Ce mois-ci, près d’un an après que les Sud-Africains aient réussi à couper les liens institutionnels entre l’Université de Johannesbourg et l’Université Ben-Gourion, l’Université de KwaZulu-Natal a annulé la conférence d’un représentant de l’État israélien [1]. Le fait que les premières applications réussies du boycott académique des institutions israéliennes viennent d’Afrique du Sud a du sens. Pour tous ceux qui souhaitent voir, ces initiatives montrent que les Sud-Africains jadis opprimés reconnaissent qu’il y a des parallèles entre leur oppression sous le régime d’apartheid et l’apartheid qui continue d’être pratiqué contre les Palestiniens. Elles mettent aussi en perspective la nature du mouvement de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS), en particulier, et la lutte palestinienne au sens large. Ceci nous oblige à aller au-delà du seul paradigme de l’occupation et de réfléchir plutôt au trois niveaux de l’oppression israélienne : occupation, colonialisme de peuplement et apartheid. Nous voulons ici nous centrer sur le paradigme de l’apartheid, car il est souvent le moins compris et reconnu, malgré les études internationales multiples qui ont montré, sans aucun doute possible, qu’Israël est coupable du crime d’apartheid.
Il est crucial que le monde comprenne que la fin de l’occupation n’apportera pas à elle seule la justice à la majorité du peuple palestinien, dont 69% sont des réfugiés ou des personnes déplacées en interne, 50% sont toujours en exil et seuls 38% d’entre eux vivent dans le territoire palestinien occupé en 1967, dont 40% sont réfugiés [2]. Pas plus qu’elle ne traitera tous leurs droits entérinés par le droit international. Pour que la justice et l’égalité prévalent, nous devons comprendre l’apartheid israélien, et lui résister.
Beaucoup se sont insurgés contre le fait qu’Israël pratique l’apartheid, et parmi eux l’ancien président des États-Unis Jimmy Carter, l’archevêque sud-africain Desmond Tutu, et le rapporteur spécial des Nations-Unies pour les droits de l’homme. Dans certains cas, lorsque des personnalités officielles ont repris l’accusation d’apartheid, ils se sont référés aux politiques d’apartheid dans le territoire palestinien occupé et non en Israël, à l’intérieur de ses -toujours non déclarées- frontières d’avant 1967. Toutefois, il faut souligner que des opinions qui font autorité ont émergé, qui élargissent le cadre de l’apartheid : récemment, la session du Tribunal Russel sur la Palestine qui s’est tenue au Cap a déclaré que « les pratiques israéliennes envers les Palestiniens, quel que soit leur lieu de résidence, équivalent dans leur ensemble à un régime intégré unique d’apartheid » [3], alors que la 80ème session du Comité des Nations-Unis sur l’élimination de la discrimination raciale en 2012 a également conclu qu’Israël était coupable du crime d’apartheid dans le traitement de ses citoyens palestiniens en Israël, et a déterminé que de nombreuses décisions gouvernementales israéliennes constituaient une violation de l’interdiction de l’apartheid, tel que consacrée dans l’article 3 de la Convention internationale sur l’élimination de toutes les formes de discrimination raciale (ICERD) [4].
Nous pensons qu’Israël n’est pas en train de devenir, ni ne risque de se transformer en un Etat d’apartheid, comme beaucoup de sionistes de gauche aimeraient nous le faire croire : il est et a toujours été, depuis sa création, un Etat d’apartheid, selon la définition du terme par l’ONU. Que l’accusation devienne plus populaire aujourd’hui indique, plus que tout autre chose, que la prise de conscience sur cet aspect de l’oppression d’Israël s’est accrue ces dernières années, suite à l’adoption par Israël de lois d’un racisme fanatique et la myriade de rapports d’organismes pour les droits de l’homme traitant du sujet à partir d’une perspective juridique. En outre, davantage de leaders sud-africains anti-apartheid, avec leurs voix qui font moralement autorité, en sont venus à accuser Israël d’apartheid [5].
Mais qu’est-ce que l’apartheid et pourquoi exactement Israël est-il considéré comme un Etat d’apartheid ?
Qu’est-ce que l’apartheid ?
Alors que le terme « apartheid », un mot afrikaner, a d’abord été utilisé dans le contexte sud-africain et faisait référence à une ségrégation clairement institutionnalisée et légalisée par les colons blancs sur la population indigène, il a pris ensuite une dimension juridique internationale. En 1973, l’apartheid a été codifié dans la Convention internationale sur l’élimination et la répression du crime d’apartheid (résolution 3068) [6], qui a ensuite été adoptée par le Statut de Rome de 2002 de la Cour pénale internationale (CPI).
Selon l’article II de la Convention, le crime d’apartheid est défini comme « des actes inhumains commis en vue d’instituer ou d’entretenir la domination d’un groupe racial d’êtres humains sur n’importe quel autre groupe racial d’êtres humains et d’opprimer systématiquement celui-ci » et il inclut également « les politiques et pratiques semblables de ségrégation et de discrimination raciales, telles qu’elles sont pratiquées en Afrique australe. » Tandis que l’apartheid sud-africain est une référence, le déterminant réel du crime d’apartheid est de savoir si des politiques et des pratiques d’oppression tombent ou non dans la liste des violations incluses dans l’article II de la Convention.
Le crime est défini en termes d’oppresseur et d’opprimé (non de majorités et de minorités, comme certains le comprennent de façon incorrecte), et interdit l’institutionnalisation d’une discrimination et d’une oppression racistes dans laquelle le racisme est légalement institué par les institutions étatiques. La discrimination raciale est défini par le droit international [7] comme toute distinction basée sur la race, la couleur, l’ascendance, ou l’origine nationale ou ethnique. Ainsi, l’argument selon lequel, puisque les Palestiniens ne sont pas une « race », alors l’apartheid ne s’applique pas, est au mieux une mauvaise information et au pire une tromperie délibérée.
L’apartheid israélien
En Cisjordanie et à Gaza, l’occupation israélienne prolongée s’est développée en un système généralisé d’apartheid, qui comprend les checkpoints, le mur, les démolitions de maison, la destruction des biens, le déni d’accès à l’éducation, l’emprisonnement arbitraire, les routes réservées aux Israéliens et un siège. Les réfugiés palestiniens qui ont été expulsés de leurs terres en 1948 sont également soumis à l’apartheid israélien au sens où leur est dénié, sur la base de leur identité ethnique/nationale, leur droit internationalement reconnu au retour chez eux, en violation de l’Article 2c de la Convention sur l’apartheid, ainsi que la Résolution 194 des Nations-Unies [8].
En Israël, les citoyens palestiniens sont confrontés à l’apartheid par un système juridique israélien complexe, avec plus de vingt lois qui permettent et justifient le système bien établi de discrimination raciale [9]. Comme la tristement célèbre Loi de classification de la population d’Afrique du Sud, Israël a sa propre Loi de classification de la population (1965) qui stipule que chaque citoyen doit enregistrer sa nationalité telle que définie par l’État. En Israël, nombre d’aspects de la vie et de nombreux droits et privilèges sont organisés en fonction de la nationalité, qui est principalement définie comme juive ou arabe (il y a également d’autres catégories, comme Druze ou Bédouin). La nationalité « israélienne » n’est pas reconnue au sein de ce système, comme l’ont démontré des décisions de la Cour suprême du pays qui a rejeté des demandes de citoyens d’être autorisés à s’inscrire en tant qu’Israélien.
Mis à part ce système de citoyenneté à deux vitesses, la politique foncière israélienne est également comparable à la Loi sur les zones réservées d’Afrique du Sud (1950), qui réservait légalement 87% de terre sud-africaine aux blancs. En Israël, 93% de la terre est réservée aux citoyens juifs d’Israël [10]. Ce ne sont que quelques exemples des nombreuses lois qui dénoncent le mythe de la démocratie israélienne. Les plus importantes de ces lois racistes existent depuis la création de l’Etat israélien et ont été maintenues par les gouvernements israéliens libéraux et conservateurs successifs. La tension entre les lois, telles le Serment de Loyauté [11] et la Loi de classification de la population, et l’engagement aux valeurs démocratiques professé par Israël, imprègnent de nombreux aspects de la vie politique. Par exemple, pour présenter des candidats aux élections législatives, les partis politiques palestiniens doivent reconnaître Israël en tant qu’État juif et démocratique. Dans ce contexte, le processus électoral est devenu à peine plus qu’une camouflage de la discrimination électorale.
Conclusion
Soutenir le droit fondamental et inaliénable du peuple palestinien à l’autodétermination signifie, au minimum, le respect des droits primordiaux de tous les Palestiniens tels que sanctionnés par le droit international. Appeler à la fin de l’occupation aborde, au mieux, la plupart des droits de 38% du peuple palestinien. Sans la fin de l’apartheid israélien et le soutien aux droits des réfugiés, le peuple palestinien dans son ensemble ne peut pas exercer son droit à l’autodétermination. Une réelle solidarité avec les Palestiniens implique de refuser l’occupation et la colonisation israéliennes, ainsi que l’apartheid. C’est seulement ensuite que les Palestiniens pourront jouir de liberté, de justice et d’égalité.
Notes :
[1] http://www.pacbi.org/etemplate.php?… [2] http://english.wafa.ps/index.php?ac… [3] http://www.france-palestine.org/Le-… [4] http://www2.ohchr.org/french/law/ce… [5] Pour exemple, le leader de l’ANC et ancien conseiller de Mandela, Ahmed Kathrada a déclaré sa solidarité avec les Palestiniens « résistant à l’apartheid israélien » : www.citypress.co.za/Columnis… ; le Révérend Allan Boesak a qualifié l’apartheid d’Israël de « plus terrifiant » : http://www.middleeastmonitor.org.uk…, et des leaders chrétiens sud-africains ont accusé Israël d’être un « apartheid pire » que l’Afrique du Sud : http://www.oikoumene.org/de/dokumen…. [6] http://www.un.org/french/documents/…)&Lang=F [7] http://www2.ohchr.org/english/law/c… [8] http://www.un.org/french/documents/…)&Lang=F [9] Pour des détails, voir Adalah, Centre juridique pour les droits de la minorité arabe en Israël, qui recense plus de 20 lois qui légalisent la discrimination contre les citoyens palestiniens d’Israël (http://www.adalah.org/eng/backgroun…). Voir également le « Rapport sur l’inégalité » : http://www.adalah.org/upfiles/2011/… [10] Voir http://muftah.org/understanding-the… for details of this breakdown [11] http://www.guardian.co.uk/world/201…
Source : http://pacbi.org/etemplate.php?id=1901 / http://www.ism-france.org/analyses/… Traduction : MR pour ISM