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Etudier est un défi quotidien pour les étudiants de l’université de Jérusalem-Est. Aux contrôles et aux restrictions d’accès imposées par l’occupation, ils doivent ajouter le risque des attaques sur le campus.
Depuis le début du semestre, l’université Al Quds est l’objet de fréquentes agressions par l’armée israélienne, qui utilise des gaz lacrymogènes et des balles en caoutchouc causant des dégâts matériels et des dizaines de blessés. Ces attaques ont généralement lieu le matin, pendant les heures de cours.
La dernière offensive a eu lieu le 17 novembre, vers 9 heures. Une centaine de grenades lacrymogènes et de bombes assourdissantes ont été lancées sur le campus depuis la clôture d’enceinte de l’université. « Ces agressions sont devenues habituelles » explique Sameh Arekat, coordinateur des études :
« Cette fois, 51 étudiants ont été blessés, dont 17 par des balles en caoutchouc. Ça fait 471 blessés au cours de ces attaques depuis septembre, dont 20% sont des employés de l’université. »
A l’intérieur de l’enceinte, des volontaires du Croissant rouge distribuent des masques et des compresses d’alcool. Ils secourent les blessés et dirigent les élèves vers les bâtiments les plus éloignés, d’où ils pourront quitter les lieux au besoin.
Mahmoud était en cours lorsque l’attaque a commencé : « On est sortis et on a vu toute cette confusion. Les étudiants avaient très peur, surtout les filles. Et il y avait des gens qui étaient tombés par terre, suffoqués par les gaz.»
Certains professeurs refusent d’interrompre ou d’annuler leurs cours. « Normalement, les cours sont suspendus », explique Nadeen. « Mais le professeur a insisté, comme si c’était une façon de protester : leur but, c’est de nous empêcher d’étudier. »
Une heure et demie pour contourner le mur
Des incidents importants avaient eu lieu quelques semaines plus tôt, entre le 21 et 23 octobre. Les forces de défense israéliennes (IDF), venues détruire une maison voisine jugée trop proche du mur et dont le permis de construire n’était pas à jour, avait interdit l’accès à l’université et investi le campus, comme l’avait rapporté la chaîne jordanienne RoyaNews.
L’université d’Al Quds est située dans la ville d’Abu Dis, dans le district de Jérusalem-Est ; c’est l’université arabe de Jérusalem, Al Quds étant le nom arabe de Jérusalem. Bien que se trouvant à 5 kilomètres à peine de la vieille ville, accéder à l’université n’est pas facile : il faut contourner le mur de séparation construit en 2003.
Le trajet emprunté par les étudiants venant des villages situés de l’autre côté du mur, comme Beit Hanina ou Beit Liqya, prenait vingt minutes. Désormais, ils mettent une heure et demie, avec le risque de se retrouver bloqués au check-point.
12 000 étudiants rêvant d’un avenir meilleur
L’université a vu sa superficie réduite en août 2003 par la construction du mur de séparation, auquel elle est maintenant accolée. Ses terrains de sport et ses jardins ont été détruits, malgré de nombreux mouvements de protestation. L’école se trouve à la fois en zones B et C, selon le cadastre de contrôle militaire israélien. Le secteur a une importance stratégique, en raison de sa proximité avec la vieille ville.
Des dommages matériels sont régulièrement causés dans l’université, notamment des vitres brisées. Mais surtout, c’est l’accès aux études qui est mis en danger par ces incursions.
L’établissement, réputé en Palestine et dans le monde arabe, accueille plus de 12 000 étudiants. Les études ont une importance particulière dans la société palestinienne, minée par le manque d’opportunités et le désespoir des jeunes, et qui a besoin de croire en un avenir meilleur. En Cisjordanie, 70% de la population a moins de 30 ans et le taux de chômage est supérieur à 20%.
Dans une société où règne l’incertitude, « un diplôme est quelque chose qu’on ne pourra pas nous prendre », explique May, étudiante en médecine. Pour elle, le fait que ces attaques visent l’université témoigne d’une volonté d’« empêcher la formation d’une élite palestinienne susceptible de faire avancer le pays » : « Ils ne veulent pas qu’on étudie. »
Les élèves reçoivent souvent ces attaques comme des provocations gratuites. « Ils font ça pour s’entrainer, et puis aussi pour s’amuser », dit Ehab, étudiant en technologies de l’information : « Ils cherchent à provoquer des interactions, pour qu’on réponde par des jets de pierres et qu’on se mette en tort. Ils veulent donner une mauvaise image de l’université pour que moins d’étudiants s’inscrivent. »
« Réduire l’identité arabe de Jérusalem »
Pour Nasser Afandi, de l’administration d’Al Quds, la raison de ce harcèlement est politique. L’université aurait par exemple été intimée par les autorités israéliennes de changer de nom pour adopter une formule en hébreu (« Yerushalaïm University »).
Selon lui, « ces pressions font partie d’un plan concerté pour réduire l’identité arabe de Jérusalem, et rendre impossible l’ambition palestinienne de faire de Jérusalem la capitale de son futur Etat ». Il ajoute qu’en 2010, l’Etat israélien aurait menacé l’établissement de modifier le tracé du mur et de détruire le site.
Lors de son récent voyage en Palestine fin novembre, François Hollande avait répété le souhait de la France de voir Jérusalem devenir « capitale des deux Etats » et s’était vu assaillir de commentaires par des Palestiniens inquiets de la situation culturelle de la ville, qu’ils disent « colonisée ». Pour eux, c’est un rêve qui semble s’éloigner chaque jour un peu plus.
Par ailleurs, un groupe d’étudiants liés au Jihad islamiste avait mené une manifestation contestée dans la cour de l’université début novembre. On y avait vu des visages masqués et un drapeau israélien piétiné. D’après un professeur américain à Al Quds, des photos de cette manifestation ont été récupérées et ont pu servir d’excuse à cette dernière attaque. Le porte-parole israélien, que j’ai souhaité interroger par téléphone, n’a pas donné suite à mon appel.
Caillasser pour ne pas rester sans rien faire
L’actuelle génération d’étudiants est encore fortement marquée par la seconde intifada et la violente répression qu’elle a engendré entre 2000 et 2002. Pour nombre de ces jeunes, la résistance armée n’a fait que causer plus de souffrances « en donnant des alibis à l’occupant israélien », et n’est plus une option envisageable. Alors, peu à peu, ils apprennent des moyens de résistance non-violente, inspirés par les contestataires turcs et les mouvements Occupy. Les formes de protestation, elles aussi, se mondialisent.
Lors des attaques, cependant, la résistance non-violente est illusoire, et accepter sans rien faire n’est pas non plus une option envisageable. La colère s’exprime alors par le traditionnel caillassage, « parce qu’on ne peut pas accepter sans rien faire ». Les bombes lacrymogènes reçues sont rassemblées dans des containers et parfois mises en scène par les élèves dans des installations artistiques. Des étudiants européens venus discuter de résistance non-violente ont été témoins de ces attaques.
Lisa, militante allemande, fait remarquer que les gaz utilisés sont différents de ceux des polices européennes « que l’on peut généralement renvoyer » : « Ces modèles couvrent un périmètre très large et causent des irritations cutanées et des malaises respiratoires qui peuvent être graves. »
L’information n’a été relayée jusqu’ici que dans quelques médias européens, et les étudiants espèrent que l’écho de ces faits dans les médias internationaux permettra d’enrayer ces attaques pour pouvoir poursuivre leurs études en paix et envisager l’avenir avec espoir.
En attendant, ils gardent dans leurs sacs des masques et des compresses alcoolisées. En Palestine, plus qu’ailleurs, il faut être prêt pour l’imprévu.
Nicolas Antoine Onraed
Rue89, TÉMOIGNAGE 01/12/2013 à 12h04
http://www.rue89.com/2013/12/01/etudier-a-jerusalem-est-malgre-tout-247953
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MAKING OF
Nicolas Antoine Onraed est professeur de Français langue étrangère et photographe. Il a participé à un programme de deux semaines d’échange culturel européen « Youth in Action » intitulé « Palestinian Students Diary » avec des jeunes de neuf pays d’Europe.
Des responsables de syndicats étudiants, membres de médias alternatifs ou encore de jeunes négociateurs sont venus rencontrer des jeunes Palestiniens pour proposer des ateliers sur la résistance non-violente, parler des mouvements étudiants en Europe et interviewer des responsables locaux, palestiniens et israéliens.
Il relaie des évènements à la demande des étudiants de l’université. Ces faits n’ont pour le moment été rapportés que dans un média web roumain et dans un journal danois.
« J’essaie de décrire les faits en observateur extérieur, selon les sources que j’en ai et ce que j’en ai vu. J’ai des amis des deux côtés du mur, et j’ai foi dans une solution future à deux Etats. » Rue89