Le radicalisme stratégique appelle le mouvement à employer des tactiques multiples qui prennent en compte les contextes locaux afin de se renforcer mutuellement et de se consolider. Une victoire stratégique et progressive pour un campus est une victoire pour toustes.
La Campagne palestinienne pour le boycott académique et culturel d’Israël (PACBI) se félicite de l’immense solidarité avec le peuple palestinien sur les campus universitaires du monde entier. Nous avons déjà exprimé notre soutien à toute action étudiante stratégique et fondée sur des principes, ainsi que l’importance de ce soulèvement mondial des campus en soutien à la lutte de libération palestinienne.
Le PACBI est en dialogue permanent avec des étudiant-es et des professeur-es organisateur-ices dans des universités du monde entier, sur pratiquement tous les continents. Au cours des dernières semaines, nous avons vu des groupes de solidarité universitaire essayer différentes approches dans leur organisation sur le campus. Certains ont refusé de négocier avec les administrations universitaires, d’autres se sont engagés dans des négociations mais ont préféré attendre des accords plus solides. D’autres encore ont préféré une escalade progressive, tandis que d’autres ont conclu des accords avec l’administration de leur université. Ces accords vont de la promesse de divulgation à l’engagement de discuter du désinvestissement ou du boycott universitaire, en passant par l’engagement ferme de désinvestir ou de mettre fin aux liens avec les entreprises complices et les institutions israéliennes (pour une liste d’accords, voir l’American Friends Service Committee).
Avec tout ce qui se passe, on assiste à l’émergence d’un débat et d’une critique constructive autour des stratégies, ce qui est sain et nécessaire pour se tenir mutuellement responsables des principes et des objectifs collectifs du mouvement BDS, et pour concilier les principes éthiques avec l’efficacité stratégique dans un contexte donné. Les accusations publiques inutiles, au contraire, peuvent saper ou fracturer notre mouvement.
Compte tenu de la diversité des tactiques utilisées par les étudiant-es et les administrateur-ices, et des nombreuses questions et inquiétudes que nous recevons, le PACBI souhaite exposer, en tant qu’organisation membre du Comité national palestinien BDS (BNC) représentant la plus large coalition palestinienne, une voie simple de radicalisme stratégique pour aller de l’avant collectivement. Cette notion est basée sur les principes opérationnels éprouvés du mouvement BDS :
- Gradualité (processus progressif de renforcement du pouvoir afin d’influer sur le changement de politique)
- Durabilité (défendre et développer les réalisations antérieures en élargissant régulièrement le soutien dont elles bénéficient)
- Sensibilité au contexte (être sensible aux particularités de chaque contexte sans perdre de vue les objectifs généraux du mouvement).
Le radicalisme stratégique appelle le mouvement à employer de multiples tactiques qui prennent en compte les contextes locaux afin de se renforcer mutuellement et de s’amplifier. Une victoire stratégique et progressive pour un campus est une victoire pour toustes. Il est important de noter qu’en ce moment, le radicalisme stratégique exige que nous prenions en compte les éléments suivants :
- Le désinvestissement et le boycott académique sont et doivent rester les objectifs des mouvements universitaires. Cependant, ces objectifs ne seront pas atteints en quelques semaines dans presque toutes les universités, étant donné les structures de pouvoir dominantes et la nature des investissements dans l’État israélien. Nous devons obtenir des gains raisonnables qui peuvent être continuellement renforcés et rétablir nos nouvelles positions. La seule voie vers la justice est une approche progressive, stratégique, avec de la patience et un engagement éthique.
- Chaque université a son propre contexte, avec des ressources, un corps professoral, des antécédents d’activisme, la composition et les relations du conseil d’administration, l’enracinement sioniste et la composition des étudiant-es (en particulier en ce qui concerne la classe, la race et la prévalence d’étudiant-es internationaux menacé-es d’expulsion) qui varient. Il est important de noter que, dans le contexte américain, certains États ont adopté des lois anti-BDS. Bien que ces lois inconstitutionnelles soient combattues devant les tribunaux (voir ici et ici), la réalité est qu’il peut être difficile pour certaines institutions américaines d’annoncer explicitement le désinvestissement ou le boycott d’Israël, et il est donc nécessaire que les groupes de solidarité trouvent des solutions créatives. Ce qui est possible sur un campus peut ne pas l’être sur un autre. C’est pourquoi nous devons reconnaître que le pouvoir vient de la diversité des tactiques qui gardent l’objectif global à l’esprit.
- L’objectif à long terme du désinvestissement institutionnel et du boycott universitaire, ainsi que la nécessité immédiate d’un cessez-le-feu permanent et de la fin du siège de Gaza (en tant que minimum nécessaire pour arrêter le génocide israélien soutenu par les États-Unis) sont tous deux importants. Les groupes universitaires doivent prendre des décisions difficiles sur ce qui est réalisable aujourd’hui ou plus tard, et sur la question de savoir si les accords actuellement négociés nous permettent de les développer plus tard. Quelle que soit la voie choisie, dans toutes les actions et déclarations de notre mouvement, nous devons toujours mettre l’accent sur les Palestinien-nes, les droits des Palestinien-nes et l’urgence absolue de mettre fin au génocide à Gaza. Il s’agit d’une priorité, même si nous poussons au désinvestissement et aux boycotts universitaires. Ils ne s’excluent pas mutuellement.
- Tous les accords avec les administrations universitaires qui mettent l’accent sur les droits des Palestinien-nes et qui s’engagent, dans un délai raisonnable, à fournir des informations financières et/ou à mettre en place un processus de désinvestissement et/ou des boycotts universitaires sont des avancées importantes qui doivent être défendues par toustes les membres de notre mouvement. Il s’agit de contributions significatives à la construction d’un mouvement à long terme et à l’accumulation de pouvoir à la base. Certains pourraient considérer que les accords avec les administrations universitaires qui ne répondent pas à toutes les demandes de désinvestissement, de boycott et de cessez-le-feu sont démobilisateurs et envoient des signaux au niveau mondial indiquant que la crise actuelle est en train d’être résolue et que les étudiant-es devraient rentrer chez eux. Et bien qu’il puisse certainement y avoir de mauvais accords, il est important de reconnaître que la plupart, sinon la totalité, des accords conclus avec les administrations jusqu’à présent étaient impossibles à imaginer il y a seulement quelques mois. En soi, il s’agit d’un changement radical et d’un autre indicateur qui montre que nous approchons du « moment sud-africain de la Palestine ».
- Lorsqu’ils concluent des accords, les négociateur-ices de la solidarité sur les campus doivent être vigilant-es et reconnaître que de nombreuses administrations universitaires, souvent dotées d’équipes juridiques expérimentées, essaieront d’utiliser un accord comme mécanisme de blocage pour saper les mobilisations étudiantes. Ainsi, tout accord conditionné à l’interdiction de toute action de solidarité future ou qui prend pour acquis que les administrations ont une autorité limitée sur la manière dont leur dotation est investie doit être immédiatement considéré comme un signal d’alarme. Le mouvement universitaire doit se préparer, être prêt et s’engager à obtenir de nouvelles avancées, à utiliser les accords comme base de mobilisation et à reprendre les manifestations si les administrateur-ices ne respectent pas leurs engagements. Cela permet de protéger les avancées progressives et de les faire fructifier.
- Les campements sont une tactique puissante et indispensable, de même que toute forme de perturbation pacifique des activités habituelles sur le terrain, fondée sur des principes éthiques et une bonne stratégie, y compris la désobéissance civile. Cependant, certains campus ont plus d’impact que d’autres pour diverses raisons, comme nous l’avons vu dans les mobilisations des campus pour le désinvestissement de l’Afrique du Sud de l’apartheid dans les années 1980 et les mobilisations contre la guerre du Vietnam dans les années 1960. La répression sur certains campus peut enflammer l’opinion mondiale, tandis que la répression sur d’autres campus peut passer inaperçue. Nous devons noter que dans certains cas, une escalade non violente est appropriée et constitue un moyen tactique d’avancer, alors que dans d’autres situations, l’escalade peut faire plus de mal que de bien. Néanmoins, la désobéissance civile stratégique, lorsqu’elle s’inscrit dans une stratégie globale, sensibilise et enflamme la conscience du monde. Elle peut être un outil important et une force qui permet d’obtenir des avancées dans d’autres domaines.
- La coordination et la communication au sein de notre mouvement et entre les campus sont importantes, et elles sont encore plus nécessaires lorsqu’il s’agit de décider d’une escalade ou d’un accord. Il s’agit à la fois de comprendre le contexte de chacun afin d’éviter les attaques publiques et les factions, et d’amplifier les messages susceptibles de dynamiser notre mouvement. Nous travaillons tous pour la libération de la Palestine, y compris le droit au retour des réfugié-es. Le moment est venu de s’unir autour des demandes exprimées par le peuple palestinien et des points d’unité que les réseaux, coalitions et organisations palestiniennes de base, très nombreux, appellent les mouvements de solidarité à adopter.
Nous saluons les mouvements étudiants partout dans le monde et les campements qui s’étendent à l’échelle mondiale. Nous devons continuer à amplifier les voix de chacun-e. Des fronts multiples, des contextes différents, une diversité de tactiques stratégiques et de principes – mais une seule lutte pour le retour, la justice et la libération, from the river to the sea.