruments ou certains équipements de l’adversaire. Pour cela, il n’est pas nécessaire de les détruire, il suffit d’enlever telle ou telle pièce nécessaire à leur fonctionnement. Pendant l’occupation allemande en France, certains employés des chemins de fer faisaient de la résistance, non pas en faisant sauter les ponts, mais simplement en enlevant quelques pièces qui pouvaient être très petites mais qui étaient nécessaires au fonctionnement de la locomotive. Ainsi, le train ne pouvait pas partir, ni les troupes ni le matériel militaires ne pouvaient être transportés. De même, au cours d’une grève, certains ouvriers peuvent enlever telle ou telle pièce d’une machine afin qu’aucun briseur de grève ne puisse la faire marcher. Ils en prennent le plus grand soin, ils l’huilent et la déposent dans un tissu, afin de pouvoir la remettre à sa place le jour de la victoire…
Il y a donc de sérieux arguments, d’ordre purement stratégique, à faire valoir pour faire l’option de la non-violence. Il convient encore de souligner que l’action directe non-violente est nécessaire à la respiration même de la démocratie. Il n’est pas vrai que les bons citoyens doivent s’en tenir à voter pour élire leurs représentants dans les différentes instances politiques. En réalité, par le vote, le citoyen délègue son pouvoir, il ne l’exerce pas. Pourquoi parler d’action directe ? Parce qu’il s’agit d’agir directement sur la place publique de la cité, sans passer par l’intermédiaire des institutions sociales ou politiques. Tout l’enjeu des mouvements de résistance civile, c’est de créer un espace public où les citoyens peuvent prendre la parole pour s’exprimer directement à l’intention à la fois de l’opinion publique et des pouvoirs publics. L’action directe et la résistance civiles sont des engagements essentiellement civiques et les pouvoirs publics auraient mauvaise grâce à accuser ceux qui en prennent la responsabilité d’incivisme.
Nous devrions tous nous mettre d’accord sur quelques propositions aussi simples qu’élémentaires. Si la non-violence est possible, elle est préférable. N’est-il pas ? Et si la non-violence est préférable, il nous faut en étudier les possibilités. N’est-ce pas encore logique ? Or, précisément, c’est ce que, jusqu’à présent, nous n’avons pas fait. Ma proposition est donc humble et modeste : étudions les possibilités de la non-violence en commençant par le commencement. Il ne s’agit pas de nous situer dans une problématique du tout ou rien. Mais avouons qu’en ce qui concerne la non-violence, nous sommes plus près du rien que du tout. Ne rêvons pas du tout, mais ayons la sagesse de nous éloigner du rien. Sinon, il n’est pas sûr que nous puissions encore apprendre l’espérance à nos enfants.
Notes
[1] Gandhi, The Collected Works of Mahatma Gandhi, Ahmedabad, The Publications Division, Ministry of Information and Broadcasting, Government of India, 1965, Vol. 75, p.220.
[2] Gandhi, Hindswaraj or Indian Rule, Ahmedabad, Navajivan Publishing House, 1938, p. 71.
[3] Albert Camus, L’homme révolté, Paris, Gallimard, col. Idées, 1951 p. 365.
[4] Gandhi, Tous les hommes sont frères, Paris, Gallimard, Col. Idées, 1969, p. 247.
[5] Gandhi, The Collected Works of Mahatma Gandhi, op.cit., Vol 48, p. 363.
[6] Henry David Thoreau, La désobéissance civile, Bats et Paris, Utovie & Robin des Bois, traduction de Jean-Pierre Cattelain, 1993, p. 7. Le texte anglais a été publié notamment dans Civil Disobediance : Theory and Practice, Edited by Hugo Adam Bedau, Pegasus, 1970.
[7] Ibid., p. 7-8.
[8] Ibid., p. 8.
[9] Gandhi, Tous les hommes sont frères, op.cit., p. 251.
[10] Ibid., p. 24-25.