Vous êtes peut-être un ou une jeune professeur.e ou étudiant.e invité.e à une conférence en Israël. Vous ne voulez pas y aller, mais vous manquez d’arguments et de contre arguments. Nous avons donc préparé pour vous cette fiche conseil qui vous aidera à vous forger une opinion et à la défendre, si tel est votre choix.
Il y a trois principales questions:
1) Pourquoi boycotter Israël ?
2) Pourquoi le boycott d’Israël s’applique-t-il aussi au milieu universitaire ?
3) Quelles sont les questions qu’on va me poser, et comment y répondre ?
1) Pourquoi boycotter Israël ?
C’est en fait la réponse à la question « que faire? ». Israël est l’une des pires et des plus longues injustices géopolitiques en cours. C’est un État dangereux pour la paix dans le monde, qui vend des armes et son savoir-faire répressif, facteur de tensions et de guerres. Il est à l’avant-poste d’un type de société raciste, discriminatoire, coloniale, xénophobe et sécuritaire à laquelle aspire Donald Trump et ses amis. Face à ce dernier avatar du colonialisme occidental, il faut reconnaître que les nations occidentales auxquelles nous appartenons ont joué un rôle fondamental, et qu’elles peuvent encore influencer la situation. Alors que peut-on faire? Pourquoi ces nations et l’ONU ne font-elles pas respecter le droit international? Puisqu’elles ne le font pas, que peut la société civile, en particulier si elle cherche une méthode non-violente de s’impliquer dans ce conflit?
Dans une démarche anticoloniale, elle peut commencer par écouter les demandes de la société civile palestinienne, et en particulier l’appel dit « BDS » (Boycott, Désinvestissement et Sanctions, en 2005).. Nous ne rentrerons pas ici dans les détails (le site de BDS France le fait), mais la méthode s’inspire du mouvement de la société civile contre l’apartheid en Afrique du Sud dans les années 1980.
https://www.bdsfrance.org/qui-
Les demandes sont simples: le respect du droit international! 1) retrait des territoires occupés; 2) égalité des citoyens juifs et non-juifs; 3) retour des réfugiés. Tant que ces demandes n’ont pas abouti, les États doivent sanctionner, les entreprises doivent désinvestir, et les citoyens doivent boycotter. Ce n’est pas une fin en soi, c’est une tactique qui, si elle fonctionne, fait pression sur l’État israélien qui devra céder.
Les contours de cet appel sont régulièrement mis à jour par les Palestiniens, en concertation. Il est par exemple, contrairement au boycott de l’Afrique du Sud, limité aux institutions israéliennes, et ne s’étend pas aux individus. Donc si on boycotte les universités israéliennes ou les festivals israéliens, on ne boycotte pas un professeur, un étudiant, ou un artiste, juste parce qu’il est israélien (encore moins pour sa religion, bien sûr). On peut les rencontrer, discuter, et même travailler avec eux s’il n’y a pas d’argent (ou de logo) de leur institution, université, ministère ou consulat israélien qui est en jeu.
En revanche, et c’est ce qui fait sa force, l’appel BDS peut être utilisé par chaque citoyen dans sa vie quotidienne, dans un but pédagogique: au supermarché, sur le lieu de travail, avec son syndicat, à l’école, lors d’activités sportives, culturelles ou politiques, sur les réseaux sociaux etc. Il s’applique donc au domaine universitaire selon des directives claires du PACBI, et c’est donc le sens de la deuxième question…
https://www.bdsfrance.org/les-
Quelle forme prend cet appel au boycott? Tout est détaillé dans l’appel du PACBI, mais pour résumer, il s’agit de refuser tout colloque qui se déroulerait dans une institution israélienne, et tout financement et tout projet en collaboration avec une institution israélienne. Si possible, il est encore plus efficace de le revendiquer publiquement et d’inciter ses collègues à faire de même, voire son propre syndicat, département ou université.
Nous savons qu’il est parfois difficile d’affronter les pressions consécutives à un tel engagement, et nous n’intervenons pas dans le choix des personnes d’expliquer ou non les raisons de leurs refus. De nombreux syndicats étudiants et personnalités universitaires ont publiquement revendiqué ce type d’actions, comme Stephen Hawking, Judith Butler ou Angela Davis, mais aussi l’historien israélien Ilan Pappé qui a fini par quitter son université israélienne qui ne le laissait pas étudier librement les pages les plus sombres de son histoire, en particulier celles de 1947-1948.
La lettre d’Ilan Pappé en anglais:
https://www.theguardian.com/ed
D’autres exemples de lettres en anglais:
https://www.tadamon.ca/boycott
2) Pourquoi le boycott d’Israël s’applique-t-il aussi au milieu universitaire ?
D’abord parce que les Palestinien.ne.s nous le demandent, à titre individuel, mais aussi dans le cadre de la campagne collective BDS.
L’occupation, l’apartheid et l’exil forcé des réfugiés palestiniens touchent aussi les Palestiniens étudiants ou enseignants, empêchés de se rendre en cours à cause des checkpoints. Les Palestiniens sont discriminés de nombreuses façons dans leur accès à l’université en Israël, ce qui se traduit en chiffres par leur sous représentation en tant qu’étudiants, et encore plus en tant qu’enseignants. L’armée israélienne lance régulièrement des raids dans les universités de Bir Zeit ou de Al Quds, arrête des étudiants et des profs, et en tue parfois. L’université fait partie du champ politique colonial israélien, et on boycotte donc en solidarité avec les universitaires palestiniens.
Ensuite parce que les universitaires occidentaux non plus ne sont pas en dehors de leur société. Les universitaires se sont impliqués avant les autres dans le boycott de l’apartheid de l’Afrique du Sud dans les années 1980. Comme les autres, mais peut-être même plus que les autres, ils doivent comprendre la portée politique de leur participation à un événement dans une université israélienne, ou de leur annulation à une telle participation. Ce type de participation n’est pas une question de vie ou de mort, c’est souvent une question symbolique. Dans le domaine symbolique, ces gestes (participer ou annuler) deviennent très importants. Une fois l’invitation lancée, le piège est ouvert: la campagne BDS va interpeller les participants et les mettre face à un choix. Dans tous les cas ils prennent position: ils y vont et soutiennent (même malgré eux) l’institution israélienne, ou ils n’y vont pas et ils sont solidaires (même en silence) des Palestiniens.
Les scientifiques ne sont pas en dehors de la société
Ivar Ekeland, le 24 novembre 2016
Parce que les universités israéliennes bénéficient déjà (et beaucoup plus que les universités palestiniennes) de programmes de collaboration et de financement très généreux de la part d’institutions européennes ou américaines, ce qui permet aussi aux occidentaux d’exercer une pression qui, sinon, serait inefficace.. Cela devrait aussi permettre aux occidentaux d’assortir ces financements de conditions éthiques, qui existent déjà mais qui ne sont jamais respectées.
Parce que l’institution universitaire israélienne n’est pas innocente. Plusieurs universités sont illégalement construites entièrement ou en partie sur des terres palestiniennes occupées. De nombreux programmes universitaires participent ou collaborent avec l’industrie d’occupation civile et militaire, mais aussi avec la mise au point de sa propagande, ou les justifications de ses politiques discriminatoires et racistes. Deux articles à ce sujet:
Les université israéliennes profondément impliquées dans le massacre de Gaza
PACBI, le 5 août 2014
https://www.bdsfrance.org/les-
L’élite universitaire israélienne complice de l’oppression
Ofer Neiman, Haokets, le 20 avril 2016
http://www.ujfp.org/spip.php?a
Parce qu’il faut bien se rendre compte que tout événement (politique, culturel, sportif ou universitaire) organisé dans une institution officielle de l’État israélien, un colloque universitaire par exemple, visera à redorer le blason de l’État, et ce, malgré toutes les dénégations de ses organisateurs, et même s’ils ne cautionnent pas officiellement le gouvernement israélien. En effet, l’État israélien pourra ainsi se targuer d’organiser des colloques intellectuels, entre intellectuels fréquentables, quasi européens, pour faire oublier ou pour cacher les exactions qui se déroulent à quelques kilomètres de là (devons-nous rappeler ce qui se passe à Gaza? Des millions de Palestiniens sous blocus total et, tous les vendredis, des manifestants non armés abattus par des snipers de l’armée israélienne, pendant que des universitaires se prélassent dans un cocktail?!).
Ce genre d’événements participent à la campagne de blanchiment de l’État israélien. La propagande israélienne est spécialisée dans le blanchiment par la culture, l’université, le sport, mais aussi par des causes qui plaisent à l’occident comme l’homosexualité ou le féminisme. Aussi louables soient-elles, il ne faut pas que ces causes soient instrumentalisées pour cacher, ou même parfois renforcer, l’oppression des Palestiniens.
3) Quelles sont les questions qu’on va me poser, et comment y répondre ?
Premier contre argument, en général: pourquoi boycotter Israël et pas les autres pays qui commettent des atrocités? D’abord parce que les Palestiniens nous le demandent (ce qui n’est pas le cas des Américains ou des Chinois). Ensuite parce que, nous l’avons dit, les pays occidentaux ont une responsabilité dans la création de l’État colonial israélien et dans ses dérives racistes et violentes, revendiquées et prises comme modèles par des courants politiques auxquels nous nous opposons. Enfin, par pure stratégie: parce que dans le cas d’Israël, dont les universitaires sont financés en grande partie par l’occident, et dont les professeurs sont très sensibles à leur réputation aux yeux de leurs collègues occidentaux, c’est une stratégie qui peut être efficace pour améliorer la situation dans le monde. On aurait tort de s’en priver.
Deuxième critique: il ne faut pas empêcher le dialogue, en particulier avec les israéliens progressistes qu’on rencontre dans les universités. Précisons d’abord qu’il y a très peu d’israéliens progressistes, même dans les universités, si progressiste signifie reconnaître la gravité de la catastrophe de 1948 et sa nécessaire réparation, que la situation n’est pas symétrique entre des Israéliens colonisateurs et des Palestiniens colonisés, et qu’il faut viser à une co-resistance avec les Palestiniens plutôt qu’à une simple co-existence. Même si progressiste signifie seulement « défendre la liberté de circulation des chercheurs et étudiants Palestiniens entre Gaza et la Cisjordanie », l’israélien Eyal Sivan démontre dans la vidéo ci dessous (vers la 5ème minute), que cela concerne moins de 5% des universitaires israéliens:
Les légitimités du boycott académique de l’État d’Israël
BDS France, le 24 novembre 2016
Ensuite, comme on l’a déjà dit, rien dans l’appel à BDS n’empêche le dialogue avec des individus, car BDS ne cible que des institutions. De plus, les manifestations auxquelles les universitaires sont invités n’ont en général rien à voir avec un dialogue politique pertinent. Tout, au contraire, est fait pour que la question palestinienne soit passée sous silence, ou dans la portion congrue et dépolitisée du programme. Et comme jamais une université palestinienne ne sera capable d’organiser un événement même comparable, pour des raisons évidentes, l’asymétrie de traitement des deux communautés s’en retrouve renforcée.
Autre façon d’exprimer cette critique: le boycotte s’attaque à la liberté académique. Précisons d’abord qu’il s’agit ici de la liberté académique des israéliens, pas de celle des Palestiniens qui est bafouée depuis 50 ans par des universités envahies par l’armée, fermées arbitrairement, des étudiants arrêtés, emprisonnés, mais dont personne ne se soucie. Mais précisons surtout, tout comme le dialogue, que la campagne BDS n’entrave en rien à la liberté académique des universitaires israéliens. Dans le pire des cas, si son efficacité dépasse la mesure symbolique, elle limitera un peu le budget alloué à des universités israéliennes, déjà beaucoup mieux financées que les universités palestiniennes, par des institutions financières occidentales. Cette question est débattue ici:
De la liberté universitaire et du mouvement BDS
Omar Barghouti, The Nation, le 14 décembre 2013
https://www.bdsfrance.org/omar
La campagne BDS s’efforce de rappeler des faits, de proposer des pistes pour agir, et de demander aux universitaires de prendre leurs responsabilités. Entendons son appel.