Jean-Guy Greilsamer est co-président de l’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), une association qui combat vigoureusement la politique « raciste, d’apartheid et d’épuration ethnique » de l’Etat d’Israël, tout en proposant des solutions concrètes pour avancer vers la paix au Proche-Orient. L’UJFP est notamment engagé aux côtés d’autres associations dans la campagne planétaire « Boycott, Désinvestissement, Sanctions » (BDS), qui porte ses fruits à mesure qu’elle s’intensifie.
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LE BILAN : Pouvez-vous présenter votre association, son historique et son périmètre d’action ?
Jean-Guy Greilsamer : L’Union Juive Française pour la Paix (UJFP), née en 1994 de la volonté d’une expression juive sur les conditions d’une paix juste au Proche-Orient, est une association juive laïque rassemblant des adhérents juifs ou non aux histoires et aux parcours divers. Nous nous réclamons d’une histoire plurielle qui a produit aussi bien des résistants antinazis, des combattants anticolonialistes que d’autres figures universalistes dont les expériences marquent nos mémoires. Nous nous impliquons principalement dans deux champs d’interventions complémentaires : celui relatif à la situation au Proche-Orient et ses répercussions en France, et celui qui concerne les luttes antiracistes.
Nous nous dissocions des conceptions qui assimilent l’identité juive au sionisme et à l’Etat d’Israël.
Nous nous sommes développés surtout depuis la seconde intifada et ce développement nous a permis de participer à divers collectifs de solidarité avec le peuple palestinien, des collectifs antiracistes, et d’amplifier notre capacité de réaction aux situations que nous dénonçons. Nous publions des articles (notre site est www.ujfp.org), avons mis au point une exposition itinérante sur la situation des Bédouins du Néguev, effectuons des voyages militants en Palestine et Israël, organisons ou co-organisons des réunions publiques, et participons à de nombreuses mobilisations. Notre antiracisme ne se cantonne pas à la lutte contre l’antisémitisme, mais porte aussi contre l’islamophobie, le racisme anti-rroms, la négrophobie et tout autre racisme, et pour le droit d’asile des migrants.
LE BILAN : Que pensez-vous d’Israël, de sa politique colonialiste dans les territoires occupés et de sa politique discriminatoire vis-à-vis, notamment, des Arabes dans ses frontières ?
Jean-Guy Greilsamer : L’Etat d’Israël a été créé par l’ONU au lendemain de la seconde guerre mondiale et en contradiction avec ses propres principes d’auto-détermination des peuples. 55% de la Palestine historique, dont l’empire britannique était mandataire, ont été dévolus à Israël, et le droit au retour des 700 000 réfugiés palestiniens expulsés par Israël a été adopté par la résolution 194.
Mais Israël a lancé une guerre de conquête pour étendre son territoire et a strictement interdit tout droit au retour. A l’issue de périodes politiques successives où la complicité de la communauté internationale a largement prédominé, nous en sommes arrivés à la situation d’aujourd’hui, que l’Etat d’Israël a imposée au nom des Juifs du monde entier et sous prétexte d’assurer sa sécurité.
Cette situation, révoltante, est l’expression de la volonté de déposséder le peuple autochtone palestinien et d’imposer une suprématie juive dans un territoire s’étendant de la Méditerranée au Jourdain. Cette volonté se manifeste par des pratiques condamnées par de nombreuses résolutions internationales, visant notamment l’occupation et la colonisation de la Cisjordanie, la judaïsation de Jérusalem déclarée capitale éternelle et indivisible du peuple juif, le blocus de Gaza, qui est une prison à ciel ouvert. Les Palestiniens d’Israël, qui représentent 20% de la population de ce pays, soit 1,5 millions d’habitants, sont eux-mêmes gravement discriminés. Cela concerne aussi bien leurs droits nationaux (interdiction de célébrer la Naqba ou de contester l’identité juive d’Israël), juridiques (obstacles au droit à la construction et interdiction du regroupement familial des couples dont un conjoint est un-e palestinien-ne non originaire d’Israël), municipaux (crédits très inférieurs pour les communes palestiniennes), et sociaux. De nombreux villages palestiniens ne sont pas reconnus et les Bédouins du Néguev sont expulsés de leurs terres ancestrales.
LE BILAN : Vous participez à la campagne « Boycott Désinvestissement Sanction », pouvez-vous nous la présenter et nous préciser la façon dont vous la déclinez avec l’UJFP ?
Jean-Guy Greilsamer : La Campagne BDS a été lancé en 2005 par plus de 170 associations de la société civile palestinienne, un an après que l’Avis de la Cour Internationale de Justice condamnant le « mur de séparation » soit resté sans effet.
Elle vise à mettre fin à l’impunité d’Israël et à développer de larges compagnes de Boycott, Désinvestissement et Sanctions jusqu’à ce que cet Etat se conforme au droit international.
Son objectif est triple : mettre fin à l’occupation et à la colonisation, obtenir l’égalité complète des droits des Palestiniens d’Israël, et garantir le droit au retour des réfugiés.
Elle fédère donc les trois composantes du peuple palestinien : ceux des territoires occupés, ceux qui constituent la minorité palestinienne d’Israël, et ceux de la diaspora palestinienne qui vit en exil.
S’inspirant du boycott qui avait contribué à mettre fin à l’apartheid en Afrique du Sud, elle se développe selon plusieurs axes ; boycotts économique, sportif, syndical, culturel, universitaire.
Cette campagne internationale remporte de nombreux succès.
Par exemple la société Véolia, qui a participé à la construction d’un tramway colonial reliant Jérusalem aux colonies et a géré deux lignes de bus et une déchetterie en Cisjordanie au service exclusif de la population israélienne dont les colons, a subi de grosses pertes financières et se retire d’Israël.
Les investissements de pays étrangers en Israël en 2014 ont diminué de moitié par rapport à l’année précédente.
De nombreux artistes ont annulé leurs tournées en Israël.
L’UJFP participe pleinement à la Campagne BDS France (site : www.bdsfrance.org) et interpelle les autorités sur leurs manquements au respect du droit international et des droits humains en général.
Nous expliquons que la politique d’Israël est contraire aux valeurs de justice et d’égalité qui nous mobilisent en tant qu’association juive héritière d’un passé de résistance antiraciste et antifasciste, nous témoignons lors de procès intentés à des militants de BDS
LE BILAN : Les défenseurs du peuple palestinien sont régulièrement accusés d’antisémitisme par les défenseurs d’Israël. Que répondez-vous à cela ?
Jean-Guy Greilsamer : La solidarité avec le peuple palestinien pour ses droits, et notamment la Campagne BDS, sont foncièrement antiracistes, parce qu’elles appellent à l’égalité des droits, au refus des discriminations.
La manipulation par les défenseurs d’Israël de la mémoire de la Shoah est ignoble, elle vise à couvrir une politique raciste, une politique d’apartheid et d’épuration ethnique.
L’Etat d’Israël est largement responsable de l’antisémitisme qu’il dénonce, parce que l’image qu’il présente des Juifs du monde entier est celle d’une population entièrement dévouée à la cause du sionisme et des gouvernements israéliens quoiqu’ils fassent, au soutien d’un régime qui se place au-dessus des lois, qui se considère dispensé de respecter le droit international. Il crée ainsi la confusion entre juif et militant sioniste.
Les défenseurs d’Israël reprochent à BDS de s’attaquer aux Juifs en tant que Juifs. C’est complètement faux, ce que nous boycottons ce ne sont pas des individus mais une politique aux conséquences désastreuses. Par exemple le BDS culturel n’appelle pas à boycotter les artistes en tant qu’individus, mais les initiatives culturelles sponsorisées par l’Etat d’Israël, qui se sert des artistes pour se blanchir de ses crimes et pour se présenter comme un Etat « normal », ouvert à tous les courants d’opinion.
Je tiens à signaler que la plupart des procès contre des militants BDS se sont soldés par des relaxes, et que le motif de provocation à la discrimination raciale a été écarté, de sorte que les amis de la politique israélienne essaient maintenant de se centrer sur la notion d’entrave à la liberté du commerce quand des actions de sensibilisation visent les clients de grandes surfaces commercialisant des produits israéliens – et cela en l’absence de plaintes des enseignes concernées.
LE BILAN : Avec l’opération « Bordure protectrice » à l’été 2014 et la réélection récente de Benjamin Netanyahu, la perspective d’une paix fondé sur le respect mutuel entre Israéliens et Palestiniens semblent plus éloignée que jamais. Comment imaginez-vous une issue à cette situation critique ?
Jean-Guy Greilsamer : Je tiens à formuler une première observation. Les intentions criminelles du gouvernement Netanyahu sont clairement affichées, mais il ne faut pas s’imaginer que si la principale liste adverse concurrente, « L’Union sioniste » (au nom significatif …) avait triomphé, de réelles perspectives de paix seraient advenues. Il y aurait eu une tentative de relance d’un nouveau « processus de paix » reposant sur des bases excluant les droits fondamentaux du peuple palestinien et permettant de gagner du temps pour poursuivre la politique de dépossession qui lui est imposée. C’est pourquoi beaucoup de commentateurs avaient dit au lendemain de la réélection de Netanyahu : « Avec lui au moins c’est clair ».
Mon second sentiment résulte d’un séjour que j’ai récemment effectué en Cisjordanie. Suite à mes observations et à de nombreuses discussions avec les personnes rencontrées là-bas, je suis arrivé aux conclusions suivantes.
J’ai constaté que le peuple palestinien continue de résister dans sa vie quotidienne malgré la politique du gouvernement Netanyahu. Il ne subit pas jusqu’à présent d’émigrations massives.
Comme l’isolement d’Israël dans l’opinion publique internationale et la solidarité internationale se poursuivent, il est tout à fait pertinent d’estimer que la bataille pour les droits du peuple palestinien n’est pas perdue.
Je ne cherche pas à cacher que l’avenir est incertain. La situation du Moyen-Orient s’embrase, et il n’est pas possible de prévoir à quoi conduira le chaos actuel. Certains interlocuteurs ont évoqué une troisième guerre mondiale. D’autre disent que de telles situations peuvent aboutir aussi bien à de mauvaises qu’à de bonnes surprises (l’exemple de la chute du mur de Berlin a souvent été évoqué). La population palestinienne vit cette incertitude, mais elle ne capitule pas. Ses réalisations et ses projets destinés à survivre dignement continuent de se développer.
Alors ne passons pas un temps démesuré à envisager différents scénarios du futur. Vivons le présent !
Et n’oublions pas que quel que soit l’avenir, la solidarité avec le peuple palestinien est porteuse de valeurs pour un monde meilleur et qui concernent également notre situation ici-même : l’antiracisme, le vivre ensemble dans l’égalité et la justice, l’engagement pour la paix dans le monde. La solidarité avec le peuple palestinien dans notre contexte en France est un devoir moral et politique.
LE BILAN : Quelles sont les prochaines échéances pour la mobilisation BDS et pour votre association ?
Jean-Guy Greilsamer : Les prochaines échéances pour la mobilisation BDS sont de poursuivre les engagements en cours et de persévérer pour que notre voix soit reconnue dans les médias.
Les batailles en cours sont notamment contre la société Sodastream et contre la société Mehadrin.
Nous avons déjà remporté une première victoire contre Sodastream, dont le nom est la marque d’un gazéificateur et des recharges associées. Suite à une mobilisation internationale, son usine principale implantée dans la colonie de Ma’ale Adumim est en cours de fermeture.
Mais ce n’est qu’une demi-victoire, parce cette usine déménage sur des terres volées aux Bédouins du Néguev qu’Israël veut expulser massivement de leurs villages, en violation des dispositions internationales protégeant les peuples autochtones.
Une autre mobilisation est dirigée contre la société Mehadrin. Après la faillite en 2011 de la société Agrexco suite à la mobilisation de la Campagne BDS, Mehadrin est devenue la principale société israélienne d’exportation de fruits et légumes, dont la majorité provient des colonies, en particulier la Vallée du Jourdain. Cette politique est officiellement dénoncée par l’Union Européenne, qui depuis 2014 proscrit tout financement profitant aux colonies. Nous intervenons en direction des décideurs et des clients des grandes surfaces pour que ces produits soient retirés des étalages, ainsi que l’ont effectué certaines chaînes dans d’autres pays européens.
Nous poursuivons les autres formes de boycott en répondant à l’actualité qui les concerne, qu’il s’agisse des boycotts sportif ou culturel, ainsi que la campagne pour un embargo sur le commerce d’armes avec Israël.
Un autre axe important de mobilisation concerne les médias. Nous sommes l’objet à la fois d’une écoute accrue des médias et de campagnes de diffamation, voire de procès, impulsés par des milieux sionistes qui cherchent à tout prix à nous faire passer pour des antisémites. Notre gouvernement est lui-même souvent lié à ces accusations.
L’UJFP est également très attentive à ces campagnes diffamatoires, que nous dénonçons par des communiqués.
Je tiens à répéter que nous sommes très liés non seulement aux réponses que nécessitent l’évolution de la situation au Proche-Orient mais aussi aux mobilisations de solidarité contre l’islamophobie, le racisme anti-rrom, la négrophobie et la solidarité avec les migrants.
La consolidation de notre voie juive pour la justice et l’égalité, pour la dignité des peuples, nécessite un suivi attentif d’une actualité souvent tendue.
Nous répondons à de nombreuses sollicitations ; notre site présente l’agenda de nos activités.
Comme nous avons été au cours du premier semestre l’objet de plusieurs attaques du militant sioniste franco-israélien Gregory Chelli (dit Ulcan) ou de ses proches, qui nous traitent publiquement de « Juifs Kapos », nous avons intenté plusieurs procès qui vont requérir une mobilisation militante. L’autre coprésident de l’UJFP, Pierre Stambul, a même été victime à Marseille de violences du RAID, ce qui engage aussi la responsabilité des services de police.
Par ailleurs, l’une des initiatives que nous préparons est l’organisation le 7 novembre au soir d’une rencontre/débat avec des associations et des personnalités juives qui développent dans d’autres pays une politique très proche de la nôtre.
Entretien réalisé par Benoit Delrue
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