Nous apprenons que le Festival du film de Locarno a choisi de placer Israël au centre du festival de cette année en lui donnant « Carte Blanche », dans le cadre d’une coopération avec le « Fond israélien du film ». Or, ce fonds est un organisme soutenu par le Conseil israélien pour le cinéma que le gouvernement israélien a mandaté comme organisme consultatif de financement du film; il bénéficie aussi du soutien du département « Cinéma » du Ministère des Affaires Etrangères, dont le but est de « promouvoir les films israéliens à l’étranger avec l’appui des attachés culturels des ambassades israéliennes partout dans le monde ».
Nous, soussignés, cinéastes et professionnels de l’industrie du film, tenons à exprimer notre profonde préoccupation quant au fait que le festival de Locarno a choisi de travailler en partenariat avec le « Fond israélien du film » et le ministère israélien des Affaires étrangères, malgré le fait qu’Israël, depuis plusieurs décennies, a non seulement poursuivi, mais intensifié sa politique d’occupation, de colonisation et de nettoyage ethnique à l’encontre du peuple palestinien.
Nous sommes particulièrement troublé(e)s quant au moment choisi par le Festival de Locarno pour promouvoir Israël, si peu de temps après le récent massacre israélien perpétré à Gaza l’été 2014, où plus de deux mille Palestiniens, dont plus de cinq cents enfants, ont été tués. De plus, cette décision de Locarno intervient au moment où le gouvernement le plus raciste et le plus à droite de l’histoire d’Israël est porté au pouvoir.
Étant donné que le bellicisme actuel que pratique Israël par ses attaques brutales contre les civils palestiniens et leurs infrastructures est justifié par ce même ministère des Affaires Etrangères que vous avez choisi comme partenaire du Festival, nous exigeons que les organisateurs reconsidèrent leur relation avec le gouvernement israélien, et reviennent sur leur décision de partenariat avec l’Israel Film Fund, le ministère des Affaires étrangères israélien et toutes autres instances officielles israéliennes. Si le but du Festival est d’appuyer certains cinéastes israéliens ou de diffuser des films israéliens, il existe de multiples façons de le faire sans accepter de financement ou toute autre forme de soutien de la part d’organismes étatiques et gouvernementaux israéliens.
Nous faisons cette demande en pensant aux cinéastes palestiniens qui ont disparu ou ont perdu des proches cette année en raison des attaques militaires d’Israël. Nous pensons également aux nombreux centres, institutions et universités liés à la culture et aux arts qui ont été ciblés par les bombes et les missiles israéliens. Nous faisons cette demande parce que nous sommes solidaires avec celles et ceux qui sont assiégés. En de telles circonstances, aucun acte de l’État d’Israël ne peut être considéré comme « normal ». Enfin, nous faisons cette demande parce que certains d’entre nous sont eux-mêmes assiégés et qu’en luttant pour préserver notre art et notre humanité, nous contribuons à la lutte collective pour la liberté, la justice et l’égalité.
Nous espérons que nos collègues et amis qui participent au Festival du film de Locarno se tiendront à nos côtés. Nous espérons que vous saurez reconnaître l’abominable situation dans laquelle se trouve le peuple palestinien et que vous choisirez de défendre la dignité humaine face à la barbarie et à l’injustice perpétrée contre tout peuple, contre tous les peuples.
Dans ce contexte, il nous semble à propos de se rappeler ces paroles universelles du philosophe allemand Walter Benjamin, tirées de ses Thèses sur la philosophie de l’Histoire:
« La tradition des opprimés nous enseigne que l’“état d’exception” dans lequel nous vivons n’est pas l’exception, mais la règle. Il nous faut en venir à une conception de l’Histoire qui corresponde à ce point de vue. Dès lors nous devons réaliser clairement que notre tâche consiste à mettre en lumière l’état d’exception actuel; et cela renforcera notre position dans la lutte contre le fascisme. Une des causes qui expliquent que le fascisme a des chances de réussite est que ses adversaires, au nom du progrès, le traitent comme une norme historique [ou comme historiquement « normal »]. L’étonnement actuel devant le fait que ce que nous vivons soit « encore » possible au XXe siècle n’est pas de nature philosophique. Pareil étonnement n’est pas le point de départ d’un savoir, à moins qu’il s’agisse d’un savoir selon lequel la conception de l’Histoire qui donne naissance à cet étonnement n’est pas tenable. »
Sincèrement,
Signataires :
Annemarie Jacir, Filmmaker, Palestine
Cahal McLaughlin, Professor of Film Studies, Belfast
Yanis Koussim, Director & Screenwriter, Algeria
Rima El Mismar, Film Programs Manager, Lebanon
Bob Quinn, Filmmaker, Ireland
Clara Khoury, Actress, Palestine/USA
Source: PACBI : http://www.pacbi.org/etemplate.php?id=2702