ON NE DANSE PAS AVEC L’APARTHEID ISRAÉLIEN, ON LE BOYCOTTE !
La majorité des arguments contre le boycott culturel met en avant l’opposition des artistes israélien.ne.s à la politique de leur gouvernement. Ce faisant, les adversaires du boycott culturel déplacent le débat et opèrent une substitution de cible. Dès lors le débat ne porte plus sur les crimes de l’État d’apartheid israélien, sur le blanchiment de ses crimes et comment le boycott culturel peut-il contribuer à les stopper ? mais il porte sur l’évaluation de l’engagement des artistes israélien.ne.s contre la politique de leur gouvernement et le soutien à leur apporter. La cible n’est plus Israël, sa politique criminelle et comment la combattre ; l’objectif n’est plus de faire pression sur Israël. La cible c’est le boycott culturel qui s’attaque aux « courageux » artistes israéliens et l’objectif est comment les « protéger » du boycott.
Si on écarte les ennemis des Palestiniens sans doute à l’origine de ce montage pervers habituel de la propagande israélienne qui transforme en victime l’agresseur, on peut faire l’hypothèse que la facilité de dérapage vers ce procédé et son adoption par la grande masse des gens qui disent et pensent sincèrement « soutenir les Palestiniens » tient d’une part, à « l’interdit » d’attaquer frontalement l’État d’Israël qui constitue un véritable tabou et à la prégnance de la stratégie d’Oslo et son idéologie pernicieuse du « dialogue » et de l’égalité entre colonisateur / colonisé qui structurent ce tabou.
Le rétablissement et le ferme maintien du « cadre palestinien » du débat sur le boycott culturel sont la condition de sa compréhension et de son développement.
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UN COURANT D’OPINION S’OPPOSE AU BOYCOTT CULTUREL AU NOM DU SOUTIEN AUX ARTISTES ISRAÉLIENS CRITIQUES À L’ÉGARD DE LEUR GOUVERNEMENT.
Voici l’exemple significatif de deux personnalités qui présentent leur refus du boycott comme une position en faveur des intérêts des Palestiniens et qui rejoint le courant d’opinion rencontré lors des diffusions de tracts à l’entrée des spectacles.
Dans une discussion privée, le directeur du théâtre Jean Vilar n’hésite pas à déclarer que oui, il y a un apartheid israélien vis à vis des Palestiniens, qu’il n’est pas pour les états religieux, qu’il ne soutient pas un État juif. Et dans les échanges par mail avec BDS France Montpellier, il justifie en ces termes son opposition au boycott d’un spectacle soutenu par le ministère de la culture israélien : « We love arabs est (…) un spectacle impitoyable envers les préjugés qui frappent les Arabes (…) il ne parle pas d’Israël mais de racisme et de fraternité retrouvée (…) il ne fera que réveiller les consciences sur le caractère profondément absurde du racisme (…) chaque communauté rejetée constitue une perte culturelle immense pour celui qui la rejette (…) j’ai donc bon espoir que vous partagerez ma conviction qu’aucun boycott culturel n’a sa place au théâtre Jean Vilar ».
Ainsi après avoir condamné en privé Israël, il justifie son opposition au boycott en raison du contenu du spectacle qu’il juge « antiraciste » et qu’il qualifie indirectement de critique à l’égard de la politique israélienne.
Dans le dialogue à trois [1]que BDS France Montpellier entretient avec Marlene Monteiro Freitas, qui a créé et inauguré à Tel Aviv le spectacle (avec la Batsheva) produit dans le cadre de la saison France Israël au festival Montpellier Danse, celle-ci déclare : «(…) Ce fut une occasion de mieux comprendre ce qu’a été la Nakba (grâce à l’atlas de S.H. Abu-Sitta), comment tout s’est passé et que ce fut un processus de «nettoyage ethnique» (ici le pionnier a été Benny Morris, mais clairement la référence principale est Ilan Pappé, qui est un partisan actif de BDS), la dépossession des Palestiniens, la violence continue constituée par les colonies (très bien documentée par un certain nombre d’ONG) et comment tout cela fait partie de la carte d’identité colonialiste de l’idéologie sioniste (comme Shlomo Sand l’a argumenté, à juste titre), l’extrême violence que constitue l’occupation d’Hébron.(…) Bien que tout cela soit vrai, mon expérience artistique et professionnelle avec les gens de Batsheva m’amène à des conclusions très différentes à leur sujet que ce que vous suggérez (souligné par nous). En effet, je crois qu’ils sont pertinents sur le plan artistique et rien ne me fait croire qu’ils soutiennent l’oppression du peuple palestinien, les colonies, etc., plutôt le contraire. En effet, je crois qu’Ohad Narin et sa troupe constituent des amis de la cause palestinienne. Je me demande si le fait de les boycotter n’aliène pas les amis de votre cause ?! »(…)
Chez ces deux personnes, il y a – du moins en privé – une condamnation radicale de la politique gouvernementale israélienne et au delà, une condamnation du système d’apartheid chez l’un, du nettoyage ethnique et du sionisme chez l’autre. Puis aussitôt après, ignorant totalement le cadre de l’argumentation palestinienne du boycott culturel qui cible la manoeuvre de propagande israélienne, il-elle opèrent un glissement en prenant la défense d’un spectacle en raison de son contenu et la défense d’une troupe de danseurs en raison de leur supposée opposition individuelle à cette même politique israélienne. Faisant comme si le boycott s’attaquait aveuglément aux artistes, ils remplacent le débat sur la manipulation gouvernementale israélienne par un débat sur l’appréciation d’un contenu de spectacle ou sur l’engagement des artistes contre la politique de leur gouvernement.
LA SAISON FRANCE-ISRAËL UN PROTOTYPE INCONTESTABLE DE PROPAGANDE ÉTATIQUE
La saison France Israël est un cas d’école en matière d’opération d’instrumentalisation de la culture à des fins de propagande étatique. En voici la définition sur le site de l’Institut français : « Les Saisons croisées sont décidées au plus haut niveau de l’État et reflètent les orientations stratégiques de la politique culturelle extérieure de la France ».
– (…) La Saison France-Israël 2018 a ainsi pour ambition de montrer la vitalité de la relation bilatérale dans les domaines culturels et scientifiques, de marquer une nouvelle étape dans les relations économiques et de renouveler le regard que portent les Français sur Israël et les Israéliens sur la France.
Cette instrumentalisation est tellement évidente qu’elle a fait bondir dès le 4 mai 2018, 80 personnalités du monde des arts et de la culture (https://blogs.mediapart.fr/les-invites-de-mediapart/blog/040518/contre-la-saison-france-israel?utm_source=facebook&utm_medium=social&utm_campaign=Sharing&xtor=CS3-66) , rejointes par 36 arce-israel/)
qui ont déclaré : «Pour nous, (…) cette initiative, sous couvert de promouvoir le dialogue et l’échange, est en réalité l’un des moyens mis en œuvre par le gouvernement israélien pour redorer le blason de l’Etat d’Israël, passablement terni par sa politique chaque jour plus dure à l’encontre des Palestiniens et son statut de start-up nation du sécuritaire. Comme l’a dit Reuven Rivlin, président de l’Etat d’Israël, « les institutions culturelles forment une vitrine dans laquelle Israël présente d’elle-même une image démocratique, libérale et critique ». Par solidarité avec les Palestiniens, nous refusons de figurer dans cette vitrine, nous ne participerons pas à la Saison France-Israël et nous appelons à ne pas y participer sous quelque forme que ce soit. »
Confronté au même dilemme dans un autre contexte, le directeur artistique du Théâtre National du Portugal, Tiago Rodrigues a annulé son spectacle à Tel Aviv en juin 2018. En mai dernier, dans une lettre publique d’une très grande honnêteté intellectuelle, il déclare : « J’ai décidé de ne pas présenter mon spectacle en Israël festival en juin parce que je crois que c’est la seule façon de garantir que mon travail artistique ne servira pas à justifier ou à soutenir un gouvernement qui commet délibérément des violations des droits de l’homme et est actuellement en train d’attaquer violemment le peuple palestinien.(…) Je comprends maintenant qu’il est impératif de prendre une position claire. J’ai donc décidé non seulement d’annuler ma présence en Israël festival, mais aussi d’adhérer au mouvement de boycott culturel à Israël, dans la conviction que la pression globale et collective pourrait produire des résultats similaires à ceux du boycott à l’Afrique du sud pendant l’apartheid. »
Il est tout de même surprenant qu’une personnalité aussi perspicace et vive d’esprit que Marlene Monteiro Freitas refuse de voir dans la saison France Israël l’opération de blanchiment pourtant officiellement annoncée dans la présentation de cette saison destinée :« à renouveler le regard des français sur Israël » et massivement dénoncée en France. Surprenant qu’elle se soit laissée de A à Z instrumentaliser par un État qu’elle reconnaît coupable de la Nakba, de nettoyage ethnique, de colonisation etc. Surprenant que malgré les explications fournies par BDS Montpellier et par Riham Barghouti, une artiste palestinienne, elle continue d’ignorer le problème et réponde complètement à côté du sujet, sur l’engagement des artistes : »(…) rien ne me fait croire qu’ils soutiennent l’oppression du peuple palestinien, les colonies, etc., plutôt le contraire. En effet, je crois qu’Ohad Narin et sa troupe constituent des amis de la cause palestinienne. Je me demande si le fait de les boycotter n’aliène pas les amis de votre cause ?! »(…).
METTRE EN OEUVRE LE BOYCOTT CULTUREL CONFRONTE À L’INTERDIT D’ « ATTAQUER » ISRAËL
On peut donc légitimement s’interroger sur le fond politique de l’opposition au boycott culturel au nom de la défense des artistes israéliens et de la « liberté d’expression » car ce type d’argument opère un renversement des cibles et des objectifs. Alors que l’appel au boycott cible explicitement l’État d’Israël, les opposants au boycott culturel ciblent BDS qu’ils accusent d’attaquer les artistes israéliens, voire la culture en général. Ce faisant, ils éliminent du débat les causes et motifs fondamentaux du boycott d’Israël, c’est à dire la colonisation de peuplement, le système d’apartheid, le refus du retour des réfugiés et du coup, protègent Israël des attaques et des critiques sur ces sujets. Plus grave, ils lui substituent BDS mis en position de censeur et d’ennemi de la liberté d’expression, certains allant même jusqu’à en faire l’adversaire des Palestiniens. Sans doute ignorent-ils que le mouvement BDS international qui appelle au boycott est Palestinien et sous direction palestinienne ( !).
Il ne fait aucun doute que cette construction qui transforme la victime en agresseur est destinée à brouiller les cartes et à protéger Israël des critiques. Pour autant ce glissement se rencontre chez des gens qui non seulement disent désapprouver la politique israélienne mais qui affirment soutenir le peuple palestinien. Comme si au moment de sanctionner Israël par le boycott un blocage psychologique et politique interdisait la prise de décision et l’acte. Impossible de s’en prendre frontalement à Israël. L’intériorisation des interdits sionistes, le poids de la menace d’antisémitisme, les restes d’une culpabilité européenne et française héritée de la collaboration avec l’occupant nazi associés à l’idéologie pernicieuse des accords d’Oslo, font obstacle à la décision rationnelle de sanction. Cet obstacle provoquerait ce que certains nomment une « dissonance cognitive » ouvrant la porte à n’importe qu’elle issue permettant d’échapper au dilemme[2]. La défense des artistes israéliens est une issue facile.
Le principal objectif des accords d’Oslo [3] était de fournir aux pays occidentaux un leurre, l’illusion d’un « processus de paix » à l’abri duquel Israël pourrait amplifier sa politique coloniale. Ce leurre avait pour fonction de masquer le fait colonial, présenter Israël comme le champion du « dialogue » et imposer une symétrie de considération et de traitement entre deux « peuples » mis à égalité comme s’il n’y avait pas d’un côté le colonisateur et de l’autre le colonisé. C’est ce que les palestinien.nes appellent et dénoncent sous le terme de « normalisation ». Cela a fonctionné si bien que l’opinion occidentale a été formatée pour considérer qu’Israël est une « démocratie comme les autres » et qu’il est « normal » d’avoir avec elle des relations « normales ». C’est ce qui amène à trouver « normale » la saison France Israël, à trouver « normal » d’inviter, diffuser ou aller voir des spectacles soutenus officiellement par l’État israélien et « normal » de s’opposer au boycott culturel de ces spectacles.
LES ARTISTES ISRAÉLIENS QUI S’EXPORTENT AVEC LE SOUTIEN DE LEUR GOUVERNEMENT: PARLONS-EN !
« Nous enverrons à l’étranger des romanciers et des écrivains connus, des compagnies théâtrales, des expositions… On montrera ainsi un plus joli visage d’Israël, pour ne plus être perçus dans un contexte de guerre. » Arye Mekel du Ministère des affaires étrangères juste après l’agression meurtrière contre la Bande de Gaza en 2009.
Les films israéliens ou tout autre spectacle israélien se produisant indépendamment du soutien du gouvernement israélien n’entrainent aucune mesure de boycott. Répétons-le, le boycott culturel ne se décide pas en fonction du degré d’engagement d’un artiste ou du contenu d’un spectacle contre la politique – ou non – de son gouvernement mais en raison du soutien gouvernemental qui l’utilise afin de fabriquer une image trompeuse d’Israël.
Pour autant, s’il faut parler de l’engagement de ces artistes là (qui ne sont pas tou.te.s les artistes israélien.ne.s), parlons-en !
Avez-vous lu quelque part en Israël ou ailleurs des déclarations de troupes de théâtre, de danse ou d’artistes divers, écrivain.e.s, réalisateur.trice.s etc. condamnant publiquement individuellement ou collectivement le blocus de Gaza, les 134 morts dont 18 enfants assassinés ces derniers mois dans la Bande de Gaza ou en Cisjordanie ou bien sûr condamnant les attaques contre la population civile de la Bande de Gaza en 2009, 2012, 2014 qui ont fait des centaines de morts et des dizaines de milliers de blessés et handicapés à vie ? De telles déclarations n’auraient pas échappé aux Palestiniens qui sont à l’affût de toute prise de position en faveur du BDS, nous le saurions et surtout nous aurions été les premiers à le clamer partout !
Alors tou.t.e.s ces artistes prétendument antiracistes, solidaires des Palestinien.ne.e.s, contre la politique israélienne qui se produisent à l’étranger, les avez vous vu.e.s, entendu.e.s, par exemple, juste avant leur spectacle, leur film ou leur exposition, venir sur le devant de la scène et faire une déclaration publique ? se désolidariser de leur gouvernement et condamner ses crimes ? ou encore appeler à soutenir les trois revendications du BDS Palestinien, la plus grande coalition de la société civile palestinienne jamais réalisée : la fin de la colonisation, le retour des réfugié.e.s dans leurs maisons et l’égalité absolue pour les Palestinien.ne.e.s d’Israël ?
Comment pourraient-ils le faire puisqu’ils ont signé pour ne pas le faire. En effet, pour être soutenu (financé, sponsorisé, labéllisé etc.) à l’étranger les artistes israélien.ne.s doivent signer un contrat spécial et très confidentiel avec le ministère de la culture. Ce contrat stipule « (…) qu’il ne devra pas se présenter comme un agent, émissaire ou représentant du ministère » mais qu’il s’engage en tant que prestataire « à fournir des services de qualité au ministère » pour « promouvoir les intérêts politiques de l’État d’Israël à travers la culture et les arts, en contribuant à créer une image positive d’Israël » [4]. Certains, comme Hillal Kogan l’a fait à Montpellier, n’hésitent pas à mentir et disent n’avoir rien signé. Ca se comprend, il n’y pas de quoi être fier.
Ces artistes savent très bien dans quel cadre et dans quel but leurs prestations sont utilisées par le pouvoir sioniste. Ce qui pose non seulement la question de leur probité intellectuelle mais celle de leur positionnement éthique. Se pose également la question de la nature de ces « œuvres » à l’export qui sont diffusées dans le cadre d’une « liberté d’expression » contrôlée par l’État d’Israël qui leur accorde le label de son soutien à l’exportation.
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[1] Echanges de mails entre M. Monteiro Freitas, BDS France Montpellier et le PACBI (Comité Palestinien pour le Boycott Académique et Culturel d’Israël). Le PACBI membre fondateur du mouvement BDS palestinien est la composante spécialisée des questions académiques et culturelles du BNC (Comité National Palestinien du BDS).
[2] C’est également ce qui explique la position de certain.e.s, favorables à l’annulation de la saison France Israël mais opposé.e.s au boycott de la même saison. Dans les deux cas cela signifie que les spectacles n’aient pas lieu. Mais les tenant.e.s de l’annulation qui demandent aux décideurs de la saison de prendre la décision et mettre en acte le retrait, s’épargnent de sanctionner eux-elles-mêmes Israël ils-elles délèguent aux gouvernements le soin de le faire. La démarche de boycott est toute autre. Le boycott implique que chacun.e d’entre nous décide de la sanction et s’implique personnellement dans la mise en acte de la sanction (boycotter et appeler au boycott). Le boycott est une action directe personnelle, l’annulation est une délégation de la décision et de l’action à d’autres. L’appel des 80 combine les 2, appelle à l’annulation mais également au boycott, sans employer le terme (« nous ne participerons pas et appelons à ne pas y participer sous quelque forme que ce soit »).
[3] Certains dont Edward Said et bien d’autres avaient immédiatement dénoncé le danger politique de ces accords.
[4] Cet aspect est largement développé dans l’article : Boycotter les productions culturelles de l’État d’apartheid à l’export, c’est aussi défendre les droits des artistes israéliens