Le 14 août dernier, nous publiions ici même une tribune pour dénoncer l’Israfrique, soit les efforts de séduction déployés par le gouvernement israélien auprès des Africains, espérant qu’il ne parviendrait pas à convaincre le chanteur malien Salif Keita de se rendre pour la première fois en Israël1. Techniquement, le concert prévu le 23 août au musée de la Tour de David ne se déroulait d’ailleurs pas en Israël mais dans la partie palestinienne de Jérusalem, c’est-à-dire dans un territoire occupé qui n’est reconnu comme faisant partie d’Israël par aucun Etat au monde. La population palestinienne y est quotidiennement harcelée par les colons, la police et l’armée, et des quartiers entiers sont vidés de leurs habitants palestiniens au profit de l’installation de colons, pour une judaïsation de la ville. D’autre part, le racisme que nous dénoncions ne fait qu’augmenter puisque certaines écoles maternelles et certains hôpitaux israéliens sont maintenant interdits aux Noirs2, 3 et que des dizaines de milliers de migrants africains sont destinés à une expulsion prochaine4.
Salif Keita a annulé son voyage, mais nous ne pouvons pas nous attribuer à nous seuls la paternité de ce succès. En effet, Salif Keita est un artiste engagé et nous savions qu’il serait sensible aux atteintes aux droits des Palestiniens, aux discriminations, aux démolitions de maisons, aux emprisonnements illégaux et aux assassinats. Nul doute que la rencontre de Salif Keita avec des vétérans de la lutte contre l’apartheid en Afrique du Sud, tels que Desmond Tutu et Farid Esack, fut tout aussi déterminante pour le convaincre de la justesse de sa décision5. Il s’est en effet rendu à Johannesburg le 17 août pour un hommage à Nelson Mandela, et a pris sa décision le 22, de retour à Bamako.
Nul doute que la lettre ouverte publiée par Roger Waters le 20 août a également joué un rôle6. En effet, l’ancien chanteur de Pink Floyd y appelle ses collègues musiciens au boycott culturel d’Israël jusqu’à ce que cet Etat se conforme à la loi internationale et aux principes universels des droits humains. Dans le milieu du rock, cette lettre fait suite au refus du groupe étasunien The Killers à se produire dans un concert auquel il avait été invité le mois dernier. Tous ces artistes ont été informés par la campagne internationale de Boycott, Désinvestissement et Sanctions (BDS) de l’appel palestinien au boycott d’Israël, jusqu’à la fin de l’occupation et du blocus de Gaza, au démantèlement du Mur, à l’égalité des droits pour les citoyens palestiniens d’Israël et au retour des Palestiniens réfugiés dans le monde entier.
La lettre de Roger Waters fait également suite à un incident survenu le 8 août dernier, lors du concert de l’un des plus grands musiciens actuels de musique classique, le violoniste Nigel Kennedy. Invité, avec les cordistes du Conservatoire national palestinien vêtus de leurs keffiehs, à participer au cycle de concerts des Proms au Royal Albert Hall de Londres, il y a déclaré: «Nous savons tous, grâce à cette soirée musicale, que donner les mêmes droits à tous et se débarrasser de l’apartheid rend possible des choses formidables». Le concert a été retransmis à la BBC, mais ses rediffusions ont amputé cet extrait. Il est possible que la BBC tente de déprogrammer Nigel Kennedy, invité à la prochaine grande soirée Last Night of the Proms le 7 septembre prochain, pour éviter tout autre incident. A titre préventif, le violoniste a donc publié sa propre lettre ouverte, beaucoup plus explicite, où il dénonce l’apartheid sioniste, les mauvais traitements réservés aux Palestiniens, les détentions abusives de musiciens, les atteintes aux droits humains, etc.7.
Bien que peu relatée dans la presse, et au-delà du cas emblématique de Salif Keita, cette coïncidence d’événements – à laquelle on peut ajouter les sept musiciens de jazz ayant annulé leur participation au festival de jazz d’Eilat le mois dernier8 – incite à penser qu’une nouvelle ère débute dans les relations entres les artistes et l’Etat d’Israël. En effet, bien qu’individuelles, cette série de décisions prises par des artistes d’une diversité de styles musicaux impressionnante, fait l’effet d’une vague qui, d’une part, submerge les efforts de séduction du ministère israélien de la culture, mais qui fait également réfléchir les autres artistes du monde entier: de quel côté de la vague se placeront-ils ?
Source: http://www.lecourrier.ch/113664/boycott_culturel_d_israel_coincidences_ou_lame_de_fond
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