Boycotter Israël : une stratégie, pas un principe
BDS n’est pas davantage une solution particulière au conflit israélo-palestinien, c’est l’exigence qu’Israël se mette en conformité avec le droit international et les résolutions de l’ONU. Par conséquent, c’est quelque chose que vous pouvez soutenir, que vous soyez favorable à la solution à deux Etats ou à un Etat unique. Que vous pouvez soutenir, même si vous êtes sioniste. Si BDS existe, c’est parce qu’on a réalisé, après des années d’expérience, que l’occupation ne prendra fin que lorsque Israël aura compris que cette occupation a un prix.
En un sens, le fait qu’un boycott soit nécessaire est une marque de faiblesse après la polarisation et la marginalisation de la gauche en Israël. D’une part, nous avons plus ou moins utilisé toutes les autres armes dont nous disposions dans l’arsenal de la résistance non violente, et la situation sur le terrain n’a fait qu’empirer. D’autre part, nous assistons au développement d’une mentalité à fond fasciste en Israël. Je suis, par exemple, extrêmement inquiet de voir à quel point l’espace pour le débat public s’est réduit en Israël.
L’un des moyens d’étouffer toute contestation, c’est d’exiger la loyauté ; c’est ainsi que l’un des slogans qu’on entend partout actuellement, c’est « pas de citoyenneté sans loyauté ». Ce slogan montre l’envers de l’idée républicaine que c’est l’Etat qui doit être loyal à l’égard de ses citoyens, et que c’est à lui qu’on doit demander des comptes pour les inégalités et les injustices. C’est la manifestation d’une inversion totale de la relation républicaine entre l’Etat et la loyauté et l’adoption, au profit d’une logique pareille à celle dont a fait preuve l’Italie de Mussolini. Elle fait partie – comme Gramsci l’a dit autrefois (Gramsci : écrivain, membre fondateur du Parti communiste italien, emprisonné par Mussolini – ndt) -, elle fait partie des symptômes morbides de notre temps.
L’une des manifestations de ces symptômes est cette attitude de plus en plus violente contre toute forme de contestation en Israël. J’ai reçu des menaces de mort après mes critiques sur le fiasco de la Flottille comme jamais auparavant. Quand je traverse le campus, des gens me demandent pour plaisanter si je porte un gilet pare-balles. Ces plaisanteries ont une connotation menaçante. Il n’est donc pas surprenant que seulement trois professeurs en Israël soutiennent publiquement le boycott ; beaucoup d’autres qui sont pour se tiennent à carreau parce que soutenir le BDS n’est pas vu comme une forme légitime de critique et ceux qui le soutiennent risquent d’être sanctionnés.
Et pourtant, le sentiment existe que les partisans du gouvernement vont trop loin. Ils ne s’en prennent pas seulement à la gauche radicale, mais pratiquement à quiconque exprime la plus timide critique de la politique du gouvernement. Il y a un ou deux mois, un principal de lycée qui s’opposait à ce que des officiers de l’armée viennent parler à ses élèves s’est fait carrément démolir. Il est clair que l’indignation de tant d’universitaires israéliens devant les attaques contre la liberté universitaire n’a que peu à voir avec le boycott, mais plutôt avec la tentative de réduire au silence toute forme de critique. Il y a un sentiment croissant que le débat public en Israël se réduit considérablement. Par exemple, le doyen de l’université de Haïfa qui, avec courage, a critiqué le ministre de l’Education et l’attaque en cours contre la liberté universitaire, n’est pas pour le moins un homme de gauche, il est simplement un homme scandalisé par les évolutions actuelles. Il ne soutiendrait jamais par ailleurs ma position sur le boycott.
12 juillet 2010 – Counterpunch – traduction : JPP