Dans les années suivant la signature de premier accord d’Oslo de 1993 qui était destiné à marquer le début de la fin du conflit sur la Palestine, il devint de plus en plus difficile aux colons israéliens d’obtenir des permis officiels pour établir de nouvelles colonies en Cisjordanie. Si bien que les colons eurent ressort à des méthodes de piraterie de plus en plus sophistiquées pour aider le gouvernement – qui, en sous-main, souhaitait voir des colonies installées mais ne pouvait pas apparaître dans leur création – à outrepasser ses propres lois et ses engagements internationaux.
En 1999, plusieurs colons se plaignirent à l’armée d’une mauvaise réception sur leur portable quand ils conduisaient autour d’une courbe sur la route principale, la route 60, qui mène de Jérusalem aux colonies du nord de la Cisjordanie. En réponse, l’installateur téléphonique Orange accepta d’ériger une antenne dans la zone. Les colons indiquèrent le haut d’une colline élevée surplombant la courbe comme site potentiel pour le mât. La même colline avait été le site de tentatives précédentes – sans succès – de colonisation : trois ans plus tôt, les colons avaient affirmé que le sommet était une butte sous laquelle la ville biblique de Migron était enterrée. Des prospections préliminaires ne déterrèrent aucun reste plus ancien qu’un petit village byzantin, mais le sommet fut quand même appelé « Migron ». Deux jeunes colons occupèrent la colline en vivant dans des conteneurs convertis mais, sans perspective de pouvoir développer le site, ils partirent peu après.
Le sommet de la colline, dont les pentes étaient cultivées de figuiers et d’oliviers, appartenait à des cultivateurs palestiniens des villages de Ein Yabrud et de Burka qui y faisaient de l’élevage. Mais d’après les pouvoirs d’urgence accordés à l’armée israélienne, la construction d’une antenne relais pouvait être considérée comme une question sécuritaire, et pouvait par conséquent être faite sur des terres privées sans l’accord des propriétaires. Suite à une demande d’Orange, la Israel Electric Corporation connecta le sommet au réseau électrique et le fournisseur national d’eau le connecta à l’adduction d’eau, soi-disant pour permettre les travaux de construction.
À cause de délais dans la construction de l’antenne, en mai 2001 les colons construisirent une fausse antenne et reçurent la permission militaire d’embaucher un garde privé de sécurité pour la surveiller. Le garde s’installa dans une caravane au pied de l’antenne et clôtura le sommet environnant ; peu après sa femme et ses enfants s’installaient et connectaient leurs maisons aux fournitures d’eau et d’électricité déjà présente. Le 3 mars 2002, 5 autres familles les rejoignirent et l’avant-poste de Migron naquit formellement. L’avant-poste s’accrut régulièrement. Comme des familles vivaient déjà sur place, le Ministère israélien de la construction et du logement construisit une crèche, tandis que certains dons de l’étranger payèrent pour la construction d’une synagogue (1). Migron est actuellement le plus gros des 103 avant-postes éparpillés en Cisjordanie. À la mi 2006 il comprenait environ 60 caravanes et containers logeant plus de 42 familles : approximativement 150 personnes perchées sur la colline autour d’une antenne cellulaire (2).
L’antenne devint un foyer d’importance territoriale dans le paysage environnant. L’infrastructure construite pour elle permit à l’avant-poste d’émerger. Le champ énergétique de l’antenne n’était pas seulement électromagnétique, mais aussi politique, servant comme centre pour la mobilisation, la canalisation, la coalescence et l’organisation de forces politiques et de processus de plusieurs ordres. Migron n’est pas le seul avant-poste établi autour d’une antenne cellulaire. La logique de la communication cellulaire semble curieusement compatible avec celui de l’occupation civile de la Cisjordanie : toutes deux se répandent dans les territoires en établissant des réseaux qui créent une triangulation entre stations de base localisées sur des lieux élevés, au long de lignes radiales ou de vision. De plus, les réseaux cellulaires ont une fonction militaire. En les utilisant pour ses propres communications de terrain, l’armée a pu remplacer ses radios militaires encombrantes par un appareillage plus petit capable de transmettre des images de terrain et des localisations GPS entre soldats et unités.
Une fièvre d’établissements d’avant-postes a toujours été un indicateur de ce que les colons suspectaient être « des compromis territoriaux imminents ». Une telle activité vise à saboter les perspectives de progrès politique et d’assurer autant de terres que possible pour les colons israéliens dans les territoires occupés, au cas ou des retraits partiels devraient avoir lieu. Après le retour aux négociations avec l’Autorité palestinienne et l’administration Clinton à la plantation Wye dans le Maryland en octobre 1998, Ariel Sharon, alors Ministre des affaires étrangères, poussa les colons « à bouger, courir et s’emparer d’autant de collines qu’il le peuvent … tout ce que nous prenons maintenant restera à nous. Tout ce que nous ne prendrons pas par la force sera pour eux » (3). Ces dernières années, beaucoup d’avant-postes ont été construits pour tenter d’influencer le parcours du mur israélien de séparation qui, au moment de cette écriture en 2006, découpe un chemin tortueux dans la Cisjordanie, la logique étant qu’en semant sur le terrain des « points d’ancrage » en des lieux stratégiques, les planificateurs de l’État redirigeraient le mur autour d’eux pour les inclure du côté « israélien ». Les avant-postes marquent ainsi certaines des limites les plus contestées du conflit israélo-palestinien. Souvent, rarement au delà de l’adolescence, les soi-disant « jeunes des collines » rejettent la culture coloniale suburbaine de leurs parents en faveur de ressenti d’une frontière sauvage, sentiment également influencé par le mythe des héros de Western rudes et robustes ainsi qu’avec le mythe israélien des colons pionniers sionistes du début du XXe siècle. Les colons armés des avant-postes clashent souvent avec les fermiers palestiniens locaux, les chassent violemment de leur champ et volent leur production. En revanche, des militants palestiniens armés attaquent souvent les avant-postes. D’autres avant-postes ont été établis comme « mesures punitives » très de lieux ou des colons ont été tués.
Les avant-postes sont ainsi devenus le point focal de querelles politiques et diplomatiques. Les organisations pacifistes locales et internationales engagent des actions directes contre l’expansion des avant-postes. En 2004, plusieurs militants de la paix israéliens ont réussi à voler cinq caravanes de Migron, les plaçant provocativement en face du Ministère de la défense à Tel-Aviv, prouvant que l’évacuation peut être accomplie si la volonté de le faire existe (4). Des avocats des droits humains ont porté des requêtes à la Haute Cour de justice israélienne avec une série de contestations légales contre les avant-postes, dont la plus récente, contre Migron, est toujours en attente (5). Alors que la pression internationale monte, les gouvernements israéliens annoncent (habituellement bruyamment) leur décision de faire appliquer la loi israélienne et d’évacuer un certain nombre d’avant-postes. À l’occasion, des clash ont lieu entre le gouvernement et les forces des colons : des milliers de policiers se battent avec des milliers de colons qui voyagent pour la bataille télévisée au travers de la frontière. Cependant, souvent, un compromis est réalisé : les caravanes sont attachées à des camions et relocalisés sur une autre colline palestinienne. (…)
Traduit de Eyal Weizman, « Hollow Land. Israël’s Architecture of Occupation », Verso, 2006, pp 2-4 (partiel).
Notes :
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Le Ministère de la construction et du logement paya aussi une route d’accès goudronné. Les lampadaires et un double grillage avec des chiens enchaînés tous les 20 m furent payés par l’armée. Dror Etkes, « Construction in Unauthorized Outposts, April-August 2006 », Peace Now, http://www.peacenow.org.il/site/en/peace.asp?pi=61&docid=1936 (lien mort).
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Talya Sasson, “Un avis juridique provisoire soumis au Premier ministre Ariel Sharon au sujet des colonies illégales en Cisjordanie”. En anglais : http://archive.peacenow.org/entries/archive390.
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Agence France Presse, 15 novembre 1998
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BBC : « Activists demolish West Bank Outpost », 8 septembre 2004. L’opération fut entreprise par Dror Etkes de La Paix Maintenant. L’objectif était de prouver que le Ministre récalcitrant pouvait appliquer la loi et les promesses du gouvernement et retirer les avant-postes s’il le voulait vraiment.
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A la suite d’une longue bataille judiciaire, la colonie Migron a été évacuée en septembre 2012, seulement pour être déplacée de quelques centaines de mètres plus au sud (note du traducteur).
Traduction : JPB-CCIPPP pour BDS France