Le ministère des affaires étrangères israélien s’est dit « indigné » mardi 17 janvier après la publication dans la presse israélienne d’extraits d’un rapport de députés français accusant Israël de pratiquer « un nouvel apartheid » dans sa politique de l’eau.
Le quotidien Haaretz a publié mardi des passages d’un rapport d’information pour la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, remis en décembre par le député socialiste Jean Glavany, qui décrit la question de l’eau comme « révélatrice d’un nouvel apartheid au Moyen-Orient ».
Dans son rapport, M. Glavany, ancien ministre de l’agriculture, souligne que « la priorité est donnée aux colons en cas de sécheresse, en infraction au droit international », que « les ‘puits’ forés spontanément par les Palestiniens en Cisjordanie sont systématiquement détruits par l’armée israélienne » et qu’« à Gaza, les réserves d’eau ont été prises pour cible en 2008-2009 par les bombardements ».
« TERMINOLOGIE EXTRÊME »
« Nous sommes étonnés et indignés par ce rapport de M. Glavany qui a introduit une terminologie extrême dans le document, au dernier moment, sans en informer ses collègues, a affirmé Yigal Palmor, le porte-parole du ministère des affaires étrangères. Israël ne prend pas de l’eau aux Palestiniens. C’est plutôt le contraire qui est le cas. Israël transfère aux Palestiniens des quantités d’eau bien supérieures à ce qui est prévu dans les accords d’Oslo [de 1993 sur l’autonomie palestinienne]. »
« Le rapport est chargé d’une terminologie venimeuse très éloignée de toute critique professionnelle avec laquelle il serait possible de dialoguer […]. Au lieu de contribuer à l’entente et à la coopération, il attise les tensions en accumulant des données fausses et des affirmations biaisées », a ajouté M. Palmor.
EXPRESSION « TOTALEMENT INACCEPTABLE »
Le député du parti présidentiel UMP, Claude Goasguen, président du groupe d’amitié France-Israël à l’Assemblée nationale, avait dénoncé le 5 janvier l’expression « apartheid au Moyen-Orient » contenue dans le document, la jugeant « totalement inacceptable » et « d’une extrême gravité » à l’égard d’Israël. Interrogé mardi, un porte-parole du ministère des affaires étrangères français n’a pas souhaité commenter ce rapport.
Le gouvernement palestinien a salué la publication du rapport sur « le contrôle israélien des ressources palestiniennes en eau et leur utilisation dans l’intérêt des colons et des Israéliens ». L’ONG Les Amis de la Terre Proche-Orient a réclamé « un accord qui assure les droits en eau des Palestiniens, qui leur assure une part équitable dans les ressources transfrontalières en eau, à la surface et en sous-sol, et qui permet de gérer conjointement ces ressources communes en eau des deux côtés de la Ligne verte ».
L’organisation israélienne de défense des droits de l’homme B’Tselem a dénoncé en mai l’exploitation « systématique » des ressources en eau de la vallée du Jourdain en Cisjordanie occupée au profit des colons israéliens et au détriment des Palestiniens. L’eau est un enjeu stratégique et politique de premier plan dans les négociations de paix, au point mort, entre Israël et les Palestiniens.
B : Les conflits anciens du bassin jordanien et les tensions récentes du bassin d’Aral
N° 4070
ASSEMBLÉE NATIONALE
CONSTITUTION DU 4 OCTOBRE 1958
TREIZIÈME LÉGISLATURE
Enregistré à la Présidence de l’Assemblée nationale le 13 décembre 2011.
RAPPORT D’INFORMATION
DÉPOSÉ en application de l’article 145 du Règlement PAR LA COMMISSION DES AFFAIRES ÉTRANGÈRES
en conclusion des travaux d’une mission d’information constituée le 5 octobre 2010 (1)
sur « La géopolitique de l’eau »
Président : M. lionnel LUCA
Rapporteur : M. Jean GLAVANY
Députés
Rapport intégral sur le site de l’Assemblée nationale : http://www.assemblee-nationale.fr/1…
Extrait :
INTRODUCTION
[…]
II – L’EAU ENJEU DES RELATIONS INTERNATIONALES
[…]
B – ETUDES DE CAS : LES CONFLITS ANCIENS DU BASSIN JORDANIEN ET LES TENSIONS RÉCENTES DU BASSIN D’ARAL
1) Le bassin jordanien : l’eau volet intégré du conflit territorial et question sécuritaire
a) Israël ou la conquête de l’eau
b) Israël et les Arabes : entre guerre et paix
- L’allié jordanien confronté aux risques d’une crise de l’eau
- Les États en guerre avec Israël : la Syrie et le Liban
c) Le « partage » des eaux entre Israéliens et Palestiniens
- Les droits à l’eau des Palestiniens : des droits reconnus dans le cadre d’un partage provisoire et inégal des ressources des seuls aquifères
- Une gestion quotidienne largement asymétrique
- Une réforme du partage des eaux est-elle possible ?
d) Règlement global – solutions techniques
Encadré n°3 : L’eau, révélatrice d’un nouvel apartheid au Moyen Orient
B – Etudes de cas : les conflits anciens du bassin jordanien et les tensions récentes du bassin d’Aral
La mission d’information a effectué deux déplacements dans deux bassins présentant des risques de conflits avérés ou potentiels : le bassin jordanien et le bassin de la mer d’Aral. Ces deux cas d’école présentent de très nombreuses différences, à commencer par le fait que des conflits ouverts ont eu lieu au Proche-Orient et que la probabilité d’un nouveau conflit dont l’eau serait une composante est sans doute plus élevée là qu’ailleurs. Ils ne sont évidemment pas comparables. La rareté hydrique auquel le bassin jordanien est confronté est également un élément de différence majeur par rapport à une Asie centrale richement dotée en eau. Mais en introduction, quelques similitudes intéressantes peuvent être soulignées :
une répartition inégale de l’eau, tant géographique que dans son « exploitation » ;
une vulnérabilité aux évolutions climatiques et une pression démographique importante ;
des phénomènes d’internationalisation récents : création de l’Etat d’Israël et émergence d’un Etat palestinien, éclatement de l’URSS et indépendance des 5 Républiques d’Asie centrale ;
un contexte d’animosité générale, même si celle du Moyen-Orient s’exprime plus violemment qu’en Asie centrale ;
la présence d’un Etat d’aval puissant qui cherche à sécuriser ses approvisionnements (Israël, Ouzbékistan) ;
la présence d’un Etat qui ne souhaite pas adhérer à la convention internationale de 1997 (Israël, Tadjikistan) ;
un désastre écologique résultant de l’assèchement des fleuves avec des mers intérieures qui se sont réduites : la mer morte d’une part, la mer d’Aral d’autre part ;
des projets dont la viabilité économique et les risques écologiques et humanitaires font débat (canal mer Rouge – mer Morte, centrale de Rogun) et pour lesquels la Banque mondiale pilote une expertise.
Surtout, l’analyse de ces deux bassins hydrographiques permet de conclure avec Frédéric Lasserre : « Mieux gérer la ressource, faire preuve de transparence et éviter les gestes unilatéraux, séparer hydraulique et ambitions régionales : la question de la rareté de l’eau, plus qu’un problème de quantités, est en réalité une bataille d’idées, de modèles de gouvernance, de choix politiques » (59).
1) Le bassin jordanien : l’eau volet intégré du conflit territorial et question sécuritaire
Le bassin Jordanien fait, à juste titre, l’objet de nombreux ouvrages ou articles y compris sous l’angle de la gestion des eaux. Il présente un grand intérêt parce que les États connaissent des pénuries d’eau mais aussi des pauvretés en eau très variables, parce que le partage des eaux concerne non seulement des eaux de surface, mais aussi des aquifères, enfin parce que l’eau est indissociable du conflit israélo-arabe et israélo-palestinien dont la résolution est attendue depuis tant d’années maintenant.
Le bassin du Jourdain c’est 2,5 milliards de m3. Il y a 100 ans, 1,1 milliard de m3 parvenaient jusqu’à la mer Morte. Aujourd’hui, ce chiffre est ramené à zéro. Le fleuve que Saint Christophe aurait fait traverser à Jésus sur ses épaules ne lui arriverait pas à la cheville en certains lieux. Le Jourdain est situé dans une zone aride et semi-aride caractérisée par un fort déficit hydrique. Il trouve sa source dans trois affluents : le fleuve Hasbani au Liban, le fleuve Banias du Golan, et enfin le fleuve Dan d’Israël ; les trois fleuves se rejoignant dans le bassin de Huleh. De là, le Jourdain poursuit son chemin en territoire israélien avant de se jeter dans le lac de Tibériade. A sa sortie du lac, le Jourdain est rejoint par son principal affluent le Yarmouk, qui vient de Syrie et qui forme une frontière naturelle entre la Jordanie et la Syrie d’abord, et ensuite une frontière naturelle entre Israël et la Jordanie. Du point où il est rejoint par le Yarmouk, le Jourdain constitue la frontière entre Israël et la Jordanie. Avant 1967, le Jourdain poursuivait son cheminement en territoire jordanien pour terminer son cours dans la mer Morte. Depuis la guerre des Six jours en 1967, il constitue la frontière entre la Jordanie, et les territoires occupés. Outre le fleuve lui-même et ses affluents, le bassin du Jourdain comprend d’autres sources d’eau : le lac de Tibériade et l’aquifère de la Montagne situé au cœur de la Cisjordanie. Le bassin du Jourdain regroupe quatre États : Israël, la Jordanie, le Liban et la Syrie ; auxquels il faut ajouter les Palestiniens.
Disponibilité des eaux renouvelables des pays riverains du Jourdain en 2005
Mètres cube par habitant
et par an Cisjordanie 75 Gaza 125 Jordanie 200 Israël 240 Liban 1200 Syrie 1500
Source : Banque mondiale, 2009
La demande augmente du fait de l’accroissement de la population et de l’amélioration du niveau de vie. Il y a ensuite la baisse de l’offre liée à la diminution de la pluviométrie et la modification de la distribution des pluies. La combinaison de ces deux phénomènes crée une crise de l’eau incontestable. Elle affecte le sud de la Syrie, la Jordanie, la Palestine et Israël. Une conséquence peut être l’émigration des paysans vers les villes, comme en Syrie, ou une déstabilisation de l’Etat, comme en Jordanie. Les États de la région se sont dotés, avec ou plus ou moins d’efficacité, de programmes de gestion par la demande. Mais le plus frappant est le développement des politiques de l’offre : dessalement et eaux non conventionnelles, projets de pompages ou de transferts d’eau.
Une mise en œuvre adaptée des principes de bonne gestion de l’eau accompagnant ces solutions d’offre permettront sans doute d’améliorer la disponibilité de l’eau pour les populations et de repousser les limites de la crise de l’eau. Cependant, elles ne font aussi que geler une situation de partage contestable des eaux du bassin jordanien dont on voit difficilement comment elle pourrait être remise en cause sans qu’une solution définitive soit apportée au conflit israélo-palestinien et ses trois problèmes premiers : les frontières, le statut de Jérusalem et les réfugiés. De plus, la situation qui résulte des politiques conduites accorde une importance trop faible aux questions environnementales et de santé publique. Au-delà des enjeux posés par les ouvrages, la détérioration de la qualité des aquifères et la catastrophe de la mer Morte en témoignent.
a) Israël ou la conquête de l’eau
Analyser le partage du Jourdain, c’est d’abord relater l’histoire de l’Etat d’Israël, qui se caractérise notamment par une conquête de l’eau : maîtrise de l’eau pour assurer sa distribution et rendre la terre fertile, conquête des territoires lui assurant la sécurité de l’approvisionnement, création d’eau par les procédés les plus innovants.
Le premier sommet des chefs d’États arabes en 1964 avait pour objet de réunir les Arabes contre le détournement des eaux du Jourdain par Israël. La maîtrise des ressources en eau n’est pas nouvelle dans l’histoire d’Israël. La nécessité de disposer des sources d’eau sur le territoire du futur Etat figurait déjà dans l’esprit de l’Organisation sioniste. Les limites du futur Etat étaient pensées comme devant inclure une partie du Liban, plus précisément le Litani. Il est difficile dans ces conditions de ne pas voir dans les conquêtes territoriales qui suivirent une conquête de l’eau. À l’issue de la guerre des Six jours, Israël s’emparait de territoires riches en eau : le Golan (les sources du Banias), qui fournit 20 % de l’eau « naturelle » d’Israël, et la Cisjordanie (Jourdain, Yarmouk et aquifères). Le 14 mars 1978, l’opération « Litani » se traduira par une occupation du sud-Liban à nouveau occupé après l’opération « Paix en Galilée » lancée en février 1982. Le barrage de Karaoun est pris, qui représente un réservoir de 220 millions de m3. Au total, l’eau « naturelle » d’Israël provient pour plus de la moitié de ses frontières d’avant 1967 et un quart des territoires occupés de Gaza et de Cisjordanie. Voilà pour la conquête des sources d’approvisionnement, sans que ce facteur de conflit l’emporte sur les autres.
La conquête de l’eau s’exprime aussi au travers le développement de ses infrastructures d’eau et désormais dans l’avance technologique que le pays a pris et mis en pratique pour produire de l’eau non conventionnelle. Les ressources disponibles en Israël sont de l’ordre de 1,3 -1,5 milliard de mètres cubes par an. La tendance est à la baisse (de 50 % en quinze ans). Israël a commencé par transférer de l’eau du nord vers le sud (80 % des ressources naturelles d’eau se trouve dans le nord du pays), puis la grande conduite nationale du lac de Tibériade a été construite (un grand adducteur nord-sud, d’une longueur d’environ 130 km, construit en 1964, qui achemine 400 millions de mètres cubes par an). Enfin, pour faire face à la pénurie, Israël s’est lancé dans un vaste programme de dessalement de l’eau de mer. L’eau est ainsi transférée du sud vers le nord.
Au 1,2 milliard de m3 d’eau disponible après transfert des quotas qui reviennent aux Palestiniens et aux Jordaniens, s’ajoutent ainsi 300 millions de m3 issus du dessalement, volumes qui devraient doubler dans les trois années à venir. En 2002, Veolia Water et ses partenaires israéliens ont remporté le contrat de l’usine de dessalement d’Ashkelon, située à une quarantaine de kilomètres au sud de Tel Aviv, à quelques kilomètres de la Bande de Gaza. L’usine a démarré en 2005. Elle alimente environ 1,4 million d’habitants. L’eau de mer alimentant l’usine arrive par deux canalisations (une par tranche) de 1,60 m de diamètre allant chercher l’eau au large et placées à une profondeur d’une dizaine de mètres. Il s’agit de la plus grande usine de dessalement d’Israël concourant à 15 % de la production israélienne. C’est une des plus grandes références au monde dans le domaine du dessalement par osmose inverse. L’eau est affectée aux usages agricoles et industriels. Les rejets (200 millions dont 60 % d’eau de mer) sont effectués au même endroit qu’une entreprise électrique qui utilise l’eau de mer pour ses circuits de refroidissement. Au-delà de 20 mètres du bord, les tests montrent que la salinité de l’eau n’est pas modifiée par les rejets. Un million de shekels sont dépensés chaque année pour procéder aux tests de vérification.
D’autres sources non conventionnelles comme la réutilisation des eaux usées sont mises en œuvre. L’épuration des eaux est assurée à 90 % avec 17 % de recyclage. Les usages de l’eau en Israël sont les suivants : 6 % industriels, 41 % domestiques et 53 % agricoles. La ressource provient pour 17 % de la réutilisation des eaux usées et de 5 % du dessalement. Le reste est constitué des eaux de surfaces, des eaux souterraines et des eaux saumâtres. Des brûleurs sont utilisés pour provoquer des pluies localisées grâce à l’iode d’argent et augmenter ainsi la pluviométrie de 10 à 15 %. A la frontière sud-est, les eaux saumâtres sont exploitées pour l’agriculture, la zone produisant la moitié des produits destinés à l’exportation. Les projets de dessalement d’eaux saumâtres démarrent. Une ombre au tableau est toutefois à signaler : les boues des stations d’épuration sont rejetées en mer, ce qui dénote un défaut de responsabilité environnementale sur des ressources non destinées à un usage israélien. Fort de cette expérience, Israël se positionne à l’international pour exporter son savoir-faire en la matière. En 2005, une nouvelle entité de dessalement a été créée, détenue à 100% par l’Etat, afin de se tourner vers les marchés étrangers (Argentine, Chypre etc.). Son budget est de 970 millions de dollars.
Une politique de rationalisation des usages a également été conduite. Le secteur agricole a subi les transferts d’eau au profit des usages industriels et domestiques. Des compensations ont été trouvées : réutilisation des eaux, amélioration des techniques d’irrigation (goutte à goutte) et l’adaptation des productions aux terres. Des campagnes de publicité massives ayant permis de réduire les usages domestiques (par habitant car globalement la consommation d’eau par habitant a doublé en vingt ans de 400 à 800 millions de m3 annuels). Ces politiques se sont accompagnées d’une révolution administrative pour passer à une gestion plus centralisée, une tarification du coût de l’eau à son prix véritable pour le consommateur et une réduction des fuites à un taux inférieur à 10 %. La sécheresse qui a frappé la région en 2009-2010 a conduit à introduire, en sus du relèvement des tarifs, un impôt sécheresse frappant les surconsommations. Les tarifs de l’eau ont ainsi presque doublé ce qui a entraîné une baisse de 20 % de la consommation. L’agriculture est quant à elle soumise à des quotas qui, cumulés à la hausse des tarifs, ont eu pour effet d’améliorer la gestion de l’eau sans affecter la productivité. Cette politique a des limites : la ligne rouge a été franchie une année et certaines maladies sont apparues sur les cultures (60).
Israël reproche en conséquence souvent aux autres États de la région de mal gérer l’eau. Israël assure une consommation de 300 litres par jour à ses citoyens, continuité de service incluse, alors que son territoire n’est pas plus riche en eau et l’est beaucoup moins que celui du Liban par exemple. Mais sa gestion n’est pas parfaite sur le plan environnemental. Il a une grande part de responsabilité dans la surexploitation des ressources naturelles. La qualité de l’eau se dégrade du fait de l’utilisation intensive des nappes phréatiques. La salinité de l’eau des nappes montagneuses de Jéricho, de la rivière du Jourdain et des nappes côtières a augmenté de manière dramatique, dégradant la qualité des ressources utilisées aussi bien pour la consommation que pour l’agriculture. Le niveau du lac de Tibériade a atteint sa ligne rouge.
b) Israël et les Arabes : entre guerre et paix
- L’allié jordanien confronté aux risques d’une crise de l’eau
La Jordanie constitue pour Israël la « frontière sûre ». À la suite des accords d’Oslo, Israël et la Jordanie ont signé un traité de paix le 26 octobre 1994 qui détermine notamment les modalités de partage des eaux du Jourdain entre les deux pays. C’est un accord complexe, comportant de nombreux articles, et qui fait dépendre les quantités d’eau de la pluviométrie. Son article 6 prévoit que la Jordanie peut utiliser les eaux du Yarmouk à l’exception de 25 millions de m3 par an attribués à Israël dont 12 millions du 15 mai au 15 octobre, Israël ayant par ailleurs le droit de pomper 20 millions de m3 supplémentaires dans le flux hivernal. En échange, Israël concède à la Jordanie le transfert de 20 millions de m3 pendant la période d’été de l’eau du Jourdain. Cet accord a permis à la Jordanie de sortir de l’impasse dans laquelle elle se trouvait après son opposition à la première guerre du Golfe et le retrait massif de capitaux étrangers qui s’en était suivi.
Le traité de paix du 26 octobre 1994 reconnaît le principe de l’utilisation raisonnable (article 6§2) sans y faire explicitement référence. En effet il y est stipulé que « les Parties s’engagent à assurer que la gestion et le développement de leurs ressources en eau ne porteront atteinte en aucune manière aux ressources en eau de l’autre Partie ». De même les Parties au traité s’engagent à coopérer en matière d’échanges de données et de recherche et développement pour tout ce qui a trait à la question de l’eau.
L’eau se révèle de plus en plus un facteur de déstabilisation interne du pays : il faut en effet se souvenir que 50 % des Jordaniens sont d’origine palestinienne. La Jordanie présente un taux de croissance faible (de 3 %) par rapport à son potentiel. Les finances avaient été assainies (baisse de trois points de PIB de son déficit) mais l’année 2011 est difficile avec la remontée des prix du pétrole et les interruptions répétées de livraison de gaz égyptien (approvisionnement bon marché) par suite des attentats sur le pipeline qui achemine le gaz à la Jordanie et à Israël. En outre, en janvier 2011, un paquet social de 650 millions de dollars a été adopté et les agences de notation ont dégradé la note du pays.
Le stress hydrique est important en Jordanie, avec 145 m3 par habitant par an. Les ressources sont satisfaisantes pour 2 millions d’habitants alors que plus de 7,5 millions de personnes vivent en Jordanie. La Jordanie est le troisième pays au monde le plus pauvre en eau. Elle bénéfice d’aides internationales pour faire face au problème, mais l’augmentation de la population préempte l’augmentation de la production d’eau. L’eau devient donc une entrave au développement économique. La Jordanie dépense déjà environ 5 % de son PIB pour l’eau et l’écart entre l’offre et la demande se creuse. Le citoyen ne peut payer le prix de l’eau, services inclus, sans subvention de l’Etat. Il y consacre en moyenne déjà 5 à 8 % de son revenu. Dans les quartiers populaires d’Amman, l’eau n’est disponible que 28 heures par semaine (contre 66 auparavant). La Jordanie a adopté une stratégie eau en 1997 dont les grands axes étaient la préservation des ressources, la lutte contre la pollution, la réponse aux besoins de base des citoyens, le développement de la ressource et la coopération régionale. Mais même en augmentant l’efficience des réseaux, le déficit hydrique demeurera important en l’absence d’un développement de la ressource.
En outre, la ressource se tarit. Le changement climatique et les ouvrages syriens en amont du fleuve ne permettent plus à la Jordanie de bénéficier du quota d’eau prévu par le Plan Johnston. L’eau du Jourdain disponible est de l’ordre de 80 à 90 millions de m3 à partager avec Israël, qui en prélève 25.
Quotas fixés par le plan Johnston de 1955 (en millions de m3)
Source Liban : Syrie : Jordanie : Israël Hasbani (Liban) 35 Banias (Syrie) 20 Jourdain (Is/Syr/Jord) 22 100 375 Yarmouk (Jordanie) 90 377 25 Side Wadis (Jordanie) 243 TOTAL 35 132 720 400
Le lac de Tibériade est utilisé par Israël en amont pour déverser déchets et eaux industrielles et ce qui reste en aval a été détourné vers le désert du Néguev. L’eau disponible est inférieure au total des droits sur l’eau. Cela prouve que l’accord conclu avec Israël s’adapte mal aux évolutions. La Jordanie se tourne donc vers des projets tendant à augmenter le montant d’eau à répartir afin de préserver les droits de chacun. Il faut donc investir pour produire de l’eau et investir pour l’acheminer. Or, toutes les ressources en eau du pays sont des ressources partagées : la nappe de Disi avec l’Arabie saoudite, le Jourdain avec le Liban, Israël et la Syrie, la mer Morte avec Israël et les Palestiniens et, pour l’eau salée de la mer Rouge, le golfe d’Aqaba avec Israël.
Il existe un projet d’exploitation de la nappe de Disi très coûteux que le gouvernement entend subventionner en investissement, mais aussi en exploitation (revente à perte pour un coût annuel de quelques 50 à 80 millions de dollars). La distance entre Disi et Amman est de 320 km. Ce projet a beaucoup inquiété les Saoudiens qui pompent des volumes énormes de cette nappe non renouvelable.
Il existe surtout un projet pharaonique de transfert d’eau de la mer Rouge vers la mer Morte. La France a joué un rôle moteur pour que soit créé un fonds multilatéral de la banque mondiale pour financer des études sur ce projet difficile, coûteux, qui n’arrive pas à se construire dans un cadre régional. Le plus difficile est la construction d’usines de dessalement assurant la production d’1 milliard de m3 par an à échéance 2050. A noter que la distance entre Aqaba et Amman est de 250 km. La Banque mondiale doit remettre très prochainement une étude comprenant un fort volet environnemental et des études de projets alternatifs. La Jordanie a par ailleurs lancé un projet national à dimension régionale (rejets de saumures, pompage etc.). Le projet est très coûteux (quelques 4 milliards de dollars) car il faut acheminer l’eau vers Amman et éliminer les saumures. La viabilité économique du projet est mal assurée. Elle repose sur des financements privés remboursés par des recettes assurées par la vente d’immeubles construits sur le tracé et par la fourniture d’eau. Il existe des financements malgré l’opposition de certains environnementalistes et de l’Allemagne. Ce projet apparaît en Jordanie comme indispensable parce que l’exploitation de la nappe de Disi et le pompage des eaux du golfe d’Aqaba ne suffiront pas à répondre aux besoins.
Pourtant, contrairement au projet de barrage de Rogun au Tadjikistan, le projet fait l’objet d’un consensus, si l’on met de côté les risques environnementaux. Les Israéliens sont particulièrement enclins à voir le projet déboucher. Les Jordaniens ont besoin d’eau. Des discussions ont lieu et une piste alternative est à l’étude, consistant à construire une usine de dessalement à Aqaba pour la région sud, à alimenter, à partir de celle-ci, le sud d’Israël (50-60 millions de m3 par an) et en échange à recevoir plus d’eau fournie par Israël au nord. Il y a déjà des échanges d’eau avec Israël de l’ordre de 10 millions de m3 par an en vertu de l’accord de 1994. L’enjeu est donc de le renforcer en multipliant par cinq les volumes. Il convient de souligner que la mise en place de ce système d’échange d’eau permettrait d’économiser quelques 700 km de tuyaux mais ne règlerait pas la question environnementale de la mer Morte. Les Israéliens seraient ouverts et prêts à renoncer à une créance de 40 millions de dollars, point qui cependant n’a pas été confirmé lors du déplacement de la mission. Un accord a également été conclu l’an passé pour que la Jordanie puisse acheter de l’eau à Israël en cas de besoin. Le projet alternatif d’importer de l’eau de la mer Méditerranée dessalée jusqu’au lac de Tibériade pour alimenter ensuite le Jourdain et la mer Morte n’est pas totalement abandonné mais il paraît moins judicieux de dessaler de l’eau pour qu’elle se jette dans une mer salée. On soulignera cependant que les marges de progression de la Jordanie en matière de gestion de l’eau sont immenses. Son système de tarification est inefficace et ses taux de fuite extrêmement élevés (50 % à Amman).
Au Proche-Orient, le projet de canal mer Rouge – mer Morte apparaît comme un modèle à construire de coopération et de paix, comme une mise en pratique du concept d’hydro-diplomatie. Il se heurte cependant à la question de l’indispensable association des Palestiniens à ce projet. Or, pour les Palestiniens, aucune négociation sur l’eau ne peut aboutir tant que la question du partage des aquifères et de l’accès au Jourdain n’aura pas été réglée.
- Les États en guerre avec Israël : la Syrie et le Liban
Le plateau du Golan constitue évidemment un contentieux territorial avec la Syrie, dans lequel terre et sécurité de l’approvisionnement en eau sont imbriqués.
Il est intéressant de souligner que lors de sa ratification de la Convention de 1997, la Syrie a exprimé la réserve suivante : « L’approbation de la présente Convention par la République arabe syrienne et sa ratification par le Gouvernement syrien ne signifient nullement que la Syrie reconnaît Israël ou qu’elle entretiendra des rapports quelconques avec Israël dans le cadre des dispositions de la Convention ». Israël a notifié la réponse suivante : « De l’avis du Gouvernement de l’État d’Israël, une telle réserve, dont la nature est explicitement politique, est incompatible avec l’objet et le but de la Convention et ne peut en aucune manière modifier les obligations qui incombent à la République arabe syrienne en vertu du droit international général et de certaines conventions particulières. Quant au fond de la question, le Gouvernement de l’État d’Israël adoptera envers la République arabe syrienne une attitude de complète réciprocité. » On soulignera que l’Etat d’Israël ne donne à ce jour aucun signe de signature et a fortiori de ratification de la Convention. Il estime que la résolution des différends doit passer par des traités bilatéraux qui doivent primer sur des principes généraux. On rappellera que la convention ne frappe pas de nullité les accords antérieurs et propose un certain nombre de critères qui permettraient à Israël de défendre ses positions. La référence systématique des Palestiniens à l’utilisation équitable et raisonnable suscite une certaine crispation sur la question.
Concernant le Liban, le bassin du Jourdain fait l’objet de deux sous-conflits :
le Hasbani / Wazzani avec 35 millions de m3 prévus par le plan Johnston. Un projet d’installation de pompes en 2001 a provoqué l’ire des Israéliens. La tension avec Israël est retombée au vu des volumes modiques concernés après la remise d’un rapport sur les stations de pompage, faisant également état du projet de barrage d’Ibl Sagi dont la conception est achevée. À cet égard, le Liban a respecté son obligation d’information telle qu’elle figure dans la jurisprudence de la Cour internationale de justice ;
les hameaux (ou fermes) de Chebaa : il s’agit d’un territoire libanais occupé par la Syrie et annexé par Israël. Les sources d’eaux qui s’y trouvent ont un impact sur le partage du Dan qui est un fleuve israélien en vertu de l’accord de 1949. Plus précisément, si les hameaux sont restitués au Liban, l’alimentation du fleuve Dan sera assurée depuis le territoire libanais. Les hameaux de Chebaa sont une région de moins de 40 km² et comprenant 14 fermes, située au sud de Chebaa, un village libanais sur les pentes ouest du Mont Hermon, à proximité du point triple de frontière entre la Syrie, le Liban et Israël. Ces fermes produisent du blé, des fruits et des légumes. Elles disposent dit-on d’importantes ressources en eau et constituent un point stratégique. Ces fermes, libanaises au temps du mandat français, sont progressivement occupées par l’armée syrienne dans les années 1950 et 1960. Israël les occupe en 1967. La région est restée sous contrôle israélien après le retrait des forces israéliennes du Sud Liban en 2000. Elles sont situées à des altitudes allant jusqu’à 1880 mètres, ce qui leur ajoute une valeur stratégique. On ne sait pas quelle est exactement la richesse en eaux souterraines de cette zone mais l’instrumentalisation politique qui en est faite, notamment par le Hezbollah, est très forte.
c) Le « partage » des eaux entre Israéliens et Palestiniens
- Les droits à l’eau des Palestiniens : des droits reconnus dans le cadre d’un partage provisoire et inégal des ressources des seuls aquifères
En Cisjordanie, la nappe phréatique dite « des montagnes » est la principale ressource hydraulique partagée. Elle se divise en trois bassins. Le bassin ouest, dont 70 % de la surface se situe du côté palestinien, est le plus productif avec une capacité de renouvellement de 362 millions de mètres cubes (MCM) par an. La capacité estimée du bassin nord est de 142 MCM par an et celle du bassin de 172 MCM. Bien que ce dernier bassin se situe quasi exclusivement en Cisjordanie, l’exploitation israélienne représente 60 % des quantités extraites annuellement. En outre, la Cisjordanie borde la rivière du Jourdain mais les Palestiniens n’y ont pas accès. Cette ressource hydraulique est exploitée à 60 % par les Israéliens et à 40 % par les pays arabes.
Dans la Déclaration d’Oslo du 13 septembre 1993, « Israël reconnaît les droits des Palestiniens sur l’eau en Cisjordanie » (article 1-3). Le volet « eau » de l’accord intérimaire de Taba signé le 28 septembre 1995 entre l’Autorité Palestinienne et l’État d’Israël (Oslo II) prévoit un partage des eaux qui s’applique jusqu’à la signature d’un accord permanent.
Les clauses de 1995 des accords d’Oslo II ne concernent que les eaux souterraines. Son article 40 traite des principes de partage selon les quantités utilisées à l’époque de l’accord, plus une quantité supplémentaire que la partie Palestinienne pourrait exploiter à partir de l’aquifère Oriental. Les négociations à l’époque ne pouvaient en effet porter que sur le partage de cet aquifère qui offrait 78 millions de m3 non utilisés. Les aquifères du nord et de l’ouest étaient déjà totalement utilisés. La répartition a donc été gelée.
Ainsi, le développement des ressources hydrauliques est limité, premièrement par les dispositions de l’article 40 des accords d’Oslo II (1995) qui accordent aux Palestiniens le droit d’exploiter 18 % seulement de la nappe des montagnes. La part allouée aux Palestiniens a été définie en fonction du niveau de consommation à la date de la signature de l’accord (118 MCM/an). En outre, le développement des ressources hydrauliques palestiniennes est limité, géographiquement, au bassin Est et, en quantité, aux besoins futurs estimés sur la base d’une évolution de la population à 5 ans (+ 70 à 80 MCM/an). Or, la population a doublé depuis 1995.
Dans l’annexe III de l’accord d’Oslo II, il est précisé que 28,6 millions de m3 d’eau supplémentaire doivent être fournis pendant la période transitoire, 5 millions à Gaza, d’une part, et 23,6 millions en Cisjordanie, dont 4,5 millions à la charge des Israéliens, d’autre part.
La bande de Gaza est alimentée par la nappe côtière dont la capacité est estimée à 450 MCM/an, dont environ 55 MCM/an pour le territoire de la bande de Gaza (en aval du territoire israélien). La situation y est critique. Gaza est une des zones les plus peuplées au monde avec 1,6 million de Palestiniens dont 70 % vit sous le seuil de pauvreté. 170 millions de m3 d’eau sont pompés chaque année, ce qui est le triple de la proportion renouvelable (55 millions) et provoque une salinisation importante. Presque partout le seuil de 250 mg de chlorures fixé par l’OMS pour l’eau potable est franchi, parfois dans des proportions considérables. Il en est de même du seuil de 50 mg de nitrates. 90 à 95 % de l’eau fournie à Gaza, après des pertes de l’ordre de 40 %, est contaminée et impropre à la consommation humaine. Les maladies à transmission hydrique sont courantes (61). L’OMS estime que 26 % des maladies à Gaza sont liées à la mauvaise qualité de l’eau. Pour faire face, à la mauvaise qualité de l’eau, les habitants de la bande de Gaza ont développé des puits et des systèmes de dessalement privés qui alimentent un marché parallèle de l’eau, où les prix pratiqués sont très élevés.
L’Etat palestinien semble difficilement viable dans ces conditions. Les territoires ne disposent aujourd’hui que de 18 % des ressources aquifères (3 aquifères de montagne et un aquifère côtier) et n’a aucun accès aux eaux de surfaces, ce qui lui confère 10 % de l’eau disponible contre 90 % pour les Israéliens. Or, la ressource diminue. Depuis 1967, les Palestiniens n’ont plus accès à la mer Morte et ils sont géographiquement contenus de telle façon que l’aquifère de Cisjordanie alimente les Israéliens situés à l’ouest.
Source : “Assymetric Abstraction and Allocation : The Israeli-Palestinian Water Pumping Record”, by Mark Zeitoun ClemensMesserschmid and Shaddad Attili (2009), GROUNDWATER 47.
- Une gestion quotidienne largement asymétrique
Il convient de rappeler au préalable que les Accords d’Oslo ont divisé la Cisjordanie en zones A, B et C. L’armée israélienne a transféré à l’Autorité palestinienne la responsabilité des affaires civiles, c’est-à-dire la fourniture de services à la population, dans les zones A et B. Ces deux zones, qui contiennent près de 95 % de la population palestinienne de Cisjordanie, ne représentent que 40 % du territoire. La zone C reste entièrement placée sous l’autorité de l’armée israélienne. Cette zone représente 60 % du territoire de la Cisjordanie, avec toutes les réserves foncières et l’accès aux ressources aquifères, ainsi que toutes les routes principales.
L’article 40 de l’annexe III de l’accord d’Oslo II prévoit le transfert par Israël aux Palestiniens de tous les pouvoirs et responsabilités relatifs à l’eau et à l’assainissement, mais concernant les seuls Palestiniens (article 40§4), soit dans les zones A et B seulement. Les zones A et B ne sont pas d’un seul tenant, mais fragmentées en enclaves entourées par des colonies israéliennes et des routes réservées aux colons, ainsi que par la zone C. Cette configuration entrave le développement d’infrastructures performantes pour l’approvisionnement en eau et l’évacuation des eaux usées. La plupart des Palestiniens résident dans les zones A et B, mais les infrastructures dont ils dépendent se trouvent dans la zone C ou la traversent. Les déplacements des Palestiniens dans la zone C sont limités ou interdits ; l’armée israélienne autorise rarement les travaux de construction ou d’aménagement. En outre, l’accord d’Oslo II ne prévoit pas de transfert de la propriété de l’eau et des infrastructures relatives à l’assainissement. La résolution de cette question est remise aux négociations sur le statut permanent (article 40§5 de l’annexe III).
L’accord d’Oslo a créé pour la gestion de l’eau en Cisjordanie un Commission Jointe de l’Eau (ou Joint Water Commission – JWC) (article 40§11). Cette commission composée d’un nombre égal d’experts des deux parties est compétente pour traiter de toutes questions relatives à l’eau et l’assainissement (gestion de l’eau, échange d’information, systèmes de surveillance …). Les pouvoirs de cette commission s’étendent sur le territoire de la Cisjordanie mais en ce qui concerne les seuls Palestiniens. Israël conservant toute latitude de manoeuvre pour tout forage aussi bien dans la zone C, qui se trouve en territoire palestinien, que sur la proportion de l’aquifère occidental. Enfin elle fonctionne sur le mode du consensus, ce qui donne de facto à Israël un pouvoir de veto sur toute demande. Enfin, le principe de coopération a été reconnu dans le volet « eau » de l’accord Oslo II. Cette coopération inclut l’échange de toutes données pertinentes telles que les cartes, les études géologiques ou les rapports sur l’extraction et la consommation. Jusqu’alors, les Palestiniens, disposaient de très peu d’informations sur leur propre ressource en eau. Cependant, le JWC n’est pas une agence de bassin parce qu’il n’a d’autorité que sur la Cisjordanie et les Palestiniens ne peuvent pas produire des données hors de cette zone.
Ces accords n’ont cependant pas remis en cause les ordonnances militaires israéliennes. Le 7 juin 1967, l’armée israélienne publie son ordonnance militaire n°92, transférant toutes les ressources hydrauliques de la Cisjordanie et de Gaza sous autorité militaire. Plus tard, le 19 novembre 1967, l’ordonnance militaire n°158 impose l’obtention de permis pour tous les travaux hydrauliques. Le 19 décembre 1968, l’ordonnance militaire n°291 déclare que toutes les ressources hydrauliques sont dorénavant la propriété de l’État, complétant ainsi la confiscation des puits privés. Aujourd’hui, l’administration des ressources hydrauliques de la Cisjordanie reste sous contrôle israélien, en application de près de 2 000 « ordonnances » et « proclamations » militaires. Ainsi, les Palestiniens peuvent seulement creuser jusqu’à 300 mètres. À l’inverse, les puits des colons peuvent avoir une profondeur de 1 500 mètres, et utilisent l’épaisseur entière des nappes phréatiques. Ils sont ainsi plus efficaces et plus puissants. Entre 1967 et 1996, seulement 34 permis domestiques ont été accordés aux Palestiniens et trois permis agricoles (62).
Les Israéliens émettent deux types de reproches aux Palestiniens concernant la gestion de l’eau :
l’existence de puits non contrôlés, qui conduisent à des pompages excessifs responsables de la salinisation de l’eau et donc de sa dégradation ;
l’absence de traitement des eaux : la fourniture d’eau se traduisant par une restitution d’eaux usées. Il faudrait selon eux que toute aide internationale soit conditionnée à l’assainissement. Israël construit des stations d’épuration le long de la ligne verte qui récupère les eaux usées côté israélien. Seulement 31 % des palestiniens de la Cisjordanie sont connectés à un réseau d’assainissement, le restant de la population ne disposant que de fosses septiques. Les quelques rares stations de traitement existantes, à Hébron, Jenin, Ramallah et Tulkarem, ont des rendements très faibles (10 – 30 %) et la qualité des effluents traités reste très médiocre. Dans la bande de Gaza, le système d’assainissement est globalement plus développé qu’en Cisjordanie grâce à l’extension du réseau dans les années 1990. Le taux de raccordement est de 65 % mais le système est en mauvais état.
Les Palestiniens émettent les reproches suivants :
le fonctionnement de la JWC s’effectue au détriment des Palestiniens qui ne peuvent approvisionner en eau et traiter les eaux usées comme il conviendrait. La JWC agit moins comme un cadre de collaboration que comme une instance par laquelle les autorités israéliennes contrôlent le développement du secteur palestinien de l’eau. Seulement 50 % des projets palestiniens (en volume) ont été autorisés par la JWC alors que tous les projets israéliens ont été approuvés. Le problème se pose avec acuité pour l’obtention des permis en zone C. Certes un tout petit nombre de Palestiniens (environ 7 000) vivent en zone C. 98 % d’entre eux résident en zone A et B. Cependant, en matière d’infrastructures, cette zone est capitale. Les Palestiniens doivent obtenir l’autorisation de la JWC pour tout projet de forage, ou toute activité mineure telle que le remplacement de pièces ou des réparations. Quand la zone C est concernée, après avoir passé les différentes étapes nécessaires à l’approbation de la JWC, le dernier mot revient à l’administration civile israélienne. Les conséquences de cette procédure sont lourdes. En effet, la procédure s’applique à toute demande de réparation, ou connexion dans le réseau concernant la zone A ou B, à partir du moment où ce réseau traverse la zone C. Or la zone C représentant la majorité du territoire (73 %), et les réseaux étant interconnectés, la procédure s’applique à la quasi-totalité des demandes. Il peut arriver qu’un permis soit accordé par la JWC, et soit ensuite refusé totalement ou partiellement par l’administration civile israélienne. Les difficultés éprouvées pour obtenir la moindre autorisation ne sont pas sans lien avec la multiplication de puits sauvages ou de citernes.
En matière d’assainissement, huit stations d’épuration étaient identifiées : une seule a été mise en œuvre à Naplouse (en construction) et une seconde à Hébron a obtenue l’autorisation de la JWC et le permis administratif. Car il ne suffit pas d’avoir l’accord de la JWC dès lors que le projet concerne la zone C. Un permis administratif doit aussi être délivré et la procédure dure plusieurs années, ce qui remet aussi en cause l’équilibre économique des projets. Le premier projet pourrait donc démarrer en 2013 sans aucune expérience en matière de maîtrise de la technologie. Il faut avoir aussi conscience que la réutilisation de ces eaux concerne des quantités bien inférieures à celles en cours en Israël du fait de la production d’eaux usées plus faibles (moindre consommation).
Sort des projets déposés par les Palestiniens
Israël conduit une politique d’expansion territoriale tendant à s’approprier les ressources en eau. Cette politique se traduit d’abord par une implantation stratégique des colons. Votre Rapporteur a essayé de superposer les cartes des nappes et des colonies. S’il est vrai que le territoire est si petit que la superposition n’est pas totalement fiable, il reste qu’on peut aisément constater que les colonies sont toujours installées à proximité d’une source. Mais on ne peut utiliser ce seul facteur de l’eau pour expliquer le tracé du mur. La carte figurant dans le rapport d’Amnesty international d’octobre 2009 Les Palestiniens ont soif de justice. Les restrictions de l’accès à l’eau dans les territoires palestiniens occupés, reproduite ci-dessous, est toutefois frappante.
Outre la question de l’expansion des implantations, c’est celle des conditions d’accès à l’eau qui apparaissent profondément inégalitaires aux yeux des Palestiniens. Les 450 000 colons israéliens installés en Cisjordanie utilisent autant, voire plus, d’eau que les quelque 2,3 millions de Palestiniens. Ils sont prioritairement desservis en période de sécheresse. Cette utilisation s’effectue clairement en violation du droit international qui impose à une puissance occupante de sauvegarder et d’administrer ces ressources conformément à la règle de l’usufruit et de ne pas utiliser les ressources du territoire occupé dans l’intérêt de sa propre population civile. La politique d’expansion se traduit ensuite par la construction du mur de séparation de façon décalée par rapport à la ligne verte (zone tampon à l’ouest de l’aquifère est) qui prolonge une politique systématique de limitation des prélèvements palestiniens afin que les eaux continuent leur écoulement vers l’ouest. Le mur de séparation construit par l’Etat hébreu dans les Territoires palestiniens permet également de contrôler l’accès aux eaux souterraines. En confisquant ou en isolant des terres et des propriétés, ce mur entraîne une destruction des puits ainsi que des infrastructures et empêche l’accès des Palestiniens au fleuve du Jourdain. Toutes ces mesures de contrôle de l’exploitation de l’eau en amont permettent de maintenir l’écoulement d’eau vers les puits israéliens situés le long de la ligne verte et vers les autres points d’extraction dans la bande de Gaza et en Cisjordanie. La Banque mondiale estime les pertes du secteur de l’agriculture liées à la construction du mur de séparation et à la fermeture de terrains situés en zone C à 1,4 % du PIB et 14 880 emplois ;
Israël n’a pas respecté ses engagements de ne pas frapper des installations d’eau. A Gaza, des réservoirs ont été pris pour cibles en 2008-2009. Des citernes de récupération des eaux de pluies, notamment celles appartenant aux Bédouins, ont été démolies en Cisjordanie. Ces citernes sont pourtant indispensables quand on sait que le prix de l’eau dans la zone C est dix fois supérieur à celui payé à Ramallah du fait du coût du transport ;
Israël a surexploité les aquifères, ce que corroborent les études conduites par la Banque mondiale. En effet, la quantité extraite par les Israéliens est de 50 % supérieure au seuil de renouvellement. Cette surexploitation entraîne une baisse du niveau des nappes phréatiques et un risque d’assèchement à terme.
Les chiffres utilisés pour déterminer les volumes d’eau dont bénéficient les Palestiniens diffèrent, de même que ceux relatifs à l’exploitation des aquifères. Les Israéliens estiment qu’ils fournissent bien plus d’eau que ce à quoi ils sont astreints en application des dispositions de l’accord d’Oslo II et avancent le chiffre de 80 millions de m3 par an en sus de ceux déjà disponibles en Cisjordanie. A partir des chiffres de la Banque mondiale (63), il apparaît qu’en 2008, les Israéliens ont fourni à la Cisjordanie 23,7 millions de m3 et les Palestiniens seulement 11,5. En agrégeant Gaza et la Cisjordanie, on parvient effectivement à une fourniture d’eau de l’ordre du double de celle fixée en 1995. La Banque mondiale dans son rapport de 2008 nuance entre outre les montants d’eau fournis au-delà du quota dans sa réponse au ministre des Affaires étrangères israélien en date du 8 mai 2009 : un quart de l’eau vendue par la compagnie de l’eau israélienne Mekorot à l’Autorité palestinienne de l’eau provient de Cisjordanie et 44 millions de m3 sont puisés en Cisjordanie pour alimenter les colonies.
Israël fait également valoir que le taux de connexion au réseau des Palestiniens est passé de moins de 10 % à plus de 90 % depuis 1967 et que la continuité du service est assurée contrairement à d’autres États de la région qui connaissent des interruptions graves et fréquentes. Ces résultats sont contestés par le rapport d’Amnesty international de 2009 qui énonce : « quelque 180 000 à 200 000 villageois palestiniens n’ont pas accès à l’eau courante. L’eau est souvent coupée même dans les villes et villages reliés au réseau d’approvisionnement. Le rationnement est particulièrement fréquent durant les mois d’été. Les habitants de certains quartiers et villages ne reçoivent de l’eau qu’un jour par semaine, voire un jour toutes les quelques semaines. Par conséquent, de nombreux Palestiniens n’ont d’autre alternative que d’acheter de l’eau livrée par camion-citerne à un prix beaucoup plus élevé et souvent d’une qualité douteuse. Ces dernières années, le chômage et la pauvreté ont augmenté et le revenu disponible s’est effondré dans les territoires occupés. Les familles palestiniennes doivent donc consacrer une part toujours plus importante de leurs revenus – jusqu’à un quart, voire plus, dans certains cas – à l’approvisionnement en eau. (64) »
- Une réforme du partage des eaux est-elle possible ?
Le problème plus profond qui se pose est celui du partage des ressources. Les accords d’Oslo ne fixaient qu’un arrangement provisoire. Les Palestiniens souhaitent négocier une solution pérenne pour le partage de l’eau, tout en ayant conscience qu’elle sera nécessairement liée à la question territoriale. Ce partage se traduit aussi par des différences de consommation. Pour la Banque mondiale, les données en 2007 font apparaître les résultats figurant dans le tableau ci-dessous. Selon l’estimation choisie il apparaît qu’un Israélien dispose de 4,4 fois plus qu’un habitant de Cisjordanie ou 6,7 fois plus si on intègre dans la consommation l’eau obtenue par dessalement et traitement et réutilisation des eaux usées avec 544 ou 824 litres par jour par habitant contre 123 par jour par habitant. La répartition de l’eau et en tous les cas des aquifères n’est pas égalitaire et est même inéquitable.
Israël : Cisjordanie : Israël/Cisjordanie Prélèvements (millions de m3) 1408,6 105,9 Population (millions) 7,1 2,35 3,00 A. Disponibilité/hab/jour 544 123 4,4 B. Disponibilité/hab/jour 824 123 6,7
Source : Banque mondiale, 2009
Les Palestiniens consomment en moyenne 70 litres d’eau par habitant et par jour, alors que la quantité recommandée par l’Organisation mondiale pour la santé (OMS) est de 100 litres. La situation est très inégale selon les municipalités. Pour certaines franges de la population palestinienne cette quantité est plus proche de 20 litres d’eau par jour, c’est-à-dire le minimum requis par l’OMS en cas de crise humanitaire. En comparaison, comme indiqué supra, la quantité d’eau moyenne disponible pour les Israéliens est de près de 300 litres d’eau par jour.
L’Autorité palestinienne et l’Autorité palestinienne de l’eau sont en proie à des divisions internes, disposent de structures de gestion faibles qui se traduisent par une gestion nettement perfectible. La Banque mondiale est particulièrement critique à cet égard. Elle insiste également sur le fait que les financements ont été insuffisants et morcelés. Suite aux accords d’Oslo, l’Autorité palestinienne a initié une réforme institutionnelle de la gestion de l’eau articulée autour de deux axes centraux : la centralisation et la nationalisation des ressources d’une part, et la régionalisation de la distribution de l’eau d’autre part. Les grandes lignes de la réforme ont été définies, en collaboration avec les bailleurs, dans le « plan National de l’Eau » (2000) qui s’est concrétisé par la promulgation de la loi sur l’eau en 2002. Les réformes visent à séparer les fonctions d’exploitation de celles de programmation et de régulation. Pour assurer ces dernières, il était prévu de créer le Conseil national de l’eau (National Water Council – NWC) au niveau interministériel afin de définir les grandes orientations et stratégies du secteur. L’Autorité de l’eau (Palestinian Water Authority – PWA), créée en 1995, devait assurer le rôle de régulation du secteur (tarification, privatisation des opérateurs, licence d’exploitation, standards, etc.). Quatre agences régionales de l’eau publiques devaient être mises en place. Mais cette réforme n’est toujours pas appliquée, malgré la relance du processus ces trois dernières années.
Mais surtout le dialogue de sourds entre les Israéliens et Palestiniens se fait au détriment des populations palestiniennes.
D’abord, Israël défend la théorie de la première appropriation, rejetant le principe d’une répartition équitable des ressources des aquifères. Quand les Palestiniens font appel à la géographie, les Israéliens se réfèrent à l’histoire. Les premiers fermiers juifs installés en Palestine dès 1880 ont utilisé les sources des aquifères nord et ouest, ont mis en valeur les terres, conférant aux Israéliens un droit historique. Cette position a été réaffirmée dans le rapport de mars 2009 en réponse au rapport de la Banque mondiale : « water from the Mountain Aquifer that Israel used even before 1967 has drained naturally into its territory, principally from the Yarkon, Taninim, Harod, Gilboa and Beit Shean springs. The Palestinians have never used this water. This facts grant Israel rights of possession and use regarding this water, even according to international law” (65).
Ensuite, Israël maintient une vision sécuritaire de l’eau, estimant qu’elle ne peut perdre le contrôle des ressources sans assumer un risque majeur. Ce défaut de confiance dans une gestion commune est indépassable. Les propositions israéliennes, si elles sont souvent pertinentes en termes d’efficacité, configurent des solutions où Israël contrôlerait la production et la distribution de la ressource, y compris à coût financier élevé, ce qui évidemment pose un problème d’autonomie de la politique de l’eau jordanienne ou palestinienne et ne laisse pas de place à des processus de décision partagée. Par exemple, Israël aurait proposé de produire de l’eau dessalée et de la vendre aux Palestiniens et aux Jordaniens, le cas échéant dans l’attente de réalisation de projets d’infrastructures. Ces quantités auraient pu être intégrées dans le plan de dessalement d’Israël en cours d’élaboration. De même, les Israéliens ont proposé d’injecter de l’eau dessalée dans les aquifères et affirment pouvoir produire 437 millions de m3 d’eau pour les Palestiniens en 2050.
Aujourd’hui, Israël dispose d’une complète maîtrise (sous réserve des installations sauvages). Les eaux souterraines sont extraites à l’aide de centaines de forages le long de la plaine côtière et au pied des montagnes. Une jonction entre les trois grands réservoirs est effectuée grâce à la grande conduite nationale (National Water Carrier – NWC). Il parvient aussi à alimenter ses colonies. C’est sa compagnie nationale, Mekorot, qui assure la distribution de l’eau.
Mais partager les volumes, ne saurait signifier, pour les Israéliens, partager le contrôle par la mise en œuvre d’une cogestion ! Derrière la position israélienne, la question posée est celle de l’abandon des aquifères, que le dessalement permet aujourd’hui d’envisager, même si cette solution serait très coûteuse. Il n’est jamais utile de produire ce qui correspond au pic de consommation d’eau (à la différence de l’électricité notamment). L’eau produite est stockée dans des réservoirs ou encore mieux dans les aquifères. Si les aquifères devenaient inexploitables, il serait nécessaire de dessaler quatre fois plus pour répondre à la demande. La raison commande de partager les aquifères mais Israël n’a pas confiance dans les Palestiniens pour assurer leur préservation. A Gaza, l’intrusion d’eau salée est importante et l’aquifère est en passe d’être perdu. Il semble donc que pour Israël, partager l’aquifère nécessite d’en assurer le contrôle. À défaut, l’optique d’abandonner les aquifères ne paraît pas totalement écartée quoique très coûteuse et pourrait être une monnaie d’échange dans un accord global. Le dessalement offre désormais un outil de négociation et permet à Israël de penser sa sécurité différemment en matière d’eau.
d) Règlement global – solutions techniques
L’ensemble de ces développements illustre qu’il n’est guère possible d’isoler les dossiers techniques des dossiers politiques. En matière d’eau, les questions de la souveraineté sur le territoire et du contrôle ne peuvent être laissées de côté. Dès que les négociations politiques auront repris, les discussions techniques pourront reprendre sur l’eau. Et c’est bien à l’échelle du bassin que cette affirmation s’applique : il n’y aura pas de paix avec le Liban et la Syrie avant le règlement de la question palestinienne. La gestion du Jourdain avec la Jordanie ne pourra être efficiente que lorsqu’elle intègrera pleinement la partie palestinienne, sur un pied d’égalité et que la question de l’accès aux rives du Jourdain sera réglée. Pourtant, la situation en Cisjordanie et dans la bande de Gaza est tellement dramatique, que des améliorations doivent pouvoir être apportées immédiatement à certains problèmes :
Le premier concerne le quota d’eau fourni aux Palestiniens. Il est indiscutablement insuffisant au regard des besoins de la population, sans préjuger des discussions futures sur le partage des aquifères. Un nouvel accord dédié à l’eau pourrait fixer une répartition qui tienne compte a minima de l’augmentation de la population, si possible en autorisant une plus grande exploitation directe des eaux souterraines. Les volumes d’eau aujourd’hui constatés brident en effet le potentiel de développement des territoires palestiniens. Le développement des terrains irrigables pourrait permettre une croissance de 8,6 % du PIB et 96 000 emplois. Son développement permettrait également de limiter l’exode rural. Cette augmentation doit s’accompagner d’un renforcement de la gouvernance de l’eau par l’Autorité palestinienne, qui doit être en mesure d’assumer la responsabilité de l’eau : mise en application de la réforme de 2002, renforcement des capacités de gestion et de recouvrement, transparence des circuits etc. ;
Le second concerne l’accès à l’eau et la préservation de l’eau. Le rapport publié par la Banque mondiale en Avril 2009 met en évidence l’asymétrie qui existe entre les deux Parties en matière de compétences, d’information et de capacité d’action. De sévères contraintes pèsent sur les Territoires palestiniens pour la gestion des ressources en eau, les usages de l’eau et le traitement des eaux usées. Les restrictions imposées par Israël rendent l’accès difficile aux Palestiniens aux ressources en eau, au développement des infrastructures et à l’exploitation des services d’eau. Il faut réduire cette asymétrie entre les deux Parties. Sur le terrain, la priorité doit porter sur le traitement des eaux usées et la préservation de l’aquifère côtier de Gaza. Les orientations retenues par l’AFD sont à cet égard parfaitement en adéquation avec les besoins prioritaires.
La question de la pollution des sols et des nappes se pose dès lors que la plupart des villages palestiniens et des colonies ne sont pas reliés à un système de traitement des eaux. Ce problème doit être réglé par un assouplissement des procédures au sein du JWC. Concernant Gaza, un rapport publié en septembre 2009 par le Programme des Nations Unies pour l’Environnement (PNUE) (66) sur la situation environnementale dans ce secteur après la fin des hostilités appelle à laisser « reposer » la nappe phréatique et à trouver des sources alternatives d’eau. Dans ce secteur les réserves d’eau souterraine, dont dépendent 1,5 million de Palestiniens pour l’eau potable et l’agriculture, risquent de s’effondrer en raison de nombreuses années d’extraction excessive et de la pollution qui a été aggravée par le récent conflit, en plus des problèmes environnementaux préexistants. La construction d’une usine de dessalement, qui vient d’être labellisée par l’Union pour la Méditerranée, et à laquelle les Israéliens sont favorables est une avancée importante. Dans la période transitoire des solutions légères devront être apportées, comme des stations de dessalement portatives, comme il en existe déjà. C’est une obligation humanitaire ;
Le troisième concerne les suites à donner aux conclusions de la banque mondiale sur le canal mer Rouge – mer Morte. Concernant le Jourdain, il n’est pas concevable que le niveau d’eau « naturelle » puisse retrouver celui qui était le sien. Pour que le Jourdain retrouve un débit d’un milliard de m3, il faudrait dépenser un milliard de dollars par an pour une eau qui s’évapore. Parvenir à un débit de 100 ou 150 millions de m3 serait déjà un objectif souhaitable à moyen terme. Concernant la mer Morte, il semble clair que de l’eau de mer doit être apportée si les études s’avéraient positives. La réalisation d’un conduit fermé est nécessaire pour éviter toute évaporation. Le taux d’évaporation de la mer Morte est de 600 millions de m3 par an. L’impact environnemental doit être pris en considération comme une dimension essentielle, y compris pour le tourisme ;
Enfin, le dernier concerne l’amélioration des connaissances techniques, notamment sur les aquifères. La création du Système euro-méditerranéen d’information sur les savoir-faire dans le domaine de l’eau (SEMIDE) pourrait jouer un rôle important dans la région.
À long terme, bien évidemment, l’idéal serait de pouvoir trouver une solution de partage des aquifères procédant à un rééquilibrage et au niveau régional de créer une agence du bassin du Jourdain, avec une présidence tournante et sous la tutelle des Nations Unies. Le Liban, qui est le véritable « château d’eau » potentiel de la région, pourrait-il jouer le rôle d’une petite Turquie et réguler le bassin du Jourdain par des barrages ? Un tel projet n’est pas concevable tant que la paix n’est pas intervenue entre les deux pays, ce qui est conditionné à la restitution des territoires occupés, et que la question des réfugiés palestiniens n’est pas réglée. Mais surtout, il faudrait que le Liban démontre sa capacité à mettre en œuvre son programme national de gestion de l’eau alors qu’à ce jour sa population est confrontée, malgré l’étendue de ses ressources, à des pénuries d’eau, et qu’un seul barrage a pu être mis en service. Même si notre mission a rencontré, sur place, l’expression d’un véritable volontarisme politique en la matière, c’est envisager là un horizon bien lointain…
Encadré n°3 : L’eau, révélatrice d’un nouvel apartheid au Moyen Orient
Mise en place en 1948 par le premier ministre F. Malan, l’apartheid a vu le développement différencié des groupes ethniques en Afrique du Sud pendant un demi siècle. Cette politique consistait à la fois en une ségrégation raciale et spatiale (cloisonnement des populations noires et « coloured » dans des espaces confinés appelés bantoustans) mais aussi en une ségrégation citoyenne, les libertés d’une partie de la population (restriction du droit d’aller et venir, du droit de se rassembler dans les lieux publics, violences policières) étant bafouées. L’odieux régime de l’apartheid a pris fin en Afrique du Sud au début des années 90, avec la libération de Nelson Mandela et des prisonniers politiques, le compromis courageux entre M. de Klerk et Mandela et les premières élections libres de 1994 confiant massivement le pouvoir à l’ANC African National Congress, le parti de Mandela.
Bien sûr, comparaison n’est pas forcément raison : la Palestine n’est pas l’Afrique du Sud, et les années 2010 ne sont pas celles d’avant 1990. Pourtant, il est des mots et des symboles qui par leur force peuvent avoir une vertu pédagogique.
Or, tout démontre, même si bien peu nombreux sont ceux qui osent employer le mot, que le Moyen-Orient est le théâtre d’un nouvel apartheid.
La ségrégation y est raciale mais comme on n’ose pas le dire, on dira pudiquement « religieuse ». Pourtant, la revendication d’un état « Juif » ne serait-elle que religieuse ?
La ségrégation est spatiale également : le mur élevé pour séparer les deux communautés en est le meilleur symbole. La division de la Cisjordanie en trois zones, A, B et C en est une autre illustration :
L’armée israélienne a transféré à l’Autorité palestinienne la responsabilité des affaires civiles, c’est-à-dire la fourniture de services à la population, dans les zones A et B. Ces deux zones, qui contiennent près de 95 % de la population palestinienne de Cisjordanie, ne représentent que 40 % du territoire. La zone C reste entièrement placée sous l’autorité de l’armée israélienne. Cette zone représente 60 % du territoire de la Cisjordanie, avec toutes les réserves foncières et l’accès aux ressources aquifères, ainsi que toutes les routes principales.
La ségrégation est aussi hautaine et méprisante (« ces gens-là ne sont pas responsables »…répètent à l’envie certains responsables israéliens), vexatrice et humiliante (les passages aux check point sont restreints ou relâchés sans prévenir) voire violentes (la répression des manifestations fait régulièrement des morts…).
C’est donc bien d’un « nouvel apartheid » qu’il s’agit.
Et dans cette situation, l’eau est ainsi un élément particulier du conflit entre Palestiniens et Israéliens, au point qu’elle constitue le « 5ème volet » des accords d’Oslo. La Déclaration d’Oslo du 13 septembre 1993 reconnaît les droits des Palestiniens sur l’eau en Cisjordanie. L’accord intérimaire de Taba du 28 septembre 1995 prévoit un partage des eaux jusqu’à la signature d’un accord permanent. Mais ce partage est incomplet : il ne porte que sur les aquifères ; le Jourdain en est exclu, les Palestiniens n’y ayant plus accès. Ensuite il gèle les utilisations antérieures et ne répartit que la quantité d’eau encore disponible, c’est dire 78 mètres cubes de l’aquifère oriental. Il est donc très défavorable aux Palestiniens qui n’exploitent que 18 % des aquifères ; soit 10 % de l’eau disponible sur le territoire.
C’est pourquoi sans règlement politique global, on voit mal comment ce qui est devenu un véritable « conflit de l’eau » pourrait trouver une solution.
Quelles sont donc les caractéristiques de ce « conflit de l’eau » ? Du point de vue « hydrique », il concerne avant tout le fleuve Jourdain, où sont réunis tous les éléments prompts à déclencher une « crise de l’eau » : depuis le début du conflit, guerre après guerre, les « extensions territoriales » d’Israël, qu’on le veuille ou non, s’apparentent à des « conquêtes de l’eau », que ce soit des fleuves ou bien des aquifères.
Or, l’eau est devenue au Moyen-Orient bien plus qu’une ressource : c’est une arme.
Pour comprendre la nature de cette « arme » au service de ce « nouvel apartheid », il faut savoir, par exemple, que les 450 000 colons israéliens en Cisjordanie utilisent plus d’eau que 2,3 millions de Palestiniens.
Sachons aussi entre autres multiples exemples que :
la priorité est donnée aux colons en cas de sécheresse en infraction au droit international ;
le mur construit permet le contrôle de l’accès aux eaux souterraines et empêche les prélèvements palestiniens dans la « zone tampon » pour faciliter l’écoulement vers l’ouest ;
les « puits » forés spontanément par les Palestiniens en Cisjordanie sont systématiquement détruits par l’armée israélienne ;
à Gaza les réserves d’eau ont été prises pour cible en 2008-2009 par les bombardements.
et comme les zones A et B ne sont pas d’un seul tenant, mais fragmentées en enclaves entourées par des colonies israéliennes et par des routes réservées aux colons, ainsi que par la zone C, cette configuration entrave le développement d’infrastructures performantes pour l’approvisionnement en eau et l’évacuation des eaux usées. La plupart des Palestiniens résident dans les zones A et B, mais les infrastructures dont ils dépendent se trouvent dans la zone C ou la traversent. Les déplacements des Palestiniens dans la zone C sont limités ou interdits ; l’armée israélienne autorise rarement les travaux de construction ou d’aménagement. On peut citer plusieurs exemples de stations d’épuration programmées par le ministère palestinien de l’Eau et qui sont « bloquées » par l’administration israélienne.
Les Israéliens reprochent aux Palestiniens l’existence de puits non contrôlés responsables de pompages excessifs et d’une salinisation des aquifères. Ils citent l’exemple de Gaza où l’aquifère est en passe d’être perdu. Ils reprochent également l’absence de traitement des eaux. Seuls 31 % des Palestiniens sont raccordés. Mais le Comité n’a approuvé que 50 % des projets palestiniens, avec d’énormes retards, alors que son autorisation doit encore être suivie d’une autorisation administrative pour la zone C. L’appropriation des ressources par les colonies et par le tracé du mur est également troublant. La surexploitation des aquifères est avérée.
Les Israéliens se fondent sur la théorie de la première appropriation pour défendre leurs droits et refusent toute gestion partagée dans une vision sécuritaire de l’eau. Israël propose des solutions, parfois intéressantes, mais où il garderait la maîtrise de l’eau. Il a semblé à la mission que le pays préférerait abandonner les aquifères, en finissant de développer le dessalement, plutôt que de mettre en place une gestion partagée. Il n’y aura pas de partage de l’eau sans solution politique sur le partage des terres.
Pourtant, un comité conjoint sur l’eau (Water joint committee) a été créé par les accords d’Oslo II. Il a compétence pour toutes les questions d’eau relative aux seuls Palestiniens sur le territoire de la Cisjordanie. Ce n’est donc pas un organisme de gestion partagée et encore moins de bassin. Il fonctionne en outre sur le mode du consensus ce qui donne de facto un pouvoir de veto à Israël.
13 décembre 2011 – Assemblée nationale