Le 20 octobre, la chambre criminelle de la plus haute juridiction de France a confirmé la condamnation d’une dizaine de militants de la solidarité avec la Palestine pour avoir appelé publiquement au boycott des produits israéliens.
Cette décision de la Cour de cassation en ajoute aux préoccupations déjà croissantes concernant la répression sévère de la liberté d’expression, soutenue par le Président français François Hollande, depuis les assassinats de journalistes dans les bureaux du magazine Charlie Hebdo en janvier.
Elle fait aussi de la France, avec Israël, le seul pays à pénaliser les appels à ne pas acheter les produits israéliens.
Mais la loi française qui prévoit des sanctions pénales est probablement plus sévère que celle d’Israël, laquelle autorise de poursuivre les partisans du boycott pour dommages financiers, mais pas de les emprisonner.
« Un triste jour »
« Cette décision est une mauvaise nouvelle concernant le respect de la liberté d’expression dans notre pays » déclare la Ligue des Droits de l’Homme, organisation centenaire de défense des droits humains. « Elle constitue un des aboutissements de la volonté de faire taire toute critique de la politique des gouvernants israéliens et tout acte d’opposition aux graves violations des droits de l’Homme dont ils se rendent coupables. » (1)
Pour le groupe de la campagne BDS France (http://www.bdsfrance.org/index.php?option=com_content&view=article&id=3888%3A2015-11-03-11-39-42&catid=49%3Aactualites&Itemid=1&lang=fr), la décision marque un « triste jour pour la démocratie française où l’appel au boycott d’un Etat criminel qui viole les droits humains ne va plus de soi », et où le gouvernement peut « détourner l’esprit de la loi dès qu’elle s’attaque à un partenaire politique ».
Le CRIF, groupe leader du lobbyisme pro-Israël en France s’est réjoui de la décision.
Les organisations françaises anti-palestiniennes soutiennent activement cette répression judiciaire – sous le couvert de la lutte contre l’antisémitisme – avec l’espoir qu’elle mettra un terme à la campagne de boycott, désinvestissement et sanctions (BDS).
Criminalisation d’une protestation pacifique
En 2009 et 2010, des dizaines de militants BDS étaient entrés dans des supermarchés dans l’est de Mulhouse, où ils ont crié des slogans, distribué des tracts et porté des vêtements appelant au boycott des produits israéliens.
Leur but, explique BDS France, était « d’informer les consommateurs des problèmes éthiques que pose l’achat de produits provenant d’Israël », et notamment que leur production « est indissociable de la situation d’apartheid vécue par le peuple palestinien, de la spoliation de ses terres (et) du refus du droit au retour des réfugiés »
Mais en 2010, Michèle Alliot-Marie, alors ministre de la Justice, avait donné comme instruction aux procureurs de poursuivre les militants BDS à travers le pays.
En décembre 2011, les militants de Mulhouse ont été relaxés pour les accusations portées par les procureurs locaux, mais en 2013, la cour d’appel les en a déclarés coupables sur la base de la loi de 1972 qui prévoit jusqu’à un an de prison et d’importantes amendes pour quiconque aura « provoqué à la discrimination, à la haine ou à la violence à l’égard d’une personne ou d’un groupe de personnes à raison de leur origine ou de leur appartenance ou de leur non-appartenance à une ethnie, une nation, une race ou une religion déterminée ».
Les militants ont été condamnés à des amendes et aux dépens pour un montant de 30 000 €.
La Cour de cassation vient de confirmer la condamnation de 2013.
«La nation israélienne »
Les militants ont été reconnus coupables de propos appelant à une « discrimination » contre des producteurs et fournisseurs de produits en raison de leur appartenance à la «nation israélienne».
Dans une suprême ironie, apparemment pas appréciée par les juges français, la Haute Cour d’Israël elle-même a rejeté en 2013 l’existence de toute «nation israélienne ».
Israël ne reconnaît que la nationalité juive, et aussi d’autres catégories ethniques et sectaires dans lesquelles il range des citoyens et des non-citoyens contre leur volonté.
Le magistrat français Ghislain Poissonnier fournit le contexte et l’analyse juridique de l’affaire de Mulhouse dans un article pour l’AURDIP (http://www.aurdip.fr/pour-la-cour-de-cassation-la.html), une organisation d’universitaires qui soutient les droits palestiniens.
Il y écrit que la loi de 1972, un amendement à la loi française sur la presse de 1881, a été conçue pour lutter contre « les discriminations dont sont victimes les personnes physiques, et en aucun cas pour interdire les appels pacifiques au boycott de produits issus d’un État dont la politique (est) critiquée ».
Poissonnier ajoute que la Cour de cassation a violé les principes établis dans le droit français et le droit européen, et que sa décision est d’autant plus contestable vu l’abondance des appels, ces dernières années, aux boycotts des produits venant d’États accusés de violer les droits de l’homme.
Les juges, dit-il, n’ont pas tenu compte de faits majeurs : les actions sur les supermarchés sont totalement pacifiques et les gérants de magasins ne portent aucune accusation ; il n’y a aucune ingérence dans la liberté de commercer ; le but des militants était d’amener au respect du droit international ; et souvent les produits israéliens portent des étiquettes falsifiées pour cacher qu’ils proviennent des colonies qui sont illégales en vertu du droit international. Les militants – et la campagne BDS en France – sont, en outre, engagés publiquement contre toute formes de discrimination raciale et religieuse, dont l’antisémitisme.
Autre ironie, le gouvernement français est à l’heure actuelle en train de pousser fortement en faveur de nouvelles règles à l’échelle européenne pour que soient étiquetés clairement les produits des colonies, probablement pour que les consommateurs puissent les boycotter.
Suppression de la liberté d’expression
Le journaliste et militant de langue française Glenn Greenwald s’est montré particulièrement virulent à propos de l’hypocrisie de la France pour la liberté d’expression, avec sa marche de Paris après le massacre à Charlie Hebdo, qui était « conduite par des dizaines de dirigeants du monde entier, dont beaucoup emprisonnent, voire tuent des gens, parce qu’ils ont exprimé des opinions interdites ».
S’exprimant dans The Intercept, Greenwald affirme que « l’absurdité d’une France qui s’honore elle-même pour la liberté d’expression » est clairement mise en évidence avec la condamnation des militants BDS.
«Pensez combien c’est pernicieux. Il est parfaitement légal de recommander des sanctions contre l’Iran, ou la Russie, ou le Soudan, ou pratiquement n’importe quel autre pays », observe Greenwald. « Mais il est illégal – criminel – de préconiser des boycotts et des sanctions contre un pays : Israël ».
Il note que les dirigeants des organisations anti-palestiniennes en Europe veulent que la répression par la France serve de modèle aux autres pays, objectif partagé par le puissant groupe de lobby pro-Israël aux États-Unis, l’AIPAC.
Le gouvernement conservateur canadien du Premier ministre sortant, Stephen Harper, a déjà menacé d’utiliser des lois contre les discours haineux afin de pouvoir cibler les militants BDS.
Compte tenu de son bilan en attaques contre les militants BDS et de sa volonté de se mettre bien avec Israël, durant ces derniers jours, il y a peu de raisons d’espérer que le Premier ministre entrant du Parti libéral, Justin Trudeau, soit moins intolérant.
Pour ce qui est de la France, même le groupe de réflexion Freedom House, du Département d’État US, manifeste son inquiétude devant les restrictions grandissantes à la liberté d’expression.
Dans son dernier rapport annuel sur la liberté sur Internet, la France se voit dégrader sérieusement. Freedom House affirme que le gouvernement et la police sont passés en « surmultipliée » depuis les meurtres à Charlie Hebdo, poursuivant des gens pour des choses qu’ils ont dites en ligne et votant des décrets donnant aux ministres le pouvoir de bloquer des sites.
De telles mesures, déclare Freedom House, «menacent la liberté sur Internet dans le pays ».
L’un des cas cités par le rapport est celui du lycéen arrêté pour avoir publié une caricature ironique sur Facebook.
Invaincu
Ghislain Poissonnier déplore qu’avec la décision de la Cour de cassation, « notre pays devient le seul État au monde – avec Israël – à pénaliser les appels citoyens à ne pas acheter de produits israéliens ».
Il espère que les militants feront appel de leurs condamnations devant la Cour européenne des droits de l’homme.
Sa jurisprudence, dit-il, est « traditionnellement plus protectrice de la liberté d’expression » que celle du système judiciaire français et ainsi, elle « donne des raisons d’espérer à tous ceux qui sont choqués par une décision qui isole totalement la France ».
BDS France demande qu’il soit mis un terme aux poursuites des militants basées sur le décret Alliot-Marie de 2010, et il affirme son soutien aux personnes condamnées pour leur expression.
Invaincu par la répression du gouvernement, BDS France «appelle toutes les personnes, en France comme partout dans le monde, à continuer de mettre en œuvre la décision du peuple palestinien : promouvoir une campagne de boycott, désinvestissement et sanctions contre l’État d’Israël, jusqu’à ce qu’il respecte le droit international et les principes universels des droits humains.
«Pour tout citoyen de conscience, soucieux des droits et de la dignité des peuples, BDS est non seulement un droit, mais aussi un devoir moral ! »
(1) Mise à jour : Il convient de noter toutefois que la Ligue des Droits de l’Homme a elle-même déposé une plainte en justice contre deux militants BDS à Montpellier pour une prétendue expression antisémite sur Facebook durant la guerre de l’été 2014 d’Israël contre Gaza – une initiative qui est totalement incompatible avec son engagement déclaré pour la liberté d’expression.
Traduction : JPP pour BDS France
Source : Electronic Intifada: https://electronicintifada.net/blogs/ali-abunimah/france-now-more-repressive-boycott-calls-israel